Les hépatites médicamenteuses
Les hépatites médicamenteuses
Il est plus facile actuellement de dres¬ser la liste des médicaments qui n’ont jamais été incriminés dans la genèse de lésions hépa¬tiques que d’établir celle de tous les médica¬ments responsables d’hépatites médicamen¬teuses. En effet, cette dernière liste s’allonge de jour en jour, si bien qu’il est prudent de supprimer tout traitement médicamenteux non indispensable devant toute pathologie hépatique d’origine non évidente. De même, il est essentiel, chez tout malade ayant une quelconque pathologie hépatique, de recher¬cher la notion d’une prise médicamenteuse récente ou ancienne. Schématiquement, un médicament peut être toxique pour le foie soit du fait d’une toxicité constante, repro¬ductible et dépendant de la dose administrée, soit du fait d’une idiosyncrasie imprévisible, non reproductible chez l’animal, et ne dépen¬dant pas de la dose administrée. Le diagnostic d’hépatite médicamen¬teuse n’est pas toujours aisé. Les prises médi-camenteuses sont parfois multiples, et il peut donc être difficile d’incriminer tel ou tel pro¬duit parmi une longue liste de médicaments. Certaines prises médicamenteuses sont de surcroît souvent dissimulées au médecin, ou encore le principe actif responsable est camouflé derrière des autoprescriptions en apparence anodines. Il existe certes un moyen de diagnostic relativement fidèle : réintroduire le médicament incriminé lorsque l’hépatite a été guérie à la suite de la suspension de la prise médicamenteuse. Si cette réintroduction est suivie d’une réapparition des signes cliniques et biologiques de l’hépatite, il est clair qu’on peut imputer au médicament en question la responsabilité de l’hépatite. Cependant, la réintroduction ne reproduit pas toujours la maladie hépatique et, surtout, elle ne serait éthi- quement acceptable que dans le cas de médicaments strictement indispensables au traitement du patient. Dans le cas contraire, le risque entraîné est en général trop important pour la justifier. Au plan symptomatologique, on distingue les hépatites médicamenteuses à forme cholestatique et à forme cytolytique.
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Les formes cholestatiques
Les formes cholestatiques sont caractérisées par une cholestase intra-hépatique. Celle-ci associe une augmentation préférentielle de la bilirubine conjuguée à une élévation des phosphatases alcalines, les transami- nases étant normales ou modérément élevées. Le caractère intra-hépatique de la cholestase est affirmé par l’échotomographie hépatique, qui montre des voies biliaires intra et extra-hépatiques fines, non dilatées, et libres de tout obstacle. En cas de doute, l’absence d’obstacle sur les voies biliaires peut encore être affirmée par une cholangio- graphie trans-hépatique ou, surtout, par une cholangiographie rétrograde, plus facile à réaliser dans le cas où les voies biliaires ne sont pas dilatées. Une fois affirmé ce caractère intra hépatique de la cholestase, une biopsie hépatique met en évidence la cholestase histologi- que. La nécrose hépatocytaire est en effet absente ou minime et il n’y a pas non plus d’infiltration inflammatoire du parenchyme hépatique. Les hépatites médicamenteuses cholestatiques sont très souvent réversibles à l’arrêt du médicament.
