LES HEPATITES
Désignant étymologiquement les maladies inflammatoires du foie, le terme d’hépatite correspond en pratique à des affections très différentes par leur étiolo- gie, leur morphologie et leur évolution.
Ces affections atteignent l’ensemble du parenchyme hépatique, et se traduisent par une atteinte hépatocytaire et une atteinte du tissu interstitiel, diversement associées.
Nous serons ainsi amenés à décrire dans ce chapitre les hépatites virales aiguës, les hépatites aiguës toxiques et médicamenteuses, et les hépatites chroniques.
L’HEPATITE VIRALE AIGUË
depuis la découverte en 1965 de l’antigène Australie, les connaissances en matière d’hépatite virale aiguë ont beaucoup évolué : on connaît en particulier aujourd’hui trois antigènes au virus B. La sérothérapie anti-B protège désormais efficacement les sujets à risque, tandis que le vaccin anti-B, actuellement au point, constitue la meilleure arme contre l’hépatite B et ses conséquences lointaines. L’incrimination récente de virus non-A, non-B, au comportement très voisin de celui du virus B, élargit encore le champ d’investigations et les espérances thérapeutiques.
Les virus en cause
Le virus A
Le virus A est un entéro-virus à ARN de 27 nanomètres de diamètre. Il peut être retrouvé dans les selles des malades environ deux semaines avant le début de l’ictère et il en disparaît une semaine à peu près après l’installation de ce dernier. Des anticorps séri- ques apparaissent alors, qui resteront détectables pendant de nombreuses années. Les anticorps de la classe
des Ig M ne persistent toutefois que deux à six mois : aussi leur présence dans le sérum signe-t-elle une infection récente par le virus A.
L’incubation de l’hépatite A dure de 15 à 20 jours. La maladie se transmet par l’ingestion a’eau ou d’aliments souillés ; les coquillages en particulier sont souvent incriminés. Il s’agit d’une contamination oro-fécale.
L’hépatite A frappe électivement l’enfant et l’adolescent. Elle est extrêmement fréquente, mais elle survient parfois sous forme inapparente. On estime ainsi que, en Europe occidentale et en Amérique du Nord, 80 % environ de la population a été en contact avec le virus.
Le virus A, enfin, ne donne jamais lieu à une hépatite chronique.
Le virus B
Le virus B dans sa forme complète est constitué par la particule de « Dane ». Il s’agit d’une sphère de 42 nanomètres de diamètre, constituée d’une nucléocapside entourée d’une enveloppe lipoprotéique. Dans la nucléocapside se trouve un ADN à double hélice. Cette nucléocapside est également le siège d’une activité antigénique, dite antigène HBc, ainsi que d’une activité ADN- polymérase.
il existe également un autre antigène, l’antigène HBe, qui représente probablement une partie de la nucléocapside. Enfin, un antigène est associé à l’enveloppe lipoprotéique ;
c’est l’antigène HBs, qui a été découvert en 1965 par Blumberg (prix Nobel en 1977) et auquel le nom d’antigène Australie a été donné parce que l’anticorps qui avait permis sa découverte ne réagissait qu’avec un sérum unique, celui d’un aborigène australien.
Une semaine environ avant l’apparition de l’ictère, le virus B est présent dans le sang, où il pourra être retrouvé pendant six semaines environ. Il arrive qu’il y persiste plus longtemps. Mais, au-delà de six mois, le malade est par définition un porteur chronique. Le virus B n’est pas rejeté dans les selles ; ;l est, en revanche, éliminé dans d’autres sécrétions : la sueur, le liquide séminal, le lait 2t les larmes.
Il n’y a pas de transmission du virus B par voie orale. Il existe deux modes de contamination :
— directe, d’individu à individu, notamment par voie sexuelle, ce qui explique la transmission des cas observée à l’intérieur d’une même famille et la fréquence de la maladie relevée chez les homosexuels et les prostituées ;
— par contact avec du sang infecté, qu’il s’agisse du contact des médecins, dentistes ou infirmières travaillant avec du sang de malade contaminé (notamment dans les centres d’hémodialyse) ou de l’inoculation accidentelle directe du virus B soit par transfusion de sang ou d’un dérivé sanguin (plasma ou albumine), soit encore par utilisation de matériel d’injection souillé non stérilisé (toxicomanes, tatoués).
L’élimination des donneurs de sang porteurs de l’antigène HBs a permis de réduire considérablement la fréquence des hépatites transfusionnelles, qui actuellement sont représentées à 90 ou 95 % par des hépatites non-A, non-B.
