L'erreur et la faute du placebo
Il y a quelques années, une véritable folle faisait le siège du cabinet d’un chirurgien. Elle demandait obstinément à être opérée, du ventre où, « je vous assure, Docteur, une vipère vivante est venue se loger ». Et la femme de décrire minutieusement les mouvements du terrifiant reptile et ses déplacements le long de l’intestin. Elle le sentait se lover, se détendre. Parfois même, il lui mordait le foie ou la rate, lui instillant au passage quelques gouttes de son redoutable venin. Le chirurgien commença par refuser obstinément de pratiquer une opération. Mais la dame insistait, s’incrustait dans la salle d’attente où elle faisait scandale. Elle pleurait, suppliait, prenait à témoins les autres consultants, menaçait même. Les années passaient et la pression montait, comme l’impatience et l’irritation du chirurgien. Un jour, n’y tenant plus, il annonça à sa persécutrice qu’elle l’avait convaincu, qu’il avait lu le récit d’un cas semblable qui avait été guéri par /’« exérèse » du serpent. Une ophidiectomie en quelque sorte. Il endormit la patiente enchantée, lui incisa superficiellement l’abdomen qu’il recousit à gros points bien visibles. Il attendit qu’elle se réveille, lorsqu’elle eut repris conscience, il lui dit avec un bon sourire: « Vous aviez raison, je vous ai opérée et j’ai déniché une vipère de belle taille que j’ai finalement réussi à extirper à la pince. Regardez, je l’ai mise dans ce bocal de formol après l’avoir tuée. » Se croyant malin, l’homme au bistouri s’était procuré un reptile et avait monté toute la mise en scène. La dame, visiblement ravie, demanda à voir la bête de plus près. Vite, son sourire s’évanouit. «Docteur, c’est terrible. Regardez! C’est une femelle. Elle avait pondu il y a quelques jours. Vous n ‘avez pas enlevé les œufs. Ça y est! Je les sens éclore. Maintenant, par votre faute, ce n’est plus une mais dix vipères que j’ai dans le ventre ! » « Par sa maladresse et son incurie », le méchant chirurgien était devenu responsable d’une aggravation.
L’utilisation du placebo pose des problèmes éthiques indéniables, mais là ne s’arrêtent pas les effets pervers d’une pratique qui a également pour elle, ou plutôt contre elle, d’amener à certains faux- pas thérapeutiques. Il est en effet une vieille croyance médicale qui veut que la prescription d’un placebo n’ait pas d’importance puisque « ce n’est rien », ou même quelle permette, à la façon d’un test, de distinguer les « vrais » des « faux » malades. À partir de l’idée que seuls les simulateurs et les hystériques répondent favorablement à son action, en cas de doute diagnostique, devant un symptôme dont l’orga- nicité n’est pas certaine, il est donc d’usage de prescrire un placebo : si le symptôme disparaît, il s’agissait
certainement d’une création hystérique ; en cas de persistance, le symptôme est organique et il faut poursuivre les recherches. Le problème, c’est que cette assertion ne repose sur aucune réalité scientifique et n’amène que de fausses certitudes. Certains symptômes dits fonctionnels résistent parfaitement au placebo alors que certains signes bien organiques sont au contraire améliorés, au moins transitoirement, par cette forme de suggestion. Répétons-le, l’effet du placebo, comme l’effet placebo d’ailleurs, est essentiellement le reflet de la qualité de la relation médecin- malade. La magie relationnelle opère si le patient, à ce moment précis, est disposé à se laisser influencer, convaincre, subjuguer même, par son médecin. Pour que la mayonnaise prenne, il faut que tous les ingrédients soient réunis. Il ne suffit pas d’un malade hystérique, d’un docteur charismatique ou d’une pathologie fonctionnelle. La réussite ne dépend pas seulement du malade, elle dépend également de la personnalité du médecin, de la nature de la maladie et de la qualité de l’instant. L’oublier, c’est parfois mettre tout simplement en jeu la santé du patient. Les risques d’erreur diagnostique sont triple.
En cas d’organicité mais de placebo-réponse positive, le médecin peut poser un diagnostic erroné, interrompre les investigations et considérer son patient comme un « psy ». Or un « traitement-à- efficacité-non-démontrée » qui n’a pas été précédé d’un examen extrêmement soigneux et ne s’accompagne pas d’une certitude diagnostique risque de masquer une maladie grave et curable. Pendant ce temps, le processus pathologique continue à évoluer, et un temps précieux se perd. C’est ainsi que, récemment, un patient souffrant d’une baisse brutale de vision s’est présenté chez un ophtalmologiste de remplacement, le sien étant en vacances. Après un examen trop rapide, le spécialiste concluait à un décollement du corps vitré (qui ne faisait d’ailleurs aucun doute) et prescrivait quelques gouttes d’un banal collyre et beaucoup de repos. Deux mois plus tard, le patient se présente chez son ophtalmo habituel, pour un examen de routine. Il est assez satisfait, ses troubles ont passablement régressé, mais il reste méfiant vu le contexte et malgré l’amélioration. Un fond d’œil soigneux est alors réalisé et révèle trois déchirures non récentes de la rétine que le précédent spécialiste n’avait pas, dans sa hâte, aperçues. Il est probable que l’on se trouve devant ce que l’on pourrait appeler un faux effet placebo. Le traitement médicamenteux prescrit était certainement inefficace sur les déchirures rétiniennes, mais le repos et, peut-être, bien que ce soit loin d’être sûr, le collyre ont permis une sédimentation des corps flottants classiquement associés à un décollement du vitré. Il en a résulté une amélioration de la vision. Il est certain qu’ici la prescription d’un médicament peu efficace, associé au repos, a amené une amélioration qui a masqué pendant un certain temps l’affection sous-jacente qui, elle, était beaucoup plus grave et imposait en urgence un traitement par laser.
Il peut aussi arriver, en cas de non-organicité et de non-réponse au placebo, que le médecin, induit en erreur par cette placebo-résistance, multiplie les examens et ancre son patient dans la croyance d’un processus grave, rendant plus difficile encore toute prise de conscience de l’origine psychologique des troubles fonctionnels. Enfin, dernière configuration possible, en cas de non-organicité et de placebo-réponse positive, le patient, persuadé d’absorber un médicament authentique, acquerra, comme dans le cas précédent, une conviction d’organicité qui renforcera d’autant son symptôme. Dans les trois situations décrites, il est permis de penser que le placebo prolonge le cours de la maladie, et représente un coût humain et économique important bien que rarement évalué.
Vidéo : L’erreur et la faute du placebo
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