Le vieillissement du système nerveux : Les effets du vieillissement sur le système nerveux
Au plan général, il faut souligner que les recherches dans ce domaine sont confrontées à des problèmes méthodologiques difficiles. Elles sont conduites sur des échantillons de tissus nerveux ponctionnés dans des endroits différents du cerveau. Par ailleurs, les auteurs soulignent souvent qu’il existe de très grandes différences interindividuelles. Les modifications nerveuses décrites dans la littérature sont les suivantes :
- atrophie du cerveau (perte de poids et diminution du volume) ;
- apparition de plaques séniles ;
- dégénérescence neurofibrillaire ;
- diminution de la neuroplasticité ;
- mortalité neuronale ;
- raréfaction et enrichissement dendritiques.
Le cerveau subit globalement une atrophie au cours du vieillissement. Son volume se réduit. Selon Miller et al. (1980), cette réduction serait de l’ordre de 2 % par décennie à partir de 50 ans. Il faut malgré tout signaler que la taille du cerveau augmente dans les pays industrialisés depuis un siècle. Cela signifie que, pour une part, le volume cérébral est sous le contrôle de facteurs environnementaux, ce qui rend difficiles les comparaisons entre des groupes de personnes appartenant à des générations différentes ou vivant dans des contextes environnementaux très différenciés. Ce phénomène, décrit dans la littérature sous le terme d’« effet de cohorte » ou de « génération » rend délicate l’évaluation de l’atrophie cérébrale accompagnant le vieillissement.
Cette atrophie cérébrale semble surtout provoquée par la réduction de la substance blanche alors que l’épaisseur corticale (le cortex est la couche superficielle des hémisphères cérébraux qui contient exclusivement des corps de neurones) ne semble pas affectée par l’âge. L’effet de cette atrophie sur l’activité psychologique ne peut plus être abordé globalement comme Wechsler (1956) l’avait supposé, mais doit l’être de façon différentielle selon
la nature des activités psychologiques concernées. Cet auteur avait en effet établit un parallélisme étroit entre l’atrophie cérébrale et la baisse tendancielle du QI (coefficient d’intelligence) à partir de la troisième décennie de la vie (figure 2.4). Selon lui, il existerait une corrélation forte entre le poids du cerveau et le QI. L’atrophie aurait alors une influence sur toutes les activités psychologiques. Les recherches ultérieures ont montré que le vieillissement n’était pas un phénomène homogène mais différentiel selon les activités psychologiques.
L’apparition de plaques séniles au cours du vieillissement dans certaines régions cérébrales a été décrite. Les plaques séniles sont des lésions qui apparaissent dans le neuropile, c’est-à-dire entre les corps cellulaires. Elles sont constituées d’un centre contenant une protéine et d’une couronne constituée de prolongements nerveux anormaux qui sont des neurites en dégénérescence. Le gène codant cette protéine serait situé sur le chromosome 21 Goldgaber et al., 1987). Chez les personnes âgées normales, les plaques séniles semblent apparaître essentiellement dans l’hippocampe et dans le néocortex, avec une densité faible. Selon Kemper (1984), elles sont présentes chez 65 % des personnes de plus de 70 ans.
La dégénérescence neurofibrillaire a été décrite au cours du vieillissement. Il s’agit d’une lésion qui, à la différence de la plaque sénile, apparaît à l intérieur du corps cellulaire du neurone. Il s’agit de faisceaux de filaments anormaux qui envahissent le corps cellulaire, ce qui peut provoquer une distorsion et un déplacement du noyau et ainsi parasiter son bon fonctionnement. Les dégénérescences neurofibrillaires ont été observées en abondance dans le vieillissement normal essentiellement au niveau du lobe temporal antéromédial (corne d’Ammon et noyau amygdalien). Elles semblent présentés chez plus de 60 % des personnes âgées de plus de 70 ans.
La neuroplasticité tend à s’affaiblir en vieillissant. Le grand psychologue de Montréal, Hebb, a publié en 1949 un ouvrage intitulé The Organisation of Behavior dans lequel il donne la première définition de la neuroplasticité comme équivalente au plan neurologique du phénomène d’apprentissage observé au plan comportemental. Pendant très longtemps, les théories associationnistes de l’apprentissage ont exercé une véritable fascination sur les psychologues. De grands théoriciens ont attaché leur nom à cette théorie (Pavlov, Skinner). L’idée centrale était que tout apprentissage résulte d’associations. Hebb a transféré ce postulat au niveau neurologique en postulant que tout apprentissage se traduit par le renforcement ou par la création de nouvelles dendrites et de nouvelles synapses (la synapse établit une jonction entre deux neurones et permet ainsi la circulation de l’influx nerveux). L’hypothèse de Hebb a largement été confirmée par les neuropsychologues (Rose, 1994). En vieillissant, cette neuroplasticité semble moins active et moins efficace, ce qui devrait se traduire par une baisse des capacités d’apprentissage. Elle semble disparaître dans la maladie d’Alzheimer. Le malade devient alors incapable de réaliser de nouveaux apprentissages.
Enfin de nombreuses recherches rapportent l’existence d’une mortalité neuronale (mort des neurones), importante avec l’âge. Les structures concernées seraient : le cortex cérébral ; le cortex cérébelleux (couche superficielle enrobant le cervelet) ; le putamen ; le locus niger, le locus coeruleus qui sont tous les trois des noyaux gris centraux ; et les motoneurones médullaires (neurones situés dans la moelle épinière). En revanche, de nombreux noyaux gris centraux conserveraient la même densité neuronale (Kemper, 1984). Plus précisément, les régions particulièrement affectées seraient les circonvolutions frontale supérieure, temporale supérieure et frontale ascendante, ainsi que le cortex visuel, alors que les circonvolutions pariétales ascendante et temporale inférieure garderaient leur intégrité. La perte pourrait atteindre 40 % de la population neuronale de certaines zones frontales et pariétales ainsi que de l’hippocampe. Par ailleurs, l’ensemble des recherches laisse supposer que les aires associatives sont plus concernées que les aires primaires. Le tableau 2.2 présente les pourcentages de mortalité neuronale de différentes aires cérébrales d’après Mittenberg et al. (1