La présence dans l’organisme du virus B provoque l’élaboration d’anticorps spécifiquement dirigés contre les trois antigènes du virus. Un anticorps dirigé contre l’antigène HBs, appelé anti
HBs, apparaît dans le sérum environ trois mois après le début de la maladie et y persiste souvent indéfiniment. Cet anti-HBs confère une immunité contre la maladie ; cependant, 10 à 15 % des patients ne développent jamais cet anticorps.
L’antigène HBe apparaît dans la semaine qui suit le début de la maladie et doit disparaître environ une semaine après. Sa persistance implique que le malade est un porteur chronique. La disparition de l’antigène HBe est généralement suivie de l’apparition d’un anticorps appelé anti-HBe. Cette séroconversion est un témoin fidèle d’une évolution favorable, véritable compte-à- rebours de la guérison.
Un anticorps dirigé contre l’antigène nucléocapsidique HBc enfin apparaît dès le début de la maladie. Cet anticorps, appelé anti-HBc, restera présent dans le sérum pendant plusieurs mois. Il constitue un bon marqueur d’une infection par le virus B lorsque l’antigène HBs fait défaut.
Les virus non-A, non-B
Il s’agit d’un, ou plus probablement d’au moins deux virus différents, dont le comportement est voisin de celui du virus B. L’épi- démiologie du (ou des) virus non-A, non-B, est ainsi, apparentée à celle du virus B. La virémie est prolongée ; il existe des porteurs chroniques.
La transmission se fait également par inoculation directe du sang contaminé, mais la maladie peut aussi se présenter sous forme d’épidémies, ce qui implique une transmission directe d’individu à individu. Il n’y a pas d’immunité croisée entre les divers virus responsables d’hépatite. Ainsi un sujet qui a fait une hépatite B ne peut en être’de nouveau affecté. Il peut par contre être atteint d’hépatite A ou d’hépatite non-A, non-B.
Les autres virus
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Le virus d’Epstein-Barr
Au cours de la mononucléose infectieuse, maladie aiguë le plus souvent bénigne due au virus d’Epstein-Barr, une hépatite infraclinique et anictérique est la règle. Seul, le bilan biologique hépatique la met en évidence, en montrant une élévation mode-— des deux transaminases, et plus marquée phosphatases alcalines. La bilirubine es: plus souvent normale. Cependant, dans c_f ques rares, cas, elle est élevée : il s’agit de formes ictériques.
Enfin, il existe d’exceptionnelles mes
fulminantes, survenant électiverre– chez des immuno-déprimés.
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Le catomégalovirus
Ce virus, dont la prédilection pour ~ sujets immuno-déprimés est bien connait peut être responsable d’hépatites cytoKt- ques, rarement graves.
Précisons enfin que de nombre.: autres virus peuvent entraîner une hépatite en règle modérée, et dont le tableau re? »r accessoire, souvent limité à des signes biolc- giques. Parmi ces agents, il convient de cite* notamment les virus coxsackie.
L’anatomie pathologique
Les lésions hépatiques observées a_ cours des hépatites aiguës ne sont pas directe ment liées au virus en cause. Ceci est en to_- cas bien connu pour le virus B, dont on sa’ qu’il n’est pas directement cytopathogène Les lésions sont dues à l’existence de réactions immunologiques liées à l’apparition à ; surface des hépatocytes du déterminant an: • génique HBs du virus B. Quant aux manifestations extra-hépatiques de l’hépatite B, elle; pourraient être liées, au moins pour une pa’- tie d’entre elles, à des dépôts de complexe.- immuns d’antigène HBs et d’anti-HBs.
Les lésions histologiques de l’hépatite virale sont de deux types : altérations hépato- cytaires et réaction inflammatoire.
Les altérations hépatocytaires
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La ballonnisation
Les hépatocytes ballonnisés sont augmentés de volume, arrondis et leur noyau est généralement pycnotique.
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La dégénérescence acidophile
Cette dégénérescence est caractérisée par la disparition de la basophilie habituelle du cytoplasme. Ces lésions hépatocytaires sont d’autant plus importantes que la maladie est plus sévère. Ainsi, dans une hépatite fulminante, la quasi-totalité des hépatocytes est touchée.
Il n’est pas possible, au cours d’une hépatite virale aiguë B, de mettre en évidence en microscopie optique l’antigène HBs à l’intérieur des hépatocytes. Ceci est par contre possible au cours des hépatites chroniques B, grâce à diverses colorations spéciales, en particulier la coloration orangée à l’orcéine dite « de Shikata ».
