l'heure des révélations à l'épreuve de vérité
Lorsqu’on veut s’assurer de l’efficacité cl surtout de la spécificité d’action d’un médicament, on doit pouvoir éliminer tous ses effets non spécifiques dans une situation donnée, qu’ils soient liés à la maladie et à son évolution naturelle – guérison spontanée -, au malade – suggestibilité – ou au médecin – pouvoir de conviction. La seule façon de réaliser cet objectif est de le comparer à un placebo, identique en tout point dans sa présentation (forme, taille, texture, couleur, odeur, saveur). Très souvent le problème est résolu en scellant le médicament étudié dans une gélule, et le placebo, poudre pharmacologiquement inerte, dans une gélule identique. Dans tous les cas, l’étude doit être randomisée, ce qui signifie que le produit, verum ‘ ou placebo, sera tiré au sort : le prescripteur ne peut décider a priori qui recevra quoi. Autrement, il y aurait, plus ou moins volontairement, ce qu’on appelle un biais d’inclusion, le prescripteur choisissant de donner le verum aux malades qu’il « aime bien » ou à ceux qu’il pense plus gravement atteints et « balançant » le placebo à ceux pour lesquels il éprouve de l’agressivité, de l’indifférence ou qu’il juge moins sérieusement touchés. Il est bien évident que dans de telles conditions, on risque de constituer deux groupes différents, donc non comparables.
L’idéal est la méthode dite du double aveugle où ni le patient ni le médecin ne connaissent la nature du produit prescrit. Comme l’un et l’autre ignorent ce qui est réellement pris, aucune attitude ou contre-attitude téléguidée par une croyance dans l’efficacité du médicament étudiée ne peut être adoptée. Cette méthode permet en principe d’éviter tous les biais de sélection déjà décrits mais aussi ceux qui pourraient survenir ruroms d’étude. Le code de randomisation, c’est-à- du i‘ la liste numérotée comportant l’ordre des malades avec ce qu’ils reçoivent, est placé dans une i nvcloppe scellée qui ne pourra être ouverte qu’en cas d’incident ou accident thérapeutique (en cas d’intoxi- i alion, par exemple, les centres de toxicologie doivent pouvoir savoir ce qui a été absorbé, tout le traitement i le réanimation pouvant en découler) et, bien entendu, une lois l’étude terminée.
C’est en 1951 qu’a été publié le premier véritable essai contre placebo, permettant de prouver l’effica- eité d’un médicament. Depuis ont été publiées des dizaines, voire des centaines de milliers d’essais contre placebo, utilisant la méthode dite en insu ou en aveugle. Pourtant, bien qu’une telle méthode soit indispensable pour assurer l’efficacité réelle d’un produit ou prouver les fondements incontestablement scientifiques d’une thérapeutique, son utilisation s’accompagne encore aujourd’hui d’un reste de mauvaise conscience. Lorsqu’il s’agit de « casser le morceau », de divulguer son existence, le vocable placebo a parfois du mal à passer. Tant que le consentement expresse du patient à être enrôlé dans une recherche pharmacologique n’était pas obligatoire, le clinicien chercheur, dans les meilleurs des cas, informait oralement son malade et, généralement, n’effleurait qu’à peine, ou de façon absconse, la possibilité de recevoir un placebo (une chance sur deux, sur trois ou sur quatre selon les cas).
Maintenant, avec la loi Huriet, les choses ont bien changé. Une feuille d’information écrite est remise au patient et doit obligatoirement stipuler cette possibilité. Dans un premier temps, les réactions des investigateurs ont été extrêmement variables. Certains d’entre eux ont refusé tout net d’entreprendre des études comprenant un groupe placebo. D’autres ont joué le jeu, mais ont exercé différentes pressions pour que les laboratoires rédigent les fameuses fiches de consentement en utilisant des périphrases plus ou moins claires et surtout pour qu’ils bannissent le fameux mot. Quels ont donc été les termes utilisés? À partir des trois cents études contrôlées qui ont été examinées en trois ans par les CCPPRB A et B 1 de Lyon et grâce à laide de leur secrétariat, nous avons pu isoler un certain nombre de dénominations. Certaines sont assez ésotériques, pour ne pas dire hypocrites : « Le patch pourra être testé seul (sans produit) ou si nécessaire avec un véhicule (témoin négatif) », « Il est important de comparer les patients recevant l’un des deux médicaments à des personnes ne recevant pas de traitement actif, ceci est nécessaire afin de déterminer l’action effective de chaque médicament ». D’autres sont claires, mais une certaine culpabilité semble encore s’exprimer à travers une explication embarrassée quant à la nécessité de la procédure (pourquoi, franchement, le ferait-on si ce n’était pas indispensable ?) : « Placebo, sorte de médicament sans effet pharmacologique propre mais pouvant avoir un effet psychologique favorable » ou encore « Substance pharmacologiquement inactive nécessaire pour établir une comparaison ». D’autres formulations sont claires et compréhensibles, mais évitent encore le terrible mot : « Le deuxième traitement ne contient pas de produit pharmacologiquement actif », « Produit pharmacologiquement neutre », « Produit sans action pharmacologique spécifique », « Produit sans action pharmacologique propre » ou encore « Substance pharmacologiquement inactive », « Produit pharmacologiquement inerte », « Produit de même aspect mais dépourvu de principe actif », « Traitement d’aspect identique mais non actif », « Produit à une dose pharmacologiquement inactive ». Enfin, et c’est maintenant le plus fréquent, l’information claire et précise n’hésite plus à placer le mot : « Placebo (substance inactive) », « Placebo, produit sans propriétés pharmacodynamiques spécifiques », « Placebo, c’est-à- dire un produit ne contenant aucun agent actif », « Comprimés contenant une substance dénuée de principe actif, appelée placebo », « substance non active de même présentation (placebo) », « Produit inactif (placebo) ».
Enfin, placebo n’est plus un gros mot! Et c’est heureux lorsqu’on voit ce que son utilisation secrète dans la méthode du double aveugle a permis de découvrir en un temps où la législation netait, malheureusement, pas suffisamment stricte.
Vidéo : l’heure des révélations à l’épreuve de vérité
Vidéo démonstrative pour tout savoir sur : l’heure des révélations à l’épreuve de vérité
https://www.youtube.com/embed/2ZNKHkjI3tI