L'industrie pharmaceutique : Changement de méthode
Le passage des études ouvertes aux études contrôlées va modifier toute la mise en scène de l’invention des médicaments. Comment savoir ce que fait une molécule si on n’a plus le droit de l’essayer en ouvert sur tout et n’importe quoi ? Cela devrait normalement être indiqué par les tests réalisés sur des animaux. Le problème est que ces tests tirent presque toujours leur valeur prédictive du fait qu’ils ont été efficaces pour des médicaments précédents. Les essais cliniques déjà réalisés chez l’homme sont l’instrument qui a montré quels tests chez l’animal étaient bien prédictifs et quels tests n’avaient aucune valeur. Contrairement à ce que l’on imagine lorsque l’on se représente l’invention des médicaments selon une segmentation rigide, dans laquelle les essais sur les humains succèdent logiquement aux essais sur les animaux, ce sont les essais cliniques sur les humains qui ont validé ou invalidé la plupart des tests sur des animaux que l’on utilise. Le serpent se mord la queue. On a donc désormais les plus grandes chances du monde de n’inventer que des successeurs aux médicaments déjà existants. Une véritable nouveauté a peu de chance de sortir de ce processus désormais bien réglé.
On peut donc ramener la question de l’expérimentation de candidats médicaments à trois cas de figure. Le premier est celui des maladies infectieuses : ce qui se passe dans une boîte de Pétri où l’on cultive un germe infectieux peut être considéré comme une « réduction » fonctionnelle de ce qui se passe dans un corps humain vivant, permettant de tester efficacement de nouvelles molécules. C’est là que la médecine des preuves est née et que, de la tuberculose au sida, elle a remporté ses plus grands succès (même si les chercheurs insistent plus que jamais sur le fait que ces victoires sont peut-être provisoires, tant les germes évoluent rapidement pour donner naissance à des souches résistantes). Mais cette méthode n’est pas généralisable à toutes les maladies humaines, comme on l’a peut-être cru trop rapidement.
Dans le deuxième cas, un ou des médicaments existent déjà (antiallergiques, neuroleptiques, etc.). Les tests sur cellules et animaux sont considérés comme validés au sens fort, lorsque plusieurs allers et retours ont eu lieu entre les essais cliniques chez l’homme et les essais sur animaux. Les chercheurs des laboratoires ne retiennent plus que les tests sur animaux qui sont toujours corrélés à de bons résultats dans les essais cliniques. Le risque, dès lors, est de toujours inventer des médicaments très peu différents des précédents, mais dont l’efficacité « supérieure » coûtera beaucoup plus cher à vérifier.
Dans le troisième cas, il n’y a pas de médicament analogue préexistant : aucun aller et retour entre clinique et préclinique n’a donc pu avoir lieu. Prenons-en un exemple brûlant pour beaucoup d’industriels du médicament. Dans la « mort neuronale », conséquence d’un traumatisme crânien ou d’un accident vasculaire cérébral, les tests animaux ou sur cellules ne sont actuellement pas validés par ce type d’allers et retours, puisqu’aucun médicament n’a fait la preuve de la moindre efficacité pour arrêter ou freiner le processus expansif de mort neuronale chez l’homme. Or les tests animaux de nouvelles molécules visant cet objectif ne sont absolument pas fiables : ils donnent une multitude de résultats positifs (on voit même les neurones repousser sous le microscope !), alors même que toutes les études cliniques donnent des résultats négatifs. Cela ne changera que lorsque l’on aura enfin trouvé un médicament efficace (mais par quels chemins ?). Ensuite, les tests précliniques pourront être validés et de nombreux successeurs inventés. L’idéal est donc de passer du troisième cas au deuxième. La stratégie des « successeurs » est induite par la méthodologie des essais contrôlés.
Il faut bien reconnaître que la dangereuse méthode Justin- Besançon favorisait les découvertes transversales, les bifurcations, les surprises. On voit que le processus d’invention est profondément modifié depuis les années 1970. Entre la méthode Justin-Besançon et la tuyauterie créée par les essais cliniques, avec tous leurs effets en amont et en aval, tout a changé.
Vidéo : L’industrie pharmaceutique : Changement de méthode
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