La réaction inflammatoire
Elle consiste en l’apparition d’une inflammation parenchymateuse par des cellules mononucléées (lymphocytes ou plasmocytes). Les cellules de Küpffer (qui constituent l’appareil macrophagique du foie) sont augmentées en volume.
La clinique
Les premières manifestations cliniques de la maladie apparaissent au terme d’une période d’incubation de 10 à 20 jours pour l’hépatite A, de 50 à 120 jours pour l’hépatite B, et de durée intermédiaire pour les hépatites non-A, non-B.
les formes habituelles
Il existe habituellement une phase
pré- ictérique d’environ 4 à 10 jours, réalisant en général un syndrome d’allure grippale, parfois accompagné de douleurs de l’hypocon- dre droit.On peut observer une triade particulière (décrite par Caroli), associant céphalées, arthralgies et urticaire. Il n’y a pas d’ictère, mais les urines sont foncées. Si l’on voyait le patient à ce stade, on pourrait déjà faire le diagnostic grâce aux anomalies biologiques (voirl).
L’ictère s’installe progressivement. Les urines restent foncées et les selles deviennent alors en général un peu décolorées. Il existe parfois un prurit.
A l’interrogatoire, on recherchera un éventuel contact avec des patients atteints d’ictère, on fera préciser la notion d’injections pratiquées les mois précédents, ou de tatouage, de traitement dentaire, de transfusion ou encore celle d’ingestion de coquillages. Il est également fondamental de faire dresser par le patient la liste des médicaments qu’il a absorbés dans les dernières semaines précédant les troubles.
A l’examen, on trouve un foie de taille normale ou légèrement augmentée, et parfois un peu sensible. Un splénomégalie est possible. On peut également observer quelques angiomes stellaires, transitoires. Il convient de s’assurer de l’absence de signes d’encéphalo- pathie hépatique.
L’ictère dure de 2 à 6 semaines. Sa décroissance est marquée par une polyurie. A ce stade, le malade est en général profondément asthénique et a perdu de 4 à 5 kg. L’asthénie disparaît le plus souvent avec l’ictère, mais certains patients se plaignent parfois de la persistance de cet état durant
plusieurs semaines, voire plusieurs mois. L’association de ce trouble à quelques nausées et à quelques douleurs de l’hypocondre droit a été appelée syndrome post- hépatitique. Il est habituel, au cours de la phase ictérique, d’observer une intolérance aux graisses.
La forme cholestatigue
Sous ce vocable, on distingue une forme caractérisée par une majoration de la cholestase habituelle, avec prurit, ictère foncé, phosphatases alcalines et cholestérol augmentés, l’ensemble de ces troubles cliniques et biologiques pouvant prêter à confusion avec une cholestase extra-hépatique.
Le plus souvent, une hépatite ne devient cholestatique qu’après une phase cytolytique, au cours de laquelle la pratique d’un bilan hépatique précoce a permis le bon diagnostic. Mais il existe de rares formes cho- lestatiques d’emblée, de diagnostic plus difficile, nécessitant au moins une échotomogra- phie, pour éliminer la possibilité d’un obstacle sur les voies biliaires extra-hépatiques. La guérison de ces formes est longue mais, en règle, complète.
La forme anictérique
Il s’agit d’une forme dont la symptoma- tologie tout au long de l’évolution se résume aux symptômes de la phase pré-ictérique. En l’absence d’ictère, seuls les examens biologiques permettent le diagnostic de la maladie. Il s’agit là probablement de la forme la plus courante de l’hépatite A si l’on en juge par la fréquence des anticorps anti-A dans la population, fréquence beaucoup plus importante que l’incidence de la maladie. Mais cette forme anictérique peut également être le fait du virus B, le patient pouvant ou faire une maladie inapparente transitoire, ou devenir un porteur chronique de l’antigène HBs.
La forme prolongée
Il s’agit de cas où l’ictère persiste au-delà de six semaines. L’évolution peut ainsi se prolonger sur 3, 4 ou même 6 mois, mais la guérison complète en constitue néanmoins habituellement le terme.
Dans certaines formes toutefois, notamment lorsque l’ictère est discret, une évolution vers l’hépatite chronique et vers la cirrhose est possible, surtout chez les malades en état d’immuno-dépression.
La forme à rechutes
Il s’agit de patients chez qui des épisodes ictériques successifs (2, 3 ou très rarement 4) sont séparés par des rémissions complètes. La guérison est la règle au terme de ces rechutes successives.