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Les hépatites cytolytiques
Les hépatites cytolytiques s’opposent pratiquement point par point aux précédentes. En effet, la biologie révèle une cytolyse prédominante avec une élévation des transa- minases tandis que les phosphatases alcalines restent normales ou peu augmentées. L’élévation des transaminases, cependant, n’atteint que dans quelques cas les chiffres observés au cours des népatites virales. L’hépatite étant à prédominance cytolytique, il est rare que se pose le problème d’un obstacle sur les voies biliaires intra ou extra-hépatiques. L’échotomographie n’est donc pas indispensable, et la biopsie hépatique montre une nécrose le plus souvent centro-lobulaire ou parfois en pont (« bridging necrosis ») entre une veine centro- lobulaire et un espace porte, ou entre deux veines centro-lobulaires. Il existe plusieurs caractères histologi- ques qui permettent souvent de différencier l’hépatite médicamenteuse d’une hépatite virale’ en particulier l’absence d’infiltration inflammatoire, l’association à une stéatose et enfin la nécrose en pont elle-même (qui est rare au cours des hépatites virales). L’évolution des hépatites médicamenteuses cytolytiques n’est parfois pas aussi simple que celle des hépatites cholestatiques. Dans un cas sur cinq environ, on observe une forme grave et même mortelle. A côté de ces formes cholestatiques pures ou cytolytiques, il existe des formes mixtes, associant à des degrés divers la cholestase et la cytolyse. Ces formes mixtes sont très fréquentes au cours des hépatites médicamenteuses.
L’hépatite à l’isoniazide
L’hépato-toxicité de cet antituberculeux encore appelé INH a été surtout décelée lorsque l’isoniazide a été utilisé en association avec la rifampicine, antituberculeux puissant, d’apparition plus récente. Dans un premier temps, on a donc logiquement pensé que la rifampicine était le produit hépato-toxique. Cependant, par la suite, au cours d’une étude américaine où l’isoniazide avait été utilisé seul chez des patients ayant eu une simple positivation de leur intra-dermo-réaction à la tuberculine sans tuberculose évolutive décelable, il a été constaté que l’INH entraînait une hépato- toxicité dans environ 1 % des cas, l’ictère étant présent environ dans la moitié des cas, l’autre moitié étant représentée par des hépatites purement biologiques. On a ainsi com- ris que l’isoniazide était en réalité le produit épato-toxique, la rifampicine étant en elle- même dénuée d’hépato-toxicité et n’agissant que comme inducteur enzymatiaue. En effet, l’isoniazide ne devient toxi- ue pour le foie que par l’intermédiaire d’un érivé acétylé, cette acétylation étant sous la dépendance d’une enzyme dont l’activité est induite par la rifampicine. Dans ces conditions, rhépatite due à l’isoniazide apparaît dans les 30 à 60 jours après le début du traitement, tandis que l’hépatite liée à l’association isoniazide-rifampicine survient seulement de 5 à 10 jours après le début du traitement. Dans les deux cas, il s’agit d’une hépatite cytolytique (voir ci-dessus), dont l’évolution est variable. Tantôt les transaminases reviennent à la normale malgré la poursuite du traitement, tantôt la persistance des perturbations oblige à interrompre ce dernier ; enfin, il est des cas graves, voire mortels, du fait du développement d’une insuffisance hépato- cellulaire importante. Il est possible que ces cas graves se développent surtout chez les sujets capables d’acétyler rapidement l’isoniazide. On montre en effet que l’acétylation de l’isoniazide est schématiquement rapide ou lente, avec des variations individuelles et ethniques. Ainsi 90 % des sujets de race jaune sont des acéty- leurs rapides ; ils seraient ainsi davantage exposés au risque d’hépatite grave à l’isonia- zide. Le dosage de l’isoniazidémie après une dose de charge permet d’adapter la posologie de l’INH au cours du traitement de la tuberculose.
