Mieux gérer la santé par l'alimentation : Les polyphénols en pleine lumière
Avec plus de 5 milles molécules, le monde des polyphénols est parmi le plus extraordinaire dans le domaine des micronutriments. Ces polyphénols qui caractérisent la diversité du vin, du chocolat, du thé, sont en fait répandus dans tout le règne végétal mais ne sont pas nécessairement visibles au premier aspect. Quand une tranche d’avocat, de pomme ou de pomme de terre brunit lentement à l’air libre, cela permet de mettre en évidence la présence de polyphénols fraîchement oxydés.
Avant leur récente notoriété, l’intérêt nutritionnel des polyphénols a longtemps été négligé. Ce sont pourtant les antioxydants les plus abondants des aliments. De plus, l’homme en consomme environ 1 g par jour, soit dix fois plus que la vitamine C et cent fois plus que la vitamine E ou les caroténoïdes. Les polyphénols sont présents dans toutes les plantes, mais leur nature et leur teneur varient fortement d’une espèce à l’autre.
Les acides phénoliques, dont le plus célèbre a conduit à la synthèse de l’aspirine, sont largement distribués dans les aliments et les boissons (tel l’acide caféique du café), de même que les flavonoïdes qui ont une structure moléculaire plus complexe. Certains de ces flavonoïdes sont spécifiques des diverses espèces botaniques ou variétés, présents principalement dans les agrumes, le thé ou les produits du soja par exemple. Les anthocyanes de couleur bleue, rouge, violette, si abondantes dans divers fruits et quelques légumes, ne font pas que barbouiller les joues des enfants ou tacher les vêtements, elles exerceraient des effets très bénéfiques sur le système circulatoire et même sur la protection du cerveau. D’autres molécules (tanins), au joli nom scientifique de proanthocyanidines, sont responsables du goût amer et astringent retrouvé dans un très grand nombre de produits : kakis, pommes à cidre, vin, thé, chocolat.
Afin d’explorer le rôle protecteur des polyphénols, présents en quantités très variables dans les produits végétaux et les boissons, il est nécessaire de comprendre leur devenir dans l’organisme. En effet, le niveau d’absorption intestinale, le métabolisme et les propriétés biologiques varient très largement d’un polyphénol à l’autre, et les composés les plus abondants dans les régimes ne sont pas nécessairement les plus actifs dans l’organisme.
Les effets biologiques des divers polyphénols et notamment des flavonoïdes ne peuvent être réduits à leur rôle antioxydant. Ainsi, les produits du soja sont riches en isoflavones qualifiées de phyto-œstrogènes parce qu’elles présentent des propriétés qui s’apparentent lointainement à celles des œstrogènes naturels. Ces phyto-œstrogènes pourraient jouer un rôle intéressant pour la prévention de l’ostéoporose et du cancer du sein. Les populations asiatiques, grandes consommatrices de soja, semblent beaucoup moins sujettes à ce type de cancer. D’autres produits végétaux (céréales complètes, légumes secs, graines de lin) contiennent d’autres sources de phyto-œstrogènes (appelées lignanes). Plusieurs types de polyphénols peuvent avoir des propriétés anti-inflammatoires, antivirales, anti carcinogènes, modifier l’activité d’enzymes cellulaires, affecter les mécanismes de division cellulaire. Ces micronutriments forment, pour l’organisme, une sorte de pharmacopée nutritionnelle dont il est difficile d’apprécier le bénéfice, compte tenu de la diversité de leurs actions, à l’inverse d’un médicament qui a une action bien ciblée. En attendant d’en savoir plus, ne nous privons surtout pas de fruits rouges pour leur richesse en anthocyanes, de thé vert, de chocolat noir, de cidre ou de vin (avec modération) pour leur richesse en tanins, de pommes rustiques plus riches en polyphénols que certaines variétés récentes, de fruits et légumes.
Bien d’autres micronutriments (composés soufrés, terpènes, saponines, phytostérols) sont susceptibles d’avoir des rôles biologiques intéressants. Les épices, les herbes, les aromates dont l’intérêt n’est pas seulement de donner du goût aux aliments, sont particulièrement riches en micronutriments. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que les produits comestibles contiennent aussi des substances potentiellement toxiques, mais l’organisme semble maîtriser leur neutralisation. Chaque famille botanique apporte des micronutriments spécifiques dont il est difficile de faire une description exhaustive. Assumer sa condition d’omnivore consiste donc à opérer des choix alimentaires variés en produits animaux et végétaux complémentaires pour l’apport d’énergie ou la fourniture d’une large gamme de micronutrirnents. Cela correspond d’ailleurs à la culture nutritionnelle d’un grand nombre de peuples autour du Bassin méditerranéen et dans de nombreuses régions du monde.
Cette condition d’omnivore, ce contact, cette imprégnation naturelle des organismes avec la diversité moléculaire des aliments naturels est de plus en plus mal assurée par l’écran de l’offre agroalimentaire, riche en produits énergétiques, en arômes de synthèse. Il y a donc une nécessité à faire évoluer la chaîne alimentaire vers la distribution le plus complète possible de tous les aliments naturels dans leur complexité.