L'explosion des coûts de conception des nouveaux médicaments
Pour justifier les demandes de prix élevés pour les nouveaux médicaments, les grands groupes pharmaceutiques, relayés par les pouvoirs publics — et en premier lieu par le gouvernement des États-Unis —, mettent en avant un fait qui semble incontestable : la mise au point de nouveaux médicaments coûte de plus en plus cher. Ainsi, selon les chiffres du gouvernement américain, l’investissement annuel de l’industrie pharmaceutique aux États-Unis a été multiplié par quatre entre 1985 et 1996, passant de 4 à 16 milliards de dollars (notons que seule cette variation a vraiment un sens, et non les chiffres en valeur absolue, car ce qui est comptabilisé par l’industrie pharmaceutique en coût de R & D — recherche et développement — est assez hétéroclite ; mais on peut penser que cela l’était autant en 1985 qu’en 1996). En 1997, cette somme atteindrait 19 milliards. Ainsi le budget de recherche consacré aux médicaments aux Etats-Unis double tous les cinq ans depuis 1970. L’augmentation des coûts de recherche serait de 50 % plus élevée que le taux général d’inflation.
De fait, selon une étude réalisée par l’Office of Technologie Assissent (OTA, organisme créé par le Congrès des États-Unis et dissous depuis), le coût de mise au point d’un nouveau médicament est considérable : il était estimé en moyenne, pour 1993, à 802 millions de dollars. Les résultats étaient fondés sur des données transmises de manière confidentielle aux auteurs par dix grands laboratoires. Le coût du médicament est évalué en tenant compte de trois données : le coût des études précliniques, des études cliniques, mais aussi « les profits que l’industriel aurait faits s’il avait investi ses capitaux dans un autre domaine de recherche et développement » (ce qui est, semble-t-il, un mode de calcul classique).
Une autre étude, réalisée par l’ancien directeur de la recherche et du développement de Hoffmann LaRoche, Jürgen Drews , donne des montants moins importants, mais confirme l’augmentation vertigineuse de ce coût moyen, passé de 24,4 millions de dollars pour la période 1955-1966 à 54 millions en 1976, 359 millions en 1990 et 700 millions en 1997. Si on prolonge cette tendance, le coût moyen passerait à 1,25 milliard de dollars en 2006.
On peut évidemment s’interroger sur la fiabilité de ces chiffres, en particulier ceux de l’étude OTA. Le débat a d’ailleurs eu lieu aux Etats-Unis (et il serait bienvenu qu’une commission d’enquête parlementaire, par exemple, s’y intéresse également en Europe). Très vite, en effet, des doutes se sont exprimés sur l’objectivité de l’étude OTA, dont les auteurs se trouvent être très proches de l’industrie pharmaceutique (ils n’ont fait, dans ce rapport, que reprendre des chiffres d’une étude qu’ils avaient précédemment réalisée et publiée, en 1991, sous les auspices du PhRMA, le syndicat professionnel).
Un économiste américain, James Lovei2, a eu la bonne idée de comparer l’évaluation du coût moyen avancé par l’étude OTA avec celui des « médicaments orphelins » (orphan drugs), dont le financement est assuré pour moitié par des fonds publics, par le biais de réductions d’impôts. Dans sa définition américaine, un médicament « orphelin » est destiné à soigner une maladie peu fréquente, c’est-à-dire touchant moins de 200 000 personnes aux États-Unis, ou encore qui touche plus de 200 000 personnes mais pour laquelle on a de bonnes raisons de croire que le coût de développement et de fabrication ne sera quand même pas couvert par les ventes aux États-Unis seuls. Cette subvention peut aussi être obtenue si des indications potentielles du médicament concernent une maladie rare, indépendamment de ses autres usages. Ce fut ainsi le cas du Taxol® de Bristol-Myers Squibb (BMS), utilisé à la fois dans le traitement d’une maladie rare (le sarcome de Kaposi accompagnant le sida) et dans celui d’une maladie beaucoup plus courante, le cancer du sein. C’est aussi le cas d’autres médicaments devenus par la suite des blockbusters, c’est-à-dire générant un chiffre annuel de plus de 1 milliard d’euros, comme le Gleevec® de Novartis, l’Epogen® et le Neupogen® d’Amgen, l’Humatrope® de Lilly, ou l’AZT® de Glaxo.
Ainsi, entre 1983 et 1993, quatre-vingt-treize médicaments orphelins ont été mis sur le marché nord-américain (en moyenne, plus de 20 % des médicaments obtenant leur autorisation de mise sur le marché aux États-Unis ces dernières années bénéficient de ce statut). Or, les coûts des essais cliniques, dont on considère généralement qu’ils constituent 42 % du budget total de îa mise au point d’un nouveau médicament, apparaissent pour ces médicaments orphelins trois fois moins élevés que ceux de l’étude OTA.
Comment expliquer cet écart ? Essentiellement par le fait que, pour les nouveaux médicaments classiques, les industriels placent dans la rubrique « recherche et développement » des dépenses considérables qui relèvent en réalité de la promotion. Ainsi, de nombreuses études (par exemple la plupart des essais dits de phase 4 : voir encadré ci-après) sont commandées et réalisées en fonction — et en fonction seulement — des objectifs du marketing. En donnant aux médecins l’occasion de tester — contre rémunération — un nouveau médicament à large échelle, ces études visent surtout à les habituer à le prescrire. À la différence des médicaments orphelins, qui ne nécessitent pas d’importantes opérations de marketing puisqu’ils visent des cibles limitées, les autres nouveaux médicaments supposent, pour s’imposer sur le marché, des investissements promotionnels considérables (comptabilisés en R & D), et qui le sont d’autant plus que leurs avancées thérapeutiques sont limitées. De quoi s’interroger sur les chiffres donnés par les industriels dans leur communication !
Vidéo : L’explosion des coûts de conception des nouveaux médicaments
Vidéo démonstrative pour tout savoir sur : L’explosion des coûts de conception des nouveaux médicaments