L’hépatite à l’halothane
Une controverse avait été engagée au sujet de l’éventuelle reponsabilité de l’halothane dans un certain nombre d’hépatites cytolytiques. Actuellement, il semble bien établi que cet agent volatil utilisé en anesthésie peut effectivement être responsable d’hépatites cytolytiques parfois graves. La maladie débute au moins sept jours après l’exposition à l’halothane, généralement par une fièvre ; l’ictère n’apparaît que trois jours plus tard. Ainsi, l’hépatite peut ne se déclarer qu’une fois le patient sorti de l’hôpital, et de ce fait être méconnue. On conçoit la gravité de cette méconnaissance de l’hépatite à l’halothane en cas d’anesthésies itératives. En effet, lorsque plusieurs anesthésies à l’halo- thane ont été pratiquées, l’hépatite apparaît plus tôt, marquée par une fièvre survenant 24 heures au moins après l’anesthésie, et un ictère survient au minimum trois jours après. Cliniquement, il s’agit d’une hépatite cytolytique, l’élévation des transaminases ouvant être très importante et simuler une épatite virale. La précocité et l’intensité de l’ictère sont des indices de mauvais pronostic. La formule sanguine montre parfois une hyper- éosinophilie. Lorsqu’une encéphalopathie hépatique survient, surtout si elle s’accompagne de troubles de la coagulation, l’évolution est généralement fatale. En revanche, lorsque la guérison se produit, elle est complète. Les premières études sur l’halothane ont fait ressortir une mortalité très importante, de l’ordre de 45 %. Il semble actuellement que cette mortalité soit surestimée ; c’est au contraire la fréquence de l’hépatite qui serait sous-estimée, les formes peu graves étant à la fois les plus fréquentes et les plus méconnues. Il n’y a pas de traitement spécifique de cette hépatite potentiellement grave et la meilleure parade reste la prévention ; l’emploi de l’halothane doit être évité chaque fois qu’on a le moindre doute sur une possible réaction avec ce produit lors d’une première anesthésie. Ainsi une simple fièvre postopératoire, si transitoire soit-elle-, si elle est restée inexpliquée, devrait conduite à l’éviction de l’halothane pour une anesthésie ultérieure. D’autres produits utilisés en anesthésie, dérivés de l’halothane (méthoxyfluorane), ont été également incriminés dans certaines hépatites cytolytiques. Les cas sont cependant rares.
L’hépatite aux contraceptifs oraux
Parmi ces produits, ceux qui contiennent à la fois des progestagènes et des œstrogènes ont été incriminés dans la genèse de deux types de lésions hépatiques, cholestati- que et tumorale :
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La cholestase
Il s’agit d’une cholestase généralement modérée, accompagnée d’un prurit, qui survient habituellement au deuxième ou au troisième cycle sous contraceptifs oraux. Cette complication est relativement rare en regard des millions de femmes utilisant ces produits. L’emploi de contraceptifs de moins en moins dosés diminue le risque de cholestase. Cependant, certains sujets semblent plus particulièrement exposés ; il s’agit des femmes ui ont fait ou qui feront une cholestase gravi- ique. De ce fait, un antécédent de cholestase ou simplement de prurit au cours du dernier trimestre d’une grossesse antérieure est une contre-indication à l’utilisation de contraceptifs oraux contenant œstrogène et proges- tagène. Ces sujets semble être essentiellement originaires d’Europe du Nord (Scandinavie) et surtout du Chili. Après l’arrêt du contraceptif, la régression de la cholestase est en général complète. Si ce n’est pas le cas, il faut suspecter une pathologie hépatique préexistante telle qu’une hépatite chronique ou une cirrhose biliaire primitive. Rappelons que en cas d’hépatite aiguë virale évoluant vers la guérison, l’usage des contraceptifs oraux peut être repris dès que la femme le souhaite. Enfin, rappelons encore que l’association d’un contraceptif oral à un macrolide (troléandomy_ cine notamment) majore le risque de cholestase.
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Les tumeurs hépatiques
L’adénome du foie, tumeur bénigne auparavant très rare, a vu son diagnostic reconnu dans un nombre croissant de cas depuis l’utilisation des contraceptifs oraux. Il en constitue une complication qui néanmoins reste rare, puisqu’il toucherait trois ou quatre utilisatrices sur 100 000. Le risque d’adénome semble d’autant plus grand que la contraception orale a été plus prolongée, et il semble également accru chez les femmes de plus de 30 ans. Plus exceptionnellement, on peut observer sous contraceptifs oraux un carcinome hépato-cellulaire, un cholangiocarci- nome, ou une péliose (5bis).
