Les difficiles relations entre le patient et le chirurgien
Je me souviens avoir vu arriver une femme au visage long, émacié, amaigri, emprunt d’un air consternant de vieillesse, de grande tristesse, avec des cheveux gris mal noués. Une femme de classe néanmoins, mariée à un homme important, à la fortune apparemment bien établie. Elle souhaitait un rajeunissement, mais, précisait-elle, « quelque chose qui ne se voit pas trop, presque pas » ; une mise au propre de son visage.
Après lui avoir fait faire les photographies préopératoires d’usage, nous convînmes d’une intervention. C’était une femme un peu fermée, un peu anxieuse ; il était difficile de savoir quelle était sa vie de famille, si elle était heureuse ou non, si son fils avec qui elle avait l’air de s’entendre était quelqu’un de très important dans sa vie, ou s’il s’était au contraire un peu éloigné.
Mais au moment de l’intervention, ces sujets de préoccupation furent relégués à l’arrière-plan. Elle nous répéta, juste avant d’être endormie, pendant que nous faisions les photos préopératoires, qu’elle souhaitait un geste très discret, à peine visible, que personne ne remarquerait.
« Bien sûr, lui fut-il répondu, le lifting que nous allons vous faire sera très naturel. » Nous avons l’habitude de faire un lifting bi-plan1, avec un décollement relativement étendu, ce qui permet de cacher qu’une opération a été faite, d’autant plus que les cicatrices sont dissimulées dans les cheveux et derrière le tragus.
Mais comme cette patiente insistait énormément sur le fait qu’elle ne voulait pas subir un changement trop important, soin fut pris de ne pas trop tirer la peau de façon à laisser une petite marge de manœuvre et de garder un aspect encore plus naturel du visage.
Les deux ou trois premiers mois furent difficiles. En effet, si la cicatrisation ne posa guère de problème, cette patiente s’était psychologiquement mal habituée aux changements néanmoins importants de rajeunissement flagrant que l’intervention apportait.
Puis, passé le sixième mois, il se produisit une dégradation postopératoire. Celle-ci arrive assez fréquemment, surtout chez les patientes dont la peau a une trame élastique de mauvaise qualité, la distension postopératoire reproduisant peu ou prou l’état préopératoire.
Cette patiente revint nous voir en disant : « Regardez docteur, ça retombe déjà. Ça ne va pas, mon lifting est en train de lâcher. Vous ne m’avez pas assez tirée, j’aurais voulu quelque chose de plus spectaculaire. »
Un aspect sale, dégradé de son apparence ponctuait ses propos : cette femme voulait finalement se cacher à elle-même qu’elle espérait le maximum d’une opération qui ne serait faite qu’à moitié. Elle se laissait aller, par autopunition d’une intervention maintenant mal vécue.
Après plusieurs consultations, nous prîmes en commun la décision de refaire son lifting.
Cette fois, il fut tendu avec énergie. Le tarif qui lui fut proposé fut celui que nous appelons « de retouche », c’est-à-dire minimisant les frais pour ne pas pénaliser la patiente, en lui faisant néanmoins bien comprendre que la reprise de son lifting n’était pas de la faute du chirurgien, mais qu’elle était due à la nature de sa peau et à la responsabilité de sa demande qu’il fallait reconsidérer.
Les suites postopératoires de ce deuxième lifting furent aussi troublées que les premières. La patiente était anxieuse, insatisfaite, revenant souvent, chipotant sur des détails.
Manifestement, il y avait derrière tout cela un caractère de récrimination financière. Le résultat du lifting était en revanche superbe. Cette femme avait l’air transformée, ayant rajeuni de vingt ans. Néanmoins, nous étions étonné car elle ne prenait pas du tout soin d’elle-même : ses cheveux étaient sales, mal coiffés, parsemés de traînées grisâtres ; elle était mal attifée, jamais maquillée, présentant un visage extrêmement sinistre ; une grande tristesse se dégageait d’elle.
Quelque temps après, elle tomba sur le visage et se fit une profonde entaille au niveau de l’arcade sourcilière droite. Elle revint nous consulter, en demandant de nouveau de faire un geste de réparation et de l’associer à une retouche de son lifting, qu’elle trouvait encore insuffisant.
Après mûre réflexion, et après avoir comparé les photographies avant et après, compte tenu du fait qu’il s’était presque passé une année entre la reprise du lifting et l’état actuel, nous décidâmes de faire encore une retouche, avec de nouveau des honoraires absolument minimes. Cette retouche fut pratiquée au niveau du front pour le rendre plus lisse, et nous corrigeâmes la cicatrice gracieusement.
Les suites opératoires furent encore troublées. La patiente était très mécontente parce que la cicatrice était encore visible, qu’elle n’avait pas complètement disparu et que le front ne bougeait pas normalement. À un moment donné, excédé, nous avons dû dire à cette patiente des vérités — cruelles pour elle ! — que nous ressentions. Quelle erreur ! Aucune patiente n’est réellement prête à écouter le langage de vérité !
Cette femme, bien que très âgée, souhaitait être maternée et rassurée, prise en soins. Le nombre d’opérations que nous faisions était quelque chose qui lui donnait une raison de vivre. C’est ce que nous avons compris plus tard. Le fait de lui dire stop, d’arrêter toute sollicitude avec elle, introduisit immédiatement un sentiment de fureur et de revanche contre nous. Elle était en cela poussée par ses enfants et sa famille qui voyaient d’un très mauvais œil l’investissement financier qu’elle avait fait et qui leur échappait apparemment pour des motifs plus futiles que ceux de leur bien-être à eux.
Cette patiente commença alors à se tourner vers d’autres chirurgiens qui, évidemment, avec le manque de confraternité habituel qui existe entre nous, ne cessèrent de trouver des éléments négatifs dans les liftings qui avaient été pratiqués.
Très malheureuse, cette patiente va maintenant d’un cabinet d’avocat à celui d’un autre chirurgien. Nous avons beau lui souligner que les résultats entre ses photographies initiales et son état actuel démontrent qu’elle a rajeuni d’une vingtaine d’années, qu’il lui suffirait de sourire et d’être heureuse pour profiter pleinement de tout le travail qui a été fait, nous constatons ici la rupture complète du lien entre le chirurgien et sa patiente, simplement parce qu’à un moment donné, nous avons oublié que nous étions aussi un père et une mère pour nos patientes.
Vidéo : Les difficiles relations entre le patient et le chirurgien
Vidéo démonstrative pour tout savoir sur : Les difficiles relations entre le patient et le chirurgien