Les critiques du complication
Une autre critique concerne le caractère réellement double aveugle des essais contre placebo. Dans son remarquable éditorial, Ederer montre bien que la recherche se repose sur ses lauriers avec ce type de protocole et que la procédure double aveugle sera peut-être une des plus fortes déconvenues scientifiques du siècle. En effet, les malades, comme les médecins, se fondent essentiellement sur les effets secondaires pour évaluer leur traitement. Or, du fait de la quasi-absence d’effets secondaires palpables, perceptibles sous placebo, surtout lorsque le patient, informé lors de la signature du consentement, sait qu’il risque de recevoir du placebo, il apparaît que dans 80 % des cas, aussi bien le sujet en expérimentation que l’investigateur sont capables de déterminer la nature du produit reçu (actif ou placebo). Le double aveugle est bel et bien levé dans la plupart des cas, sans qu’il soit finalement nécessaire de décacheter l’enveloppe contenant le code de randomisation! Le désir de succès et de gloire est tel chez le chercheur que, sans le vouloir, il aura tendance à trouver de meilleurs résultats chez les patients qu’il pense sous produit actif (biais de l’observateur). De même, le désir de faire plaisir à son médecin peut être important chez le malade qui aura tendance, quand il percevra qu’il est sous médicament actif, à embellir son état clinique (biais du malade). Ces deux ordres de motivation plus ou moins conscients peuvent conduire à des erreurs énormes, toujours en faveur du produit étudié. Il n’est pas du tout rare de nos jours de voir arriver sur le marché des médicaments qui, sur le papier, ont parfaitement répondu aux exigences méthodologiques modernes d’études contrôlées et qui, après quelques mois ou années d’utilisation quotidienne, se révèlent quasi inactifs. Le chiffre des ventes est alors le meilleur des baromètres de l’efficacité, n’en déplaise aux technocrates généralement en majorité non cliniciens des diverses commissions d’évaluation. Nous n’aurons pas la cruauté de préciser quels produits sont concernés, mais la tendance moderne de négliger l’observation clinique au profit exclusif des méthodes « aveugles » risque de voir multiplier ce type de coûteuses déconvenues.
Du coup, on se demande s’il ne faudrait pas utiliser des placebos capables de provoquer des effets secondaires. Mais alors, s’agit-il vraiment de placebo ? Une étude de Thomson décrit, sous le vocable pla- cebo-amplification, le phénomène associé aux effets secondaires objectifs d’un placebo impur, l’atropine. Il s’agit d’une substance qui provoque les mêmes effets secondaires que les antidépresseurs imipraminiques (dits de première génération, les plus classiquement prescrits) : bouche sèche, constipation, tremblements fins, difficultés d’accomodation, parfois rétention urinaire ou glaucome. Il est d’ailleurs classique de nommer l’ensemble de ces effets secondaires comme « atropiniques ». En partant de l’hypothèse (en fait non réellement prouvée d’ailleurs et c’est la principale critique de l’étude) que l’atropine est un véritable placebo dénué d’effet antidépresseur, l’auteur l’a comparée à l’imipramine (antidépresseur de référence) et a mis en évidence un effet du « placebo » statistiquement supérieur à celui observé à partir de la méta- analyse de soixante-quinze études contrôlées, antidépresseur versus placebo pur. Il y a donc contamination des effets thérapeutiques du groupe placebo par les effets secondaires attendus. Les patients déprimés, dont la grande majorité ne sont pas naïfs vis-à-vis des antidépresseurs (soit ils en ont déjà bénéficié, soit des « collègues » ou leur entourage leur ont décrit les effets secondaires à attendre), n’ont pas pu deviner dans ces circonstances, s’ils étaient ou non dans le groupe placebo ou actif, d’où, probablement, l’amplification de l’effet placebo. De plus, ressentant les effets secondaires prédits et « attendus », ils ne pouvaient qu’être confortés dans leur conviction d’être « vraiment soignés ».