L’hépatite fulminante
Il s’agit de formes suraiguës au cours desquelles survient une encéphalopathie hépatique. Celle-ci apparaît au plus tard trois semaines après le début de la maladie. Elle doit être recherchée lors de l’examen de tout patient atteint d’hépatite virale. Elle s’associe généralement à un syndrome hémorragique, soit exprimé cliniquement par des épistaxis, des ecchymoses et des gingivorragies, soit limité à des désordres biologiques (chute des facteurs du complexe prothrombique).
L’évolution est en général sévère, puisqu’elle se fait vers la mort dans la moitié
des cas environ chez les sujets de moins de 20 ans, et plus souvent encore chez le sujets plus âgés. L’hépatite fulminante semble également plus fréquente chez ces derniers. Chez les patients qui survivent, la guérison complète est la règle.
L’hépatite de l’enfant
La forme infantile de l’hépatite est marquée par une exacerbation des signes de la phase pré-ictérique, avec une fièvre élevée et un foie volontiers augmenté de volume.
L’hépatite de la femme enceinte
Le virus B ne semble pas responsable de malformations fœtales. L’hépatite au cours de la grossesse ne comporte pas un pronostic particulier dans les régions tempérées. En revanche, dans certains pays tropicaux, elle est grevée d’un risque élevé d’hépatite fulminante.
Le risque de transmission de l’hépatite B au nouveau-né est majeur lorsque la maladie se déclare vers le troisième trimestre de la grossesse. Lorsqu’elle est contractée plus tôt — ainsi que chez la porteuse chronique —, le risque de contamination est beaucoup plus faible. Celle-ci se fait au moment de l’accouchement. L’hépatite néo-natale survient dans les deux à trois mois suivant la naissance. Toutes les formes cliniques de l’hépatite virale aiguë sont possibles chez ces nourrissons, et 50 % d’entre eux environ resteront des porteurs chroniques.
L’hépatite du cirrhotique
Lorsque le cirrhotique n’est pas porteur de marqueurs sérologiques du virus B, il peut contracter une hépatite B comme le reste de la population. L’hépatite B revêt, dans ce cas, un caractère de gravité qui est classique.
Les manifestations extra-hépatiques
Les épanchements séreux
Il s’agit d’épanchements pleuraux ou péricardiques qui surviennent en général dès le début de la maladie.
Les manifestations neurologiques
Il s’agit d’atteintes polyradiculaires du type GuiIlain-Barré, ou plus périphériques, susceptibles de survenir à n’importe quel moment de l’évolution.
Les manifestations hématologiques
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L’anémie hémolotique auto-immune
Elle constitue une complication rare de la maladie.
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L’aplasie médullaire
Survenant en général bien après le déjaunissement, c’est une complication toujours mortelle.
Les manifestations évoquant une périartérite noueuse
La périartérite noueuse est en effet souvent associée à la présence de marqueurs sérologiques du virus B. Ses manifestations sont retardées par rapport au début de la maladie ; elles apparaissent en effet de trois à cinq mois après l’ictère. La périartérite noueuse reste rare par rapport à la fréquence de l’hépatite B.
Les manifestations rénales
Il s’agit de glomérulonéphrites en rapport avec des dépôts de complexes immuns antigènes HBs — anti-Hbs (2).
Les manifestations articulaires
Il s’agit d’arthralgies qui s’observent en général dans la phase pré-ictérique , mais peuvent également persister au-delà.
L’évolution
L’évolution de l’hépatite A
L’évolution comporte un risque modéré de forme fulminante ; en revanche, la maladie ne passe jamais à la chronicité.
L’évolution de l’hépatite B
On estime à 5 % environ le risque de passage à la chronicité de l’hépatite B. Cette évolution vers la forme chronique est marquée par une persistance de l’antigénémie HBs. Les malades en état d’immuno-dépression y semblent particulièrement exposés. ‘En revanche, les sujets qui guérissent d’une hépatite fulminante n’encourent pas ce risque ; leur guérison est en général définitive.
Les formes frustes, peu ictériques ou anictériques, sont plus volontiers génératrices d’hépatite chronique, si bien qu’il est fréquent, au cours des hépatites chroniques es au virus B, de ne pas retrouver la phase aiguè initiale.
Rappelons que le passage à la chronicitè est défini par la persistance de lés : hépatocytaires au-delà de six mois après début de la maladie. Ce n’est qu’à ce mo-: qu’une biopsie hépatique est à envisage’.