Placebo et la magie du mystère
Si la magie du placebo intervient à peu près dans toute action médicale, quels sont donc les vecteurs de ce mystérieux phénomène ? En tout premier lieu intervient le placebo en tant qu’objet matériel qui recouvre l’ensemble des caractéristiques physico-chimiques de ce qui est prescrit par un médecin en tant que leurre de médicament. Mais est-ce là tout ? Dans la magie du traitement, la symbolique de la prescription et la fonction du guérisseur n’entrent-elles pas en compte?
Nombreux sont les paramètres qui font varier, dans des proportions parfois importantes, l’action d’un produit. Les laboratoires pharmaceutiques en sont venus à dépenser de véritables fortunes pour amplifier l’efficacité de leurs spécialités, modifiant le nom, la taille, la couleur, la forme, la saveur des produits, en fonction du symptôme traité, au gré de la symbolique de guérison.
Corvisart, médecin de l’empereur Napoléon Ier, doutait, et on le comprend, de l’efficacité des médicaments de son époque. Pour soigner ses illustres patients, notamment la constipation des dames de la cour, il avait mis au point la Mica partis, qui n’était autre que de la mie de pain. Le latin, fût-il de cuisine, préserve les saints mystères de la Médecine. Dans La Satire Ménippée, l’un des charlatans, espagnol de son état, est décrit dans tout le déploiement de son faste langagier et vante les bienfaits de son élixir, le Higuiero de l’Infemo ou « Catho- licon composé », que l’on retrouve d’ailleurs dans Le Malade imaginaire de Molière. Ici, c’est donc la Sainte Église elle-même qui, symboliquement, patronne le miraculeux breuvage. De nos jours, certains médecins charlatans prescrivent parfois des mixtures, préparations magistrales comportant une liste impressionnante de termes étranges, auxquelles, comble de mystère, ils n’attribuent pas de nom, à moins qu’ils ne l’affublent d’un code forcément secret. Les homéopathes ont, de même, parfaitement compris l’importance symbolique des noms compliqués et la magie étrange d’un énoncé en latin, langue des clercs et des savants, affublé d’un chiffre mystérieux.
Bref, le vocable attribué à la substance prescrite a toujours été d’une grande importance. Les firmes choisissent donc leurs appellations avec le plus grand soin. Récemment, un antidépresseur qui n’a finalement pas vu le jour, devait s’appeler Xprime. Le suffixe prime évoquait la déprime magiquement annulée ; le représentait à la fois l’inconnue mathématique et le polytechnicien, génie des maths supposé maîtriser les inconnues : le allait encore plus loin que l’inconnue. Ce signifiant original, à travers une chaîne associative digne de Jacques Lacan, devait amener le prescripteur et le receveur à fantasmer sur les mystères de la maladie cl sur le produit qui les défiait.
L’appellation du médicament peut aussi chercher à exorciser la maladie en la nommant pour la maîtriser cl, finalement, l’annuler, selon un rituel magique vieux comme le monde. Déjà, au Moyen Âge, lorsqu’un malade invoquait un saint, il prenait soin de choisir i clui dont le patronyme évoquait, à travers un calembour d’un goût parfois douteux, la maladie en ques- i ion : sainte Claire pour les yeux, saint Cloud pour les t mondes, saint Claude pour la boiterie (claudication) ci même saint Ignace pour les maladies du cuir chevelu. De nos jour c’est l’ananlyse qui soulage de l’anxiété (an privatif de anxyl) et l’Antalvic* qui combat la douleur (anti-alvic, contre l’algie).
Le nom du médicament peut également invoquer la l’.ucrison. Le Séresta se décompose en Séré (-nité) ??lu (-bilité). Le Glaucostat stabilise le glaucome, le ( Uarstat la cataracte. Le Pondéral pondère le poids ci le Dynabolon dynamise. Le plus beau peut-être, llihanyl rendra plus urbain les anxieux qui, c’est bien loimu, ne le sont souvent guère.
Toujours par la magie, le préfixe peut chercher à tirer vers le haut le pauvre patient écrasé par la maladie, notamment par la fatigue ou la dépression : Swrélen, Nmvcctor, Prohiaden, Prozac, Promotil, etc. L’une ? li s plus grandes trouvailles reste sans conteste l’Asi’cnsyl, véritable ascenseur vers le mieux-être. Impossible de l’évoquer sans déjà se sentir transporté les bleus paradis sanitaires!
l’ai lois, l’invocation fait appel à des notions plus n h ici mes, véritables archétypes occidentaux. Le Saryrnoi, avec art, génère l’or, tout en évoquant l’athanor, li loin neau des alchimistes. Chaque fois que j’en présque . dans mon hôpital où j’oublie régulièrement qu’il n’est pas agréé, je ne peux pas m’empêcher de penser avec une certaine irritation que l’autre arginine, celle qui est délivrée à sa place par l’économe pharmacien, pratiquement identique en composition mais au nom tellement moins poétique, est nettement moins efficace. Et le pire, c’est que par le fait même, cela devient probablement vrai !
Vidéo : Placebo et la magie du mystère
Vidéo démonstrative pour tout savoir sur : Placebo et la magie du mystère