La question de l’authenticité du double aveugle devrait préoccuper beaucoup plus les chercheurs qui ont tendance à en faire un rituel, satisfaisant pour l’esprit, garant de la « scientificité » d’une recherche, mais qui, en fait, ne garantit rien du tout. Dans une étude non publiée que je coordonnais il y a quelques années avec des généralistes, il s’agissait de tester contre placebo l’efficacité de différents dosages d’une molécule anxiolytique. J’avais demandé, avant le démarrage, à chaque investigateur, de noter pour chaque patient, ce qu’il pensait avoir deviné : le patient prenait-il du placebo ou l’anxiolytique et, dans le deuxième cas, à quelle dose ? Parmi les cinq généralistes participant à l’étude, trois se trompèrent dans 30 à 40 % des cas mais un des cinq ne se trompa qu’une fois sur vingt cas et un autre se trompa quatorze fois sur seize ! Bien entendu, les enveloppes contenant le code de randomisation étaient parfaitement scellées, garantissant l’honnêteté des investigateurs. Le médecin qui ne se trompa presque jamais était un homme plutôt pondéré, chaleureux sans être expansif, alors que celui qui se trompa très souvent était au contraire doté d’un tempérament extrêmement enthousiaste. En effectuant quelques calculs assez simples, nous avons pu alors constater que l’effet placebo obtenu dans cette étude était nettement plus important chez les patients traités par le médecin qui s’était trompé dans son pari avec une touchante régularité que chez celui qui ne s’était presque pas trompé. Sans trop vouloir spéculer, on peut imaginer que l’un des deux, plus chercheur, privilégiait plus l’aspect étude de la molécule et, inconsciemment, a présenté les choses de façon plus froide et observé de façon plus objective alors que l’autre, plus thérapeute, a privilégié le soin, présenté les choses de façon extrêmement convaincante et observé les résultats avec les yeux de la foi. C’est donc dans un paradoxe complet et bien difficile à résoudre puisque, finalement, celui des deux investigateurs qui pourrait être considéré comme le meilleur chercheur est celui qui a réussi à dévoiler le double aveugle, pourtant garant de la scientificité de l’étude.
La méthode comparative, en double aveugle, repose pour une bonne part sur une standardisation extrême des données. Elle est le témoigjlage de ce que j’appelle la civilisation Mac Donald. Sj vous achetez un hamburger à Tokyo ou à Paris, Tegucigalpa ou Ouagadougou, vous pouvez être assuré que vous aurez toujours strictement la même quantité de viande hachée, de pain, de sauce, avec le même goût. Mais est-ce vraiment ce type de restauration qUj fera avancer la gastronomie ? Les patients étudiés dans les protocoles dits contrôlés sont standardisés,de façon à ce que le déprimé traité à Tokyo soit comparable à celui de Los Angeles, de Ouagadougou ou de Munich. Cette procédure permet aux chercheurs des différents pays d’être certains qu’ils parlent bien de la rpême maladie. Le problème est que dans de nombreuses disciplines, ces malades purs et sevrés de tout traitement sont extrêmement rares, « élevés » dans des Milieux artificiels (les services de recherche) et c0nstituent un groupe d’exception, souvent assez réduit> qui servira pourtant de modèle pour tout le développernent de la molécule étudiée.
Ce type de méthodologie doit bien évidemment être conservé, mais ne devrait-il pas perdre s0n caractère exclusif? Ne devrait-on pas prop0ser d’autres types de méthodologie, incluant un beaucoup plus grand nombre de sujets, moins rig0ureUsement sélectionnés, traités dans leur milieu naturel, donc plus proches de la réalité clinique, moins mono- thérapiques même si 1 on doit standardi§er le traitement associé, utilisant des méthodes comparatives et en double aveugle certes, mais surtout dans lesquelles les évaluations seraient réalisées non par les thérapeutes mais par des évaluateurs indépencJants du laboratoire et du praticien. Une telle méthode nécessiterait la création d’un corps national d’évaluateurs cliniques, garantis par une instance incontestable type INSERM, à condition que ce dernier accepte un jour de se préoccuper un petit peu plus de recherche clinique et thérapeutique et un peu moins de la santé des rats de laboratoire !
Médicament ou placebo? Traitement pharmaco- logique ou placebothérapie ? On aurait pu penser que la lutte serait sans merci entre ces faux-frères ou ces frères ennemis. Mais plus forte que la rivalité, c’est la communauté de destin qui se révèle à l’analyse : même puissance, mêmes dangers, mêmes limites. Au fond, tout n’est-il pas question de mesure et de bon usage ? Le besoin d’un travail de réflexion préalable à toute administration vaut pour les deux types de produit ou de thérapie. L’union faisant la force, gageons que l’alliance fondée sur une complémentarité indéniable serait incroyablement plus efficace que l’opposition. Entendons-nous donc.
Vidéo : Les critiques du complication
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