L'imposture delibéree
Dans le livre de Tobit ‘, l’ange Raphaël ordonne à Tobias de pécher un poisson, de lui prélever le fiel et de l’appliquer sur les yeux de son père Tobit, devenu aveugle : « Le remède fera se craqueler et s’écailler les leucomes de ses yeux ; alors ton père recouvrera la vue et verra la lumière. » La sécrétion du poisson permet donc à un leucome – trachome ? taie coméenne ? cataracte? – de s’écailler, de devenir comme une peau de poisson à qui il est facile de retirer les écailles. Ces temps sont loin, me direz-vous. Détrompez-vous ! L’organothérapie fait mieux dans la magie ou l’imposture. Cette technique particulière consiste à injecter des extraits d’organes qui évoquent généralement la partie souffrante du malade. Pour les troubles de la ménopause, l’organothérapie propose un extrait d’ovaire de truie. Pourquoi de truie ? Mystère des relations symboliques des organothérapeutes avec les femmes ménopausées ! Récemment, nous avons aussi pu rencontrer une jeune fille qui souffrait d’un disgracieux ptosis ou chute de paupière. Un grand spécialiste, ophtalmo-charlatanologue de son état, lui injecta de l’extrait de paupière dont l’origine reste d’ailleurs questionnable tout autant, bien sûr, que l’absence de tout résultat !
Cette dernière histoire met bien en lumière à quel point le placebo se prête à l’utilisation frauduleuse et à l’exploitation commerciale. Le discrédit attaché à de telles pratiques risque fort de retomber sur la médecine tout entière. Car, au fond, comment être sûr, lorsqu’on est patient, de distinguer l’authentique médecin du charlatan cynique qui abuse de la crédulité des malades pour leur soutirer le maximum d’argent et qui se moque éperdument de l’efficacité du traitement? La prescription de substances pharmacologiquement inactives par les médecins eux- mêmes vient encore compliquer le jeu et renforcer les risques d’assimilation.
De fait, la commercialisation d’un pur placebo peut se révéler extrêmement juteuse. L’astuce consiste à convaincre l’ensemble du public de la réalité de l’activité thérapeutique d’un procédé particulier. Voilà comment, pendant plusieurs années, on a vu pendre à l’arrière des voitures de petites chaînes, puis des bandes d’une matière noire, style caoutchouc, qui étaient destinées à combattre le mal des transports. Pour réussir ce type d’opération, deux conditions sont nécessaires. D’abord, il faut bien entendu que l’indication soit large. Ici, pas de problème. Rares sont les familles où l’un au moins des enfants, à peine arrivé sur une route tortueuse mais sans aires d’arrêt, n’a pas la fâcheuse habitude de restituer l’ensemble de son petit déjeuner, de préférence sur la robe du dimanche, étrennée pour assister à un mariage bucolique et très chic, dans une ravissante petite chapelle de campagne. La deuxième condition est de forger une explication physio-pathologique pour rationaliser l’action du produit. Comme chacun sait, le mal des transports est dû à un problème d’électricité statique et de magnétisation. Il suffit donc, grâce à un système généralement breveté et exclusif, d’établir un contact entre la partie métallique de la voiture et le sol pour évacuer toute ces influences néfastes. Comme toujours, il existe une idée simple – et un jeu de mots – derrière cet habillage pseudo-scientifique. Le mal au cœur étant en partie lié au fait d’être dans un véhicule en mouvement, l’opération consiste à relier l’automobile à la terre, comme en électricité. Le conducteur – la chaîne métallique ou la bande de caoutchouc – joue alors, ni plus ni moins le rôle d’une « terre » ! Le tour linguistique est joué : de mouvant, le véhicule se retrouve symboliquement rat- laché à la terre ferme. Il faudrait vraiment être dérangé pour vomir dans une voiture reliée au sol ! Il est d’ailleurs probable qu’un certain nombre d’enfants ont été guéris de leur malaise grâce à la croyance qu’avaient leurs propres parents dans l’efficacité du procédé. Aujourd’hui, la mode est plutôt aux petits aimants collés derrière l’oreille, sans que, là non plus, des études très sophistiquées aient été réalisées.
Parfois, ce n’est plus le fabricant mais le public qui attribue des vertus supplémentaires à certains produits. Ainsi le Prozac, antidépresseur de la nouvelle génération au succès commercial fulgurant et mondial, s’est-il vu affublé par certains de ses adeptes de vertus initialement non prévues, qui ont détourné le médicament de ses indications « normales » et en ont fait la pilule du bonheur, la gélule que l’on absorbe à la moindre contrariété. Au cours d’une émission télévisée, certains utilisateurs de Herbalife, un composé destiné à être substitué aux repas dans un but d’amaigrissement, se sont également mis à vanter leur produit qui, non seulement procurait un bien-être total, mais guérissait cancers, psoriasis et ulcères à l’estomac.
Or il ne faudrait pas imaginer que le placebo est une création angélique, une technique anodine, un aimable leurre. Sa prescription peut se révéler blessante, voire dangereuse, surtout si elle est inconsciente. Un article de la revue Ça m’intéresse dénonçait, en 1992, les risques des copies de médicaments, car, de la même manière que sont fabriquées des imitations de sacs Vuitton, de carrés Hermès ou de polos Lacoste, certains escrocs se sont attaqués au juteux marché de la pharmacie. Plusieurs cas de figure existent. La contrefaçon peut être parfaite, la molécule et le dosage identiques.
Le seul préjudice est économique. Dans d’autres cas, pour des raisons de coûts de production, si la molécule est la même, son dosage est inférieur. C’est ainsi qu’en 1980 plusieurs personnes en Hollande sont mortes, car leur médicament cardiologique ne contenait que la moitié de la dose prescrite. Troisième cas de figure, probablement le plus fréquent car le plus lucratif, les boîtes et les comprimés, parfaitement identiques aux vrais quant à leur présentation, ne contiennent que du placebo. Le lactose ou l’amidon coûtent nettement moins cher à produire que les produits actifs ! En Asie du Sud-Est, un médicament sur deux serait faux et proviendrait du Viêt-nam ou de Thaïlande. En Afrique de l’Ouest sont fabriqués des placebos de quinine, probablement responsables de très nombreuses morts et de la propagation du paludisme. Enfin, dernier cas, pire encore, le médicament actif est remplacé par un placebo impur, inactif sur le plan des effets thérapeutiques, mais violemment toxique. Au Nigeria, des escrocs ont remplacé le para- cétamol – antalgique courant – par un solvant industriel, sans effet sur la douleur, mais particulièrement dangereux pour les reins. Cent neuf enfants de moins de six ans en sont morts. Le prescripteur ignorait totalement ce qu’il prescrivait. Cet exemple abominable prouve les dangers de l’utilisation d’un placebo et, a fortiori, d’une substance toxique en cas de maladie évolutive. Même prescrit avec conviction, un médicament toxique reste un poison.
Vidéo : L’imposture delibéree
Vidéo démonstrative pour tout savoir sur : L’imposture delibéree
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