Les autres médicaments susceptibles de provoquer une hépatite
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Le paracétamol
Ce médicament antalgique et antiinflammatoire est abondamment utilisé, en particulier du fait de son absence de toxicité pour la muqueuse gastrique. A doses thérapeutiques, il n’entraîne pas de toxicité hépatique. L’ingestion de doses massives de paracétamol constitue une forme de suicide de fréquence croissante en Grande-Bretagne. Ainsi après l’absorption de 10 g de paracétamol, on observe, après un intervalle libre de 48 heures, un ictère cytolytique avec des tran- saminases très augmentées. Rapidement, le taux de prothrombine chute, une encéphalo- pathie hépatique apparaît, et l’évolution est fatale entre le cinquième et le dixième jour. 5bis) Il existe un traitement spécifique de l’intoxication par le paracétamol : il s’agit de la N-acétylcystéine. Ce produit, utilisé ailleurs comme fluidifiant des sécrétions bronchiques, est ici administré par voie veineuse. Parallèlement sont mis en œuvre un lavage d’estomac et les mesures habituelles de réanimation hydro-électrolytique. La N-acétylcystéine, qui est un précurseur du glutathion, doit être administrée à la dose de 150 mg par kg. Lorsque la régression est obtenue, la guérison est en général complète. On a cependant signalé des cas d’hépatite chronique, mais il s’agit de patients consommant le paracétamol de façon prolongée et à des doses suprathérapeutiques (aux alentours de 4 g par jour).
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Le maléate de perhexiline
Il s’agit d’un produit utilisé en cardiologie dans le traitement des angors rebelles et qui est doué d’une efficacité certaine dans cette indication. Dans un nombre de cas non négligeable, ce produit a été rendu responsable de lésions neurologiques périphériques, et surtout d’hépatites cytolytiques dont la particularité consiste dans une similitude histolo- gique avec l’hépatite alcoolique ; la présence de corps de Mallory est possible. Des cas d’hépatopathie chronique d’évolution cirrhogène mortelle ont été signalés avec ce médicament, et ce malgré l’interruption du traitement. Pour ces raisons, l’utilisation du maléate de perhexiline est limitée à quelques pays, dont la France. Sa commercialisation n’a pas été acceptée aux Etats-Unis.
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L’alpha-méthyldopa
Il s’agit cTün anti-hypertenseur qui entraîne dans 5 % des cas une élévation asymptomatique des transaminases. On soupçonne ici un mécanisme immunologique, car parmi les effets secondaires possibles de l’alpha-méthyldopa figurent également l’anémie hémolytique auto-immune et l’apparition de signes biologiques de lupus induit. L’hépatite apparaît dans les trois mois qui suivent le début du traitement. Elle est annoncée par une fièvre, bientôt suivie d’un ictère. L’arrêt du traitement entraîne le plus souvent la régression de l’hépatite, tandis que sa poursuite provoque une majoration de l’atteinte. L’évolution de l’hépatite à l’alpha- méthyldopa est cependant parfois grave, mortelle, malgré l’interruption du traitement. Des hépatites d’évolution chronique ont en outre été signalées.
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Les phénothiazines
Les phénothiazines sont responsables de cas d’hépatites en général cholestatiques. L’hépatite se manifeste dans les trois semaines suivant le début du traitement. Il s’agit d’une hépatite cholestatique pure, sans cytolyse, qui peut persister plusieurs semaines ou plusieurs mois après l’arrêt du traitement, mais dont la régression est finalement la règle. Dans ce groupe pharmacologique, c’est la chlorpro- mazine, neuroleptique couramment utilisé, qui a été le plus souvent incriminé.
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La phényl-indiane-dione
Ce médicament anti-vitamine K est responsable de certaines hépatites cholestatiques. Dans certains cas, une cytolyse est surajoutée, réalisant une hépatite mixte. L’hépatite s’annonce dans les trois semaines suivant le début du traitement ; elle est accompagnée de manifestations d’hypersensibilité (éruption cutanée, hyperéosinophilie).
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L’oxyphénisatine
Il s’agit d’un laxatif dont l’usage es: actuellement théoriquement interdit. Il a été incrimé dans la genèse de certaines hépatites chroniques.
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