Les bienfaits des fibres alimentaire
Les fibres alimentaires forment la matrice dans laquelle sont répartis les substrats énergétiques assimilables des végétaux. Les transformations alimentaires ont permis de s’affranchir de cette matrice pour la production d’huile, de sucre, d’amidon ou de farines très raffinés. En conséquence, l’organisme reçoit une énergie très assimilable et souvent trop abondante ; or, paradoxalement, celui-ci est mieux armé pour épargner que pour se défendre contre les apports énergétiques pléthoriques. Ainsi, dans les pays industrialisés où l’alimentation est riche en ingrédients purifiés et relativement pauvre en produits végétaux bruts, la prévalence de maladies dites de civilisation : cancers, diabète, maladies cardio-vasculaires et inflammatoires, est très élevée.
La modification des habitudes alimentaires et le raffinage poussé des aliments ont donc contribué à diminuer la consommation de fibres. On estime qu’elle est passée de plus de 30 g par jour au début du xxesiècle à 15-20 g par jour actuellement. Initialement, le terme « fibres » désignait les glucides des parois végétales tels que la cellulose, les hémicelluloses ou la pectine, non digestibles dans l’intestin grêle, mais susceptibles d’être dégradés par la flore microbienne du gros intestin. La notion actuelle de fibres alimentaires ne se limite pas aux glucides des parois végétales, elle regroupe l’ensemble des composés non digérés dansl’intestin grêle, par exemple les sucres-alcools des fruits, les oligosaccharides de réserve (inuline de l’oignon, de l’artichaut, de la patate douce, du topinambour), les gommes végétales, les extraits d’algue, et même la fraction de l’amidon qui résiste à l’action de l’amylase pancréatique.
Tous les produits végétaux sont riches en parois cellulaires et donc contiennent des fibres. Cependant, leurs teneurs peuvent varier fortement en fonction de leur origine végétale. 20 à 30 % de la matière sèche des légumes frais ou secs est constituée de fibres alimentaires ; selon le même mode d’expression, la teneur des céréales et des fruits se situe entre 10 à 15 %, et celle des pommes de terre riches en amidon est voisine de 9 %. Dans les céréales raffinées, le taux de fibres chute à environ 3 %. On trouve des fibres ou des glucides apparentés dans beaucoup d’autres produits végétaux (fruits secs, graines, jus de fruits naturels), dans le miel, mais aussi maintenant dans un très grand nombre de produits, même d’origine animale, parce que les fabricants d’aliments les utilisent pour alléger les produits, assurer une structure ou pour bénéficier d’une allégation santé. La proportion et l’efficacité de ces fibres additionnées artificiellement aux aliments demeurent toutefois modestes par rapport aux produits végétaux qui bénéficient d’une composition plus diverse de ce type de glucides complexes auxquels sont associés de nombreux micronutriments.
Longtemps on a considéré que l’effet santé des fibres se limitait à leurs effets digestifs, à leur rôle indispensable pour régulariser le transit intestinal. Dans les produits végétaux naturels, la matrice fibreuse exerce aussi un frein à la vitesse d’absorption des nutriments, elle peut protéger le grain d’amidon de l’action de l’amylase pancréatique, diminuer la digestibilité des protéines, ralentir la vitesse de digestion des glucides et des lipides. Cet effet de la matrice évite à l’organisme d’être trop rapidement inondé de nutriments énergétiques dont il doit assurer un métabolisme progressif. Le fait que l’énergie alimentaire puisse largement être extraite de sa gangue fibreuse a modifié complètement la donne de l’alimentation humaine. Il s’agit d’en tirer un certain bénéfice mais sans créer de nouveaux problèmes nutritionnels. Ce juste équilibre n’a, semble-t-il, pas encore été trouvé.
On cantonne donc fréquemment l’impact des fibres au territoire digestif, alors que leur rôle de matrice alimentaire a des répercussions sur l’absorption et le métabolisme des nutriments. Les effets des fibres au niveau digestif concernent les diverses composantes du système intestinal. Il s’agit de la paroi de l’intestin dont la finalité est de contrôler l’absorption des nutriments, voire d’assurer certaines sécrétions intestinales, du système immunitaire dont plus de 50 % est localisé dans le tube digestif, et de la flore intestinale relativement peu abondante dans l’intestin grêle et extrêmement bien développée dans le gros intestin.
Globalement, les fibres sont indispensables au bon fonctionnement du système digestif pris dans son ensemble et agissent sur toutes ses composantes. Elles exercent, par exemple, des effets trophiques directs au niveau de l’intestin grêle. Ainsi, un régime riche en fibres augmente la surface d’échange intestinale pour pallier la difficulté d’absorption des nutriments. L’impact des fibres sur la muqueuse du gros intestin est également considérable par le biais des produits de fermentation qui vont contrôler le métabolisme des cellules du côlon. Les fibres jouent aussi un rôle clé dans le fonctionnement intestinal en entretenant une flore symbiotique en équilibre avec notre organisme. L’extrême diversité et la richesse de cette microflore influencent par ailleurs les réponses immunitaires intestinales ; celles-ci modulent la tolérance aux protéines alimentaires et constituent une barrière vis-à-vis des bactéries pathogènes. De ce point de vue, il est clair que la qualité de nos réponses immunitaires s’éla- bore en tout premier lieu au niveau de l’intestin.
Dans l’esprit du public, le rôle des fibres est principalement d’assurer un bon transit digestif par leur effet d’encombrement, favorable au péristaltisme intestinal. Il est vrai que certaines fibres peuvent fortement s’hydrater, être peu dégradables et jouer ainsi leur rôle attendu de ballast ; cela explique en particulier l’efficacité du pain ou des produits céréaliers complets dans la lutte contre la constipation. Néanmoins, les fibres des fruits et légumes, très fermentescibles et fortement dégradées dans le gros intestin, jouent également ce rôle d’accélération du transit digestif, par l’augmentation de la masse bactérienne qu’elles induisent. Par des mécanismes divers, les régimes riches en produits
végétaux accélèrent donc toujours le transit intestinal, et les bénéfices physiologiques à tirer de cette capacité des fibres sont considérables compte tenu de l’importance des problèmes digestifs de nos contemporains sédentaires.
Dans le contexte alimentaire actuel, la fréquence des troubles digestifs, des hypersensibilités et des intolérances alimentaires est très élevée. Ces problèmes digestifs induisent souvent des comportements d’exclusion vis-à-vis de nombreux produits végétaux, achevant ainsi de fragiliser l’écosystème intestinal. Pourtant, à la différence de certaines protéines alimentaires, fortement immu- nogènes, l’intestin ne présente pas d’intolérance vis-à-vis des nombreuses sources de fibres alimentaires. Néanmoins de nombreux sujets témoignent de troubles digestifs occasionnés par la consommation de quelques produits végétaux (oignons, pain complet, légumes secs…), mais l’origine de ces troubles est difficile à cerner. Dans la mesure où il existe une très grande diversité de fruits, de légumes, de produits céréaliers ou d’autres aliments d’origine végétale, le choix est si abondant que chacun peut disposer d’une palette suffisante de ces produits pour favoriser le bon fonctionnement de l’intestin.
Une microflore intestinale fort exigeante
La capacité à bien tolérer les aliments et en particulier les végétaux riches en fibres dépend fortement de la qualité de la flore intestinale. À la naissance, le tube digestif du bébé est entièrement stérile, ce dernier acquiert une première flore digestive rudimentaire par le contact avec la mère et son environnement. Il est notable que rien n’est fait pour faciliter cette contamination naturelle ; un excès d’hygiène corporelle ou d’asepsie environnante ne permettent pas au bébé de disposer d’une flore optimale de contact. Si le lait maternel était complètement digestible dans l’intestin grêle, la flore symbiotique débutante du côlon du nourrisson aurait bien du mal à se développer. Cela pourrait créer des conditions favorables à la contamination intestinale par des bactéries pathogènes. Heureusement, la composition du lait maternel est propice également à l’installation de la flore colique, ce qui facilite le transit digestif du bébé et constitue une barrière au développement des espèces pathogènes. On trouve en effet dans le lait maternel des glucides particuliers non digérés dans l’intestin grêle et qui font office de fibres alimentaires pour entretenir une flore de plus en plus active. Cette flore du bébé en allaitement maternel est caractérisée par sa richesse en bifidobactéries, c’est pourquoi on a qualifié de prébiotiques tous les composés tels que des fructo-oligosaccharides qui augmentent la population intestinale de bifidobactéries. Cependant, ce qui était essentiel chez le nouveau-né est sans doute beaucoup plus secondaire chez l’adulte pourvu d’une microflore extrêmement complexe et adaptée à des produits végétaux très divers. Par manque de recul et pour exploiter un nouveau filon, le secteur agroalimentaire incorpore des fructo-oligosaccharides dans beaucoup d’aliments destinés à la population générale, sous prétexte d’un effet prébiotique fort peu convainquant. Par contre, il semble logique d’essayer d’introduire dans les laits reconstitués pour 1er âge des oligosaccharides proches de ceux du lait maternel.
À l’état adulte, l’homme héberge une flore relativement stable, en équilibre à la fois avec les conditions ambiantes régnant dans le tube digestif et la nature des aliments consommés. Quel que soit l’équilibre de cette flore, le gros intestin héberge un nombre considérable de bactéries (environ 1012 bactéries par gramme de contenu). La qualité de la flore symbiotique que nous hébergeons dépend de la nature et de la diversité des produits végétaux consommés. La régularité dans les apports en fibres fermentescibles conditionne la stabilité de la flore et sa faculté à s’adapter ou à résister à des conditions environnementales nouvelles ou défavorables. Or, à la suite de repas déséquilibrés, combien de fois notre flore du côlon ne reçoit que les reliquats de la digestion de l’intestin grêle fort peu utiles pour son maintien et ses activités métaboliques.
Entretenir les fermentations coliques
Grâce à la complexité des produits végétaux, à leur richesse en fibres et en antioxydants, des fermentations actives peuvent se développer à des pH physiologiques tout au long du gros intestin. Cette digestion bactérienne des fibres aboutit à la production d’acides gras à chaîne courte (de type acétique, propionique ou butyrique) qui sont absorbés par la paroi du côlon. Ce mécanisme de digestion fermentaire a un caractère universel, il est présent dans toutes les espèces animales et particulièrement actif chez les herbivores. Chez l’homme, cette production d’acides gras à chaîne courte est bénéfique pour le bon état de la paroi du côlon, pour la conservation de l’eau et des minéraux et indirectement pour l’élimination de nombreux déchets. Chez nos ancêtres chasseurs- cueilleurs, la récupération de l’énergie des fibres dans le gros intestin sous forme de métabolites bactériens assimilables a dû être fort précieuse. La problématique actuelle est bien différente.
Le déroulement de la digestion microbienne du côlon est loin d’être toujours idéal chez l’homme, tout simplement parce que l’alimentation courante est riche en produits de cuisson, en résidus divers, et trop pauvre en fibres végétales. Dans cette situation, la qualité de la flore hébergée peut se dégrader, et les conditions qui régnent dans le côlon ne deviennent pas particulièrement favorables pour le maintien de la paroi digestive. Le bon fonctionnement du gros intestin peut s’en ressentir, le transit intestinal est souvent irrégulier, le changement d’environnement alimentaire est très mal toléré. Cela ne représente que la face visible de l’iceberg puisque la paroi du côlon peut réagir à des conditions fermentaires médiocres par le développement de tumeurs malignes. On sait l’importance de la prévalence du cancer du côlon dans les pays occidentaux, et il a bien été montré que ce cancer était lié aux modes alimentaires puisque les populations asiatiques, migrantes aux États-Unis, présentent une incidence élevée pour ce cancer à la deuxième génération, lorsqu’elles ont adopté la façon de s’alimenter des Américains.
On a cherché à attribuer la prévention du cancer du côlon à la fraction « fibres » avec parfois des résultats épidémiologiques peu convaincants. C’est plutôt la qualité des fermentations symbiotiques qui régnent dans le côlon qui permet une protection efficace. Pour cela, il faut que l’alimentation comporte des fibres de fermentescibilité différente bien accompagnées de micronutriments. La durée de séjour du bol alimentaire dans le côlon est très longue (souvent plus de vingt-quatre heures), or la flore bactérienne a besoin de disposer de glucides fermentescibles même dans les parties distales du côlon. Ainsi, une alimentation comprenant à la fois des produits céréaliers et des fruits et légumes
apporte cette gamme de fibres alimentaires de vitesse de dégradation variable, favorable à la physiologie du côlon. Ces aliments riches en fibres ont aussi l’intérêt d’apporter une diversité de minéraux et de micronutriments indispensables pour contrôler l’activité microbienne et protéger la paroi du côlon.
Après avoir pratiqué à grande échelle l’extraction de la fraction énergétique et le rejet des fibres des aliments, les professionnels de l’alimentation, jamais à court d’imagination, ont donc essayé de réintroduire des fibres en particulier pour bénéficier de leur image santé. Cette démarche est peu logique, de plus elle est peu efficace sur le plan physiologique. L’addition de fibres ne reproduit pas une matrice naturelle. Lorsqu’il s’agit de composés purifiés comme les oligosaccharides, ils sont trop vite fermentés pour exercer un effet bénéfique au niveau du côlon, et, surtout, l’impact des fibres ne peut être isolé des nombreuses substances qui leur sont associées. Il est cocasse de noter aussi que les industriels ont cherché à blanchir les fibres pour les débarrasser de toute impureté.
Lorsque le côlon est bien alimenté en fibres fermentescibles (celles des parois primaires des cellules jeunes) naturellement préférées par l’homme, la prolifération bactérienne dans le contenu digestif est considérable. Dans ces conditions, la possibilité de bénéficier d’un apport supplémentaire de bactéries susceptibles de transiter vivantes dans le tube digestif et de contrer par exemple l’action des bactéries pathogènes est sans doute limitée à l’intestin grêle. Cela n’a pas empêché le développement d’une industrie florissante de ces probiotiques avec des arguments incantatoires de protection digestive. Si cette protection peut se manifester, il est à craindre que l’équilibre alimentaire d’ensemble du sujet et en particulier l’apport en fibres alimentaires soient bien peu satisfaisants.
Le naturel devenu suspect
Jusque vers les années 1970, le rôle des fibres dans les fermentations intestinales chez l’homme était ignoré, bien que l’on connût leur importance pour les espèces herbivores. Dans ces années glorieuses du développement des transformations alimentaires et de l’extraction de l’énergie des aliments, les fibres devinrent même suspectes d’exercer de nombreux effets
antinutritionnels, de gêner l’absorption des minéraux, voire de diminuer la digestibilité des protéines. Ainsi, l’homme avait trouvé la bonne parade en débarrassant les aliments d’une fraction sans intérêt énergétique.
Alors que les produits végétaux complexes, riches en fibres, ont une forte densité nutritionnelle en minéraux et micronutriments, diverses recherches semblaient montrer que la consommation des fibres avait un effet déminéralisant. Cela s’est avéré complètement inexact. Pourtant le discours diététique courant met encore l’accent sur ce point. Certes, l’élévation de l’absorption intestinale des minéraux n’est pas proportionnelle à l’augmentation des quantités ingérées, mais il s’agit d’une caractéristique physiologique bien classique pour ces éléments. Néanmoins, le bilan nutritionnel est en faveur des produits complets par rapport aux aliments raffinés. Des recherches récentes ont même montré que les glucides fermentescibles, en abaissant le pH intestinal, contribuaient à prolonger l’absorption des minéraux dans les parties distales de l’intestin. On est loin des effets antinutritionnels annoncés par les nutritionnistes il y a environ trente ans. Cependant, ce discours sur les effets déminéralisants des fibres alimentaires continue parfois à être enseigné, ce qui est une illustration des conséquences à long terme de résultats de recherches mal interprétés.
Bien d’autres arguments pourraient être versés pour illustrer l’intérêt nutritionnel des fibres alimentaires. Le fait qu’elles soient indispensables à l’élimination digestive du cholestérol et des sels biliaires montre également leur intérêt diététique majeur. En fait, il est important d’avoir une approche globale de la nutrition préventive. Il est remarquable que le niveau de consommation de fibres alimentaires, lorsqu’elles sont apportées par des végétaux complexes, permette de prédire la sûreté des modes alimentaires pratiqués. Le raffinage poussé des aliments a conduit à une réduction de plus de moitié de la consommation de fibres alimentaires. Cela a contribué à générer des problèmes digestifs nouveaux et surtout à développer dans certains cas une sorte d’intolérance aux fibres auxquelles l’homme était habitué depuis toujours. Voulons- nous devenir des sortes de mutants entièrement inadaptés à des aliments naturels ?
Vidéo : Les bienfaits des fibres alimentaire
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