L'exploitation commerciale du phénomène placebo
Les publicistes se servent délibérément, et sans vergogne, de ce type de mécanisme plus ou moins conscient. Ainsi une « publi-information » parue dans la revue Marie-Claire concernant une eau minérale italienne (l’eau pure étant, par définition, le plus pur des placebos). Le texte est particulièrement lyrique : « Au siècle dernier, aristocrates milanais, poètes et musiciens venaient en villégiature profiter de cette eau divine qui comptait, parmi ses vertus, de stimuler intelligence et inspiration… Peut-être est-ce ici même que Léonard de Vinci (qui y aurait trempé ses pinceaux) a puisé une partie de sa créativité et de son génie tant il est vrai que cette eau fantasque, un rien diva, un brin sophistiqué, a ce goût d’éternité qui symbolise toute l’Italie. » Il s’agit, subtilement, de créer ici un amalgame, une association d’idées : des créateurs et parmi eux, le plus grand, Léonard, ont bu de cette eau, donc il existe un lien entre le précieux breuvage et le génie. De plus, le génie étant étemel, comme chacun sait, il devient tout naturel de penser que cette source, moderne fontaine de Jouvence, amène l’immortalité.
C’est ce type de « preuve séquentielle » qui sera à l’origine de la majorité des croyances en l’activité de telle ou telle méthode thérapeutique révolutionnaire et miraculeuse, qui aura d’autant plus de chances de succès quelle concernera une maladie spontanément curable ou sujette à des variations symptomatiques plus ou moins rapides et imprévisibles. La sclérose en plaques, par exemple, est une maladie grave faite de poussées aiguës, avec apparition de déficits neurologiques, entrecoupées de phases de rémissions symptomatiques, ayant toutes les apparences d’une « guérison » plus ou moins complète. Ces rémissions ont des durées hautement variables, mais sont parfois très prolongées. De nombreux charlatans se sont vantés d’être capables de guérir cette affection grâce à leurs mystérieuses préparations, généralement coûteuses, et ont réussi à convaincre nombre de malades et de familles, uniquement à cause du caractère instable et pour le moment désespéré de la maladie. Le caractère labile et spontanément réversible des symptômes de la sclérose en plaques fait de ces malheureux patients des proies faciles alors que l’évolution régulière, progressive et inéluctable de la maladie de Par- îdnson la met en principe à l’abri des escrocs et des charlatans.
Séquence ou conséquence ?
De très nombreux facteurs sont en cause dans le mécanisme d’action du placebo, parmi lesquels la succession entre la prise d’un produit et la guérison d’un symptôme ou d’une maladie. Lorsque un individu a contracté« habitude » de guérir un symptôme avec une substance donnée, même inerte pharmacolo- giquement, il tendra à « reproduire » la guérison chaque fois qu’il recevra cette même substance. Il ne s’agit plus d’une coïncidence, mais d’un conditionnement à guérir qui, lui, fait indubitablement partie des mécanismes d’action du placebo.
Plus fondamentalement, il existe chez l’homme civilisé adepte, par nature, du culte scientifique, un véritable conditionnement au comprimé selon la séquence : maladie —> consultation -> ordonnance -> médicament guérison. Le simple fait d’absorber quelque chose qui ressemble à un médicament constitue déjà un signal prometteur de guérison ! Une expérience qui ne sera probablement jamais réalisée pour des raisons éthiques et, malheureusement, géopolitiques, consisterait à administrer, en double aveugle, des comprimés de placebo versus comprimés de produit actif à l’un de ces utopiques bons sauvages chers à Jean-Jacques Rousseau, c’est-à-dire à un sujet n’ayant jamais eu de contact avec la civilisation. Gageons que la première fois, au moins, l’effet placebo du comprimé inerte n’existerait pas, car le comprimé ne correspondrait à aucune représentation.
Un effet placebo très pur peut d’ailleurs facilement être obtenu chez l’homme en le conditionnant à réagir à un comprimé actif, puis à un comprimé inactif. Un patient insomniaque est conditionné à s’endormir sous l’action conjuguée d’un comprimé barbiturique et d’une lumière bleue. Progressivement, un placebo est substitué au somnifère. Le patient continue à s’endormir lorsque l’on allume la lampe bleue. Plus tard, il n’est même plus besoin de donner le placebo. L’homo occidentalis est bien conditionné à guérir sous l’effet des médicaments. L’acte de prescription qui inclut des lieux, des personnes, des procédures, des objets, des ingrédients, actifs ou non, remplace la lumière bleue et constitue en soi un signal précurseur de guérison. Anticipant sa guérison sous l’effet du signal-médicament, le patient amplifie la réponse thérapeutique; c’est justement là que se situe une partie de l’effet placebo. Cet éclairage comportementaliste permet de comprendre que l’effet placebo puisse exis- ler chez l’enfant et chez l’animal, tous deux parfaitement conditionnables par l’intermédiaire des parents et des maîtres.
Vidéo : L’exploitation commerciale du phénomène placebo
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