L'intérêt physiologique des fruits et légumes
Malgré des moyens de recherche fort modestes de par le monde, nos connaissances sur la diversité des effets physiologiques des fruits et légumes sont très encourageantes. La description exhaustive de leurs bienfaits équivaudrait à explorer toutes les facettes des relations entre alimentation et santé.
L’intérêt fondamental de ce type d’aliments est d’induire une certaine restriction énergétique sans doute très favorable au vieillissement sans par ailleurs priver l’organisme (au contraire) de micronutriments protecteurs. Le risque, bien sûr, lié à une consommation excessive de ces aliments est d’induire, chez certaines personnes, un état de maigreur prononcé tel qu’on le retrouve à la suite de certains comportements apparentés à l’anorexie.
Afin de lutter contre l’obésité, les nutritionnistes ont largement exploré les possibilités de réduire les apports caloriques par la privation alimentaire et/ou par des régimes spéciaux très pauvres en graisses et très riches en protéines. Le problème de ces mesures diététiques provient du fait qu’elles sont difficilement supportables par les patients et peu compatibles avec un bon état nutritionnel. Longtemps, la validité d’une stratégie d’encouragement à consommer à volonté des fruits et légumes afin de lutter contre la surcharge pondérale a été mise en doute dans la mesure où les fruits sont riches en sucre et les légumes peuvent être préparés avec des matières grasses, ce qui est susceptible d’alourdir les bilans caloriques. En prenant quelques précautions diététiques, une consommation élevée de fruits et légumes est compatible et même très utile pour maîtriser les bilans énergétiques. La difficulté réside surtout dans la possibilité de faire adopter à certains consommateurs des régimes alimentaires riches en produits végétaux alors qu’ils sont fortement conditionnés à consommer des aliments prêts à l’emploi souvent peu équilibrés. Les données actuelles montrent qu’une stratégie d’encouragement à la consommation de fruits et légumes est très efficace dans la lutte contre la surcharge pondérale, même s’il existe une réelle difficulté de mise en œuvre.
Manger abondamment des fruits et légumes équivaut à assurer un fonctionnement normal du tube digestif, ce qui est une des conditions indispensables à la régulation de la prise de nourriture. Ce type de comportement alimentaire permet également d’éviter les troubles fonctionnels digestifs, en assurant un remplissage gastrique satisfaisant, en permettant le développement, au niveau du gros intestin, de fermentations symbiotiques particulièrement équilibrées (grâce à une disponibilité élevée de glucides fermentescibles accompagnés de micronutriments) et en régularisant le transit digestif par la présence d’une très grande diversité de fibres.
Consommer une grande quantité de fruits et légumes, c’est l’assurance de bien couvrir les apports nutritionnels recommandés en minéraux et en vitamines et de disposer en plus d’une très large gamme de micronutriments protecteurs. À titre d’exemple, une consommation de 300 g de fruits et de 300 g de légumes par jour fournit 40 % des besoins de potassium (sur une estimation des besoins à 4 g) et de fer et environ 20 % des besoins en calcium et magnésium ; et à quelques exceptions près, la biodisponibilité des minéraux dans les fruits et légumes est très satisfaisante. Beaucoup de consommateurs s’interrogent sur la manière de couvrir les besoins en calcium en dehors des produits laitiers. L’observation des comportements animaux comme celui des modes alimentaires les plus répandus sur la planète montre que le calcium peut aussi provenir des produits végétaux, à condition justement de les utiliser généreusement et non avec la parcimonie de beaucoup de consommateurs actuels.
Chez les omnivores que nous sommes, la consommation de produits animaux et végétaux revêt un caractère complémentaire remarquable pour la couverture des besoins en vitamines. Il faut souligner aussi l’extrême variabilité dans la teneur en vitamines des fruits et légumes selon les parties végétales consommées, les parties foliaires, les tiges ou les fleurs ayant dans l’ensemble une densité nutritionnelle plus importante en vitamines B que celle des racines, des tubercules ou des fruits. Le rôle des fruits et légumes dans l’apport d’acide folique, de vitamine K, de caroténoïdes précurseurs de vitamine A, de vitamine C ou des autres antioxydants est essentiel pour bénéficier d’un bon statut nutritionnel. D’ailleurs, lorsque l’on impose à des volontaires sains, à des fins expérimentales, une réduction
drastique de la consommation des fruits et légumes, on observe une réduction nette des teneurs plasmatiques en vitamine C, en caroténoïdes et du pouvoir antioxydant au sein de l’organisme.
De plus, les fruits et légumes de par– leur différence botanique ou variétale sont une source extraordinaire de composés bioactifs (polyphénols et caroténoïdes largement ubiquitaires, glucosinolates des crucifères tels que le chou, composés soufrés des alliacées, phyto-œstrogènes, terpènes), si bien qu’il est difficile de priver impunément l’organisme de cette protection à l’échelon d’une vie.
L’impact des fruits et légumes est particulièrement vaste puisqu’il concerne tous les territoires de l’organisme et des fonctions aussi diverses que le fonctionnement hépatique, circulatoire, rénal, oculaire. On leur reconnaît maintenant un effet dans la prévention de l’ostéoporose, un rôle probable dans la prévention des maladies neurodégénératives et même une efficacité cosmétique.
Même si les fruits et légumes doivent être appréciés en premier pour leur essence alimentaire, leur rôle dans la prévention des deux grandes pathologies majeures, maladies cardio-vasculaires et cancers, contribue à mettre en avant ces aliments dans les recommandations nutritionnelles actuelles. Pour la prévention des pathologies cardio-vasculaires, ces produits végétaux contribuent à diminuer quasiment tous les facteurs de risque : surcharge pondérale, hypercholestérolémie, résistance à l’insuline, hypertension, oxydation des lipoprotéines, tendance à une agrégation plaquettaire élevée. Depuis notre passé de chasseurs- cueilleurs, il est remarquable que des synergies alimentaires entre produits animaux et végétaux se soient fortement développées pour assurer un bon fonctionnement de l’organisme dans ce type d’environnement nutritionnel. Ainsi, l’élimination digestive du cholestérol en provenance des produits animaux est totalement tributaire d’un apport de produits végétaux et en particulier de fruits et légumes. Des singes auxquels on impose un régime riche en cholestérol sans produits végétaux complexes et sans fibres alimentaires développent rapidement une hypercholestérolémie et une pathologie cardio-vasculaire, et la consommation de fruits ou légumes suffit à assurer un retour à la normale. Dans les pays industrialisés, la consommation de produits animaux et de graisses saturées demeure élevée, mais surtout la composante végétale de l’alimentation est bien trop raffinée ou trop peu diversifiée pour assurer un fonctionnement métabolique satisfaisant. Les possibilités de prévention sont donc tout à fait intéressantes.
La question de la prévention des cancers est beaucoup plus complexe, et les mécanismes de protection par les fruits et légumes moins bien élucidés, compte tenu de la complexité des événements cellulaires et moléculaires du processus cancéreux. Il n’empêche, dans des conditions de terrain loin d’être toujours très satisfaisantes, les enquêtes épidémiologiques permettent néanmoins d’observer une protection très significative vis-à-vis d’un très grand nombre de cancers ; jusqu’où pourrait aller cette protection si on maîtrisait mieux la gamme de fruits et légumes à consommer et leur qualité ?
L’exploration des effets santé des fruits et légumes nécessiterait à l’évidence une approche pluridisciplinaire, une étroite collaboration entre la recherche agronomique et médicale, la réalisation d’enquêtes épidémiologiques de grande ampleur ; or de tels programmes de recherche sont loin d’être sérieusement engagés.