Où est le virus grippal pendant l'été? ou le "Basculement hémisphérique"
Dans les régions à climat tempéré, la grippe est une maladie saisonnière, apparemment influencée par le froid. On retrouve la trace de l’importance attribuée au froid dans l’apparition de la grippe dans de nombreuses expressions populaires : Attraper froid, par exemple à cause d’un courant d’air; un coup de froid; un chaud et froid; un refroidissement. Le nom même de la grippe dans de nombreuses langues vient de l’expression italienne « influenza di freddo », l’influence du froid. En revanche, on distingue en anglais le common cold, le rhume de cerveau, bien distinct de la grippe et causé d’ailleurs par des virus totalement différents.
La grippe provoque toujours une poussée fébrile et elle entraîne une sensation de froid. On peut avoir la sensation d’avoir pris froid et on peut penser que c’est ce refroidissement qui est l’origine de la maladie. Le frisson est un élément caractéristique de la phase initiale, mais, en fait, il ne survient pas vraiment au moment de la contamination ou du début de l’évolution de la maladie : c’est le premier symptôme, après la période d’incubation. La contamination a eu lieu un ou deux jours plus tôt, sans qu’elle puisse être perçue puisque c’est l’inhalation de virus dans l’air qui représente le point de départ du phénomène infectieux. Ce frisson est cependant perçu comme le moment où l’on « attrape » la grippe, quand on « tombe malade » alors que c’est la première manifestation d’un processus déjà engagé de façon irréversible depuis plusieurs heures, l’incubation. La contamination a eu lieu auparavant et le virus a déjà accompli plusieurs cycles de réplication, il commence i se trouver en quantité suffisante pour provoquer une poussée fébrile qui se traduit en particulier par mi frisson ressenti nettement comme le premier signe de la maladie. On croit avoir «attrapé» froid, alors qu’en réalité, on a froid parce qu’on commence à avoir de la fièvre.
La relation avec le froid est évidente mais très subjective. On a dons depuis très longtemps cherché à se réchauffer de toutes les façons : se couvrir, couvertures, bonnets, vêtements rouges, soupes, boissons chaudes, alcool. Couvrir la tête des bébés pendant l’allaitement. Masques, voiles transparents, protection des yeux, toutes précautions dont certaines sont encore valables aujourd’hui.
Sous les climats tropicaux, en revanche, la circulation du virus est continue tout au long de l’année et les pics épidémiques moins sensibles, cependant, la grippe provoque l’apparition de foyers endémiques et de cas sporadiques en grand nombre. Les grandes pandémies atteignent aussi les zones à climat chaud et s’y révèlent également meurtrières.
Dans l’hémisphère Nord, les épidémies saisonnières se manifestent entre octobre et avril. Dans l’hémisphère Sud, c’est également en hiver, d’avril à octobre. Les isolements de virus en un lieu donné s’échelonnent sur une durée de six à huit semaines, puis le virus disparaît à l’exception de quelques cas importés. En revanche, dans les zones intertropicales, le virus est présent en toute saison. La grippe ne se manifeste pas par des épidémies franches mais par une circulation endémique moins visible, quoique tout aussi dangereuse.
Ainsi, au Nord en hiver, le virus circule à la fois horizontalement entre les pays, et verticalement entre les régions tempérées et les tropiques. L’accélération et la banalisation des voyages d’affaires ou d’agrément facilitent cette circulation. Le virus subit de façon continue son glissement antigénique dans l’ensemble de ce domaine pendant tout le semestre. Puis, au cours des six mois suivants, le processus s’inverse et c’est alors qu’entre les pays de l’hémisphère Sud et les tropiques s’installe une circulation continue. Les virus ayant évolué au Nord circulent alors au Sud et continuent leur évolution. Ainsi, il y a toujours quelque part dans le monde des virus grippaux en activité et il n’est pas nécessaire de chercher plus loin l’explication du retour annuel de la grippe.
On peut aussi vérifier que l’évolution antigénique des virus est globale, les mêmes variants se retrouvant à peu d’intervalle de temps au Nord et au Sud. La réponse est à rechercher dans les régions intertropicales où cependant il n’y a pas d’épidémies franches. Mais on peut voir, depuis l’extension des programmes de surveillance que, dans ces zones, le virus peut être isolé tout au long de l’année (à l’exemple de Taïwan ou de Singapour). Les échanges de voyageurs par voie aérienne entre ces régions et les zones peuplées du Nord et du Sud sont fréquents, et les virus voyagent sans cesse entre ces divers lieux. Un virus importé en Europe au mois d’août n’a que peu de chances de provoquer une circulation épidémique, mais s’il revient en décembre, il pourra déclencher une épidémie, surtout s’il est suffisamment différent des virus ayant précédemment circulé, ce qui lui permettra de surmonter l’immunité de population. Dans cette hypothèse, qui nous inquiète aujourd’hui, il se répandra tout en continuant une évolution génétique et antigénique qui le fait lentement glisser. Ce variant modifié diffusera largement dans l’hémisphère Nord tout en effectuant son retour vers les régions tropicales. Le même phénomène se produit à l’autre saison vers l’hémisphère Sud et le virus peut ainsi évoluer en circulant de façon continue selon un basculement hémisphérique favorisé par les facteurs climatiques et par l’accélération et l’amplification des voyages intercontinentaux.