Les causes du vieillissement : Les causes endogènes du vieillissement
Les causes endogènes nous amènent à quelques considérations relevant d’une sous-discipline de la biologie, à savoir la génétique. Cette dernière étudie le support biochimique et les modes de transmission de l’hérédité. Le support est le chromosome, constitué d’une grande quantité de gènes qui sont concentrés dans le noyau des cellules. Chaque espèce possède un nombre précis de chromosomes ; chez l’être humain ce nombre est de quarante-six.
Au regard de la question de la mort des organismes, la génétique fait apparaître un paradoxe. Il provient du fait que si les organismes subissent un phénomène plus ou moins rapide de dégradation conduisant à la mort, l’ADN (acide désoxyribonucléique) qui constitue la matière première des chromosomes, et donc la mémoire biologique d’une espèce, est immortel. En effet, quoi de plus surprenant que de constater qu’il y a cent millions d’années, les dinosauriens qui avaient colonisé la Terre avaient un patrimoine génétique chimiquement strictement identique au nôtre alors que leurs aspects physiques étaient si différents ? Depuis son apparition sur Terre, l’ADN est resté inchangé. Plus encore, certains gènes (le gène est une partie d’un chromosome qui code l’information) sont probablement apparus il y a plusieurs centaines de millions d’années et sont restés inchangés malgré la variété des organismes qui ont pu les porter. C’est ainsi que votre chien peut posséder des gènes communs avec vous !
Plusieurs théories générales ont été avancées pour expliquer ce paradoxe. Aucune n’a été à ce jour vraiment confirmée et il resterait à démontrer qu’elles sont exclusives les unes des autres. Nous n’en exposerons que deux brièvement.
La faillibilité du principe de fidélité de la copie
Les gènes ne connaissent pas la sénilité et possèdent trois caractéristiques qui sont la longévité, la fécondité et la fidélité de copie : la longévité, car ils se transmettent de génération en génération, voire d’espèce en espèce sur des périodes de temps qui peuvent être extrêmement longues ; la fécondité, car ils ont la capacité de se dupliquer, c’est-à-dire de se reproduire, un nombre quasi infini de fois. Enfin, cette duplication est fidèle, c’est-à-dire qu’un gène a une très forte tendance à reproduire un gène identique à lui-même.
Tout organisme est constitué de milliards de cellules qui se divisent un certain nombre de fois au cours de la vie. Seules les cellules nerveuses ne subissent pas ce phénomène de division. Le nombre de divisions qui se produisent au cours d’une vie semble pour une grande part sous contrôle génétique, c’est-à-dire sous le contrôle de certains gènes.
Chaque espèce possède donc des propriétés propres quant au nombre et à la vitesse de divisions cellulaires au cours de la vie de chacun de ses membres. Cela détermine la longévité moyenne des individus de chaque espèce qui est très variable. Un chien dépasse rarement les 20 ans alors que certaines tortues deviennent facilement centenaires. Cette variabilité reste pour l’instant un mystère.
À la fin de sa vie, on peut donc considérer qu’un organisme, tout en étant resté identique à lui-même, ne possède plus aucune des cellules qui le constituaient à sa naissance, mises à part ses cellules nerveuses. Elles ont certes le même patrimoine génétique, mais elles sont le produit d’un certain nombre de divisions. Des chercheurs ont dans ce cadre, émis l’hypothèse qu’au cours de ces séries de divisions, certaines erreurs de copie se produiraient, s’accumuleraient au cours de la vie et finiraient par tuer l’organisme. Ces erreurs de copie entraîneraient des déficiences structurelles ou fonctionnelles qui, sans entraîner la mort systématiquement, se traduiraient malgré tout par une déficience dans le fonctionnement de certains organes. Chez certains, ces erreurs affecteront le système digestif, chez d’autres le système vasculaire ou encore le système nerveux.
Ce serait donc l’inconstance, au cours de la vie, du principe de fidélité de copie qui serait la cause de la mortalité des corps alors que la sexualité assurerait l’immortalité de l’ADN et des gènes. Si l’on considère que le cancer est avant tout un dérèglement dans la division cellulaire et une cause essentielle de mortalité, force est de constater que les cancers augmentent de fréquence avec l’âge. Cette théorie paraît séduisante, mais nous allons en évoquer une seconde qui pourrait la compléter.
La théorie du « gène clandestin »
La deuxième théorie a été développée en Grande-Bretagne par Medawar (1952) et aux Etats-Unis par Williams (1957). Elle s’inscrit dans le cadre de la théorie synthétique de l’évolution (Mayr, 1993) et relève de la théorie darwinienne de l’évolution et de la génétique.
Le nom de Darwin est profondément attaché au concept de sélection naturelle. Ce concept est très souvent évoqué, si bien qu’il donne une impression de familiarité qui conduit souvent à une mauvaise compréhension. La sélection naturelle est souvent présentée comme « la loi du plus fort », c’est-à-dire comme l’éviction voire l’extermination du faible. L’ambiguïté vient de la définition que l’on peut donner d’un organisme «fort». En fait, Darwin emploie essentiellement le mot anglais fitness dont la traduction française est « aptitude ». L’aptitude est la capacité à se reproduire, c’est-à-dire à faire des petits. A ce titre, elle apparaît comme une caractéristique générale extrêmement relative à l’environnement. Un caractère physique, physiologique ou comportemental pourra procurer un avantage sélectif dans un environnement mais pas dans un autre. Par ailleurs, de nombreux caractères sont liés au système immunitaire et donc à la capacité de l’organisme à résister à la maladie. Cette caractéristique peut même être considérée comme plus importante que la force musculaire ou la masse de l’organisme. Cela signifie tout simplement qu’un organisme qui résiste à la maladie a par conséquent une espérance de vie supérieure et ainsi plus de temps pour faire des petits et répandre ses gènes dans sa population ou son espèce. La sélection naturelle est donc avant tout liée à la capacité de reproduction d’un organisme.
Le principe de base de la théorie du gène clandestin est le suivant. L’ « obsession » d’un gène est de se reproduire. Pour cela, il lui faut un habitacle, un organisme ou, comme l’écrit Dawkins (1989), une «machine à survie». En conséquence, le gène «vit» pour lui-même et non pour la « machine à survie » qui le porte. Cette machine à survie peut être un dinosaure, un chien, un lombric et même un être humain.
Les gènes ont la particularité de s’exprimer ou d’être silencieux selon l’âge de leur organisme porteur. C’est ainsi que de nombreux gènes s’expriment au cours de l’embryogenèse (période durant laquelle l’embryon se construit) afin d’exécuter le plan de construction du nouvel organisme. D’autres s’expriment durant l’enfance afin d’assurer le développement et en particulier la constitution des connexions au sein du système nerveux. D’autres encore s’expriment à l’adolescence et, par l’intermédiaire de la sécrétion hormonale, provoquent la transformation de l’organisme enfant en organisme adulte qui devient alors capable de donner naissance à son tour à une nouvelle « machine à survie ». Enfin, d’autres s’expriment durant l’âge adulte ou durant la vieillesse. Il faut souligner que de nombreux gènes semblent rester silencieux en permanence et que d’autres ne s’expriment qu’en déclenchant l’action d’autres gènes.
Un gène peut être favorable ou défavorable à l’organisme, voire létal ou semi-létal (c’est-à-dire mortel) selon l’âge de l’organisme. En conséquence, il paraît évident que l’évolution n’a pas pu sélectionner des gènes létaux qui s’exprimeraient au cours de l’enfance, car ils provoqueraient la mort de l’organisme avant qu’il ait pu se reproduire. En revanche, des gènes létaux qui s’expriment à l’âge adulte, et ceci est encore plus vrai pour des gènes létaux s’exprimant chez la personne âgée, ont une influence sur l’organisme ¿près qu’il ait pu se reproduire. Ces gènes ont donc réussi en quelque sorte, tapis dans l’ombre du patrimoine génétique, à échapper au filtre de la sélection naturelle, car un gène qui n’influence pas la reproduction ne peut pas être éliminé. Un nombre grandissant de gènes néfastes auront donc tendance à s’exprimer corrélativement au vieillissement de l’organisme porteur. Au niveau du système nerveux, cela se traduira par une mortalité neuronale ou par l’accumulation de plaques séniles.
On en arrive donc à cette idée, philosophiquement et religieusement difficile à accepter pour certains, que nous mourrons parce que les organismes sont des habitacles transitoires, chargés par l’évolution de la mission d’assurer l’immortalité des gènes : une fois qu’ils ont rempli cette mission, la nature s’en « débarrasse » sans ménagement en provoquant la mort de l’organisme. Cette théorie possède aussi d’indéniables qualités explicatives.