L'inquiétude des consommateurs
Pourtant, un sentiment d’insatisfaction vis-à-vis de l’offre alimentaire est né dans diverses classes sociales. Le consommateur ne s’est pas rendu compte qu’il avait une large part de responsabilité dans la situation alimentaire qui lui était réservée, dans l’ère des apports caloriques faciles et des prises alimentaires sans convivialité.
Progressivement, après vingt à trente années de cette évolution, le sentiment d’être trompé sur la marchandise a lentement émergé et a trouvé son expression médiatique à travers le terme de mal bouffe ». D’où vient ce malaise ? Sans doute de la découverte d’une très grande diversité de pratiques choquantes dans la chaîne alimentaire : des cultures sans sol, des élevages industriels concen-talionnaires, des poulaillers gigantesques, des aliments irradiés, « les viandes reconstituées, des tomates imputrescibles, des cultures conduites avec des herbicides et une large gamme de produits phytosanitaires.
Parmi toutes les innovations autrefois futuristes et pratiquées actuellement, la problématique des OGM est particulièrement significative d’un décalage entre les avancées technologiques et la demande sociétale. Il est certain en effet que l’ensemble de la population aspirait à pouvoir continuer à consommer les aliments naturels dont elle disposait depuis toujours. Cependant, les scientifiques ont cherché à mettre en œuvre les progrès de la biologie moléculaire. Les possibilités de modifier l’équipement génétique ( les plantes ou des animaux par des techniques de transgénèse ont semblé une voie très intéressante pour introduire des gènes nouveaux et disposer d’un instrument pour modifier le fonctionnement des organismes et leurs diverses expressions. Alors que le public est fortement demandeur de la technique de transgénèse pour générer des thérapies nouvelles permettant de traiter les déficits génétiques ou les pathologies diverses, il exprime une réticence viscérale à l’idée de consommer des produits alimentaires provenant de manipulations génétiques. Certes, l’homme a adapté depuis toujours les espèces végétales et animales à sa convenance par la sélection et le croisement génétiques, mais il n’était pas capable de créer des chimères, d’introduire des gènes étrangers à l’espèce et de faire exprimer ainsi aux plantes alimentaires des propriétés nouvelles : résistance à la sécheresse, aux parasites ou aux herbicides, synthèse accrue ou nouvelle de micronutriments.
De façon égocentrique, le citoyen consommateur s’est posé principalement la question de l’innocuité des OGM. Il est bien probable, en fait, que cette crainte sanitaire soit le plus souvent sans objet, toutefois le principe élémentaire de précaution s’applique particulièrement dans ce domaine. Le développement des OGM pose en fait des questions éthiques à plusieurs niveaux : celles de l’appropriation du vivant par les multinationales les plus performantes dans ces technologies, celles du développement
d’une agriculture toujours plus productiviste, celles des risques écologiques par la contamination des espèces similaires voisines, celles des déséquilibres dans les cultures végétales. Le problème le plus fondamental concerne le droit de l’homme à manipuler le vivant. En effet, on comprend bien que le développement de ce type de technologies n’en est qu’à ses balbutiements et que l’homme possédera un jour les moyens de modifier très fortement la nature des plantes et les équilibres naturels. Qu’il faille réfléchir longuement avant d’emprunter cette voie n’exclut pas que cette technique de transgenèse puisse se révéler utile. Les lobbies de biotechnologies font pression pour rentabiliser leurs investissements, et les OGM produits correspondent plus à des objectifs de performance agronomique productiviste qu’à une amélioration durable des plantes. Il est choquant de trouver déjà une fréquence si élevée de contaminations de semences ou d’aliments par des OGM, ce qui ne correspond vraiment pas à une démarche qualité de la part des filières concernées. La législation actuelle autorise une contamination de 0,9 % par les OGM, ce qui pour certains experts est un seuil très faible !
Même s’ils ne constituent pas un danger avéré pour la santé, les OGM continuent à être un motif d’inquiétude pour une large partie de la population. À cela s’est ajoutée la crise de la vache folle qualifiée d’encéphalite spongiforme bovine, une maladie à prions responsable de dégénérescence cérébrale. Les risques courus par l’homme, à long terme, ont fait de la survenue de cette pathologie le point culminant des inquiétudes sécuritaires et de remise en cause des pratiques de la chaîne alimentaire. Le fait de donner des protéines animales aux ruminants a été perçu comme un acte de non-respect du statut animal de ces herbivores. Heureusement, l’interdiction des farines animales a permis de stopper cette épidémie de vache folle et a rétabli la confiance du consommateur. Avec une chaîne alimentaire contrainte aux turbulences et aux pressions économiques des plus diverses, les accidents sanitaires constituent toujours un choc brutal pour les consommateurs et les filières concernées. Dans ces conditions difficiles, il est prévisible que les problèmes sanitaires engendrés apparaîtront au grand jour lorsque des liens avérés auront pu être établis avec les pratiques actuelles.