Mieux gérer la santé par l'alimentation : Des matières grasses à profusion
L’un des traits les plus caractéristiques de l’alimentation contemporaine est sa richesse en lipides (30 à 40 % de l’énergie), ce qui est d’autant plus surprenant que nous sommes devenus sédentaires, et que seul l’exercice physique permet l’utilisation intense des acides gras. L’homme est certes omnivore, mais à aucun moment de son histoire ses apports nutritionnels n’ont été aussi riches en lipides. Même les espèces carnivores ont des régimes plus faibles en matières grasses. Quarante pour cent d’énergie lipidique ne correspondent ni aux besoins physiologiques de nos cellules, ni à la meilleure façon d’apporter la diversité des nutriments et des micronutriments avec un apport calorique optimal. Concernant la vitamine E liposoluble, la consommation de deux à trois cuillerées à soupe d’une huile végétale peut suffire à satisfaire son besoin, on est loin des cent grammes de matières grasses ingérées quotidiennement par beaucoup d’hommes sur terre. Évidemment en cas de régime, il faut veiller à consommer ce minimum d’huile en s’assurant de sa bonne teneur en vitamine E.
La profusion des lipides alimentaires a été possible grâce au développement des cultures oléagineuses et également des productions animales. La production d’huiles d’arachide, de colza, de soja, de tournesol, de maïs n’a pris une extension considérable qu’après la Seconde Guerre mondiale. La filière oléagineuse est d’une efficacité remarquable pour fournir des calories à prix de revient plus que compétitif. Un litre d’huile fournit environ 7 200 kcal pour un coût d’environ 1,5 euro. Avec le même prix, on peut espérer acquérir un kilo de sucre, soit 4 000 kcal, 0,5 kilo de pain, soit 1 200 kcal, 100 g de viande, soit environ 200 kcal, ou un kilo de légumes, soit environ 250 kcal. L’augmentation de la proportion des lipides et de sucre dans l’alimentation humaine a été favorisée par leur compétitivité économique. Cela a contribué aussi à dévaloriser le coût de l’alimentation mais avec des conséquences que l’homme paie fort cher en termes de santé. À moins de taxer (raisonnablement) ces ingrédients énergétiques, il sera difficile de réduire leur utilisation et de résoudre ainsi une partie île nos problèmes nutritionnels.
Les matières grasses végétales ne sont que très partiellement utilisées sous forme d’huile de table, elles sont incorporées dans un très grand nombre de préparations alimentaires directement ou après leur transformation en margarine. En plus de cette disponibilité de corps gras végétaux, l’augmentation de la consommation de viande et surtout de produits laitiers a permis à l’alimentation de type occidental d’atteindre des sommets d’imprégnation lipidique. Malgré des efforts d’allégement, de traque de matières gr asses, en particulier aux États-Unis, l’apport lipidique dans les pays occidentaux demeure relativement élevé puisque l’habitude de rajouter des matières grasses dans les aliments est devenue banale, au même titre que divers sucres ou ingrédients purifiés.
La richesse en matières grasses n’est pas pour déplaire à l’homme puisqu’elle joue un rôle important dans le développement des qualités organoleptiques des aliments, surtout si ces derniers ont peu de qualités à faire valoir. Cette profusion de matières grasses est devenue tellement banale dans les produits transformés, dans les sauces d’accompagnement, dans les plats cuisinés, dans les desserts, dans les glaces, dans les produits laitiers, que les viandes sont presque devenues des sources secondaires de lipides. Cette situation semble maintenant tellement normale que beaucoup mettent en doute l’opportunité et la faisabilité des recommandations diététiques visant à limiter l’apport de lipides au-dessous de la barre des 30 %. Dans le même sens, les gastronomes médiatiques ne manquent jamais l’occasion de faire l’éloge du gras et de persuader le public qu’il est difficile de faire du « bon » sans une utilisation généreuse des matières grasses.
Cet avènement du gras et en parallèle d’une industrie florissante de glucides purifiés est largement responsable de l’épidémie mondiale de l’obésité et du diabète, ce qui est un lourd bilan à mettre au passif de « la transition nutritionnelle » du XXe siècle. Pourtant, une bonne disponibilité en matières grasses végétales aurait pu être entièrement bénéfique pour la physiologie humaine, pour le développement du cerveau, pour la prévention des maladies cardio-vasculaires ou d’autres pathologies. Il est bien dommage que l’impact des huiles végétales de qualité soit atténué par la multiplication des sources de matières grasses, ce qui génère des apports d’acides gras déséquilibrés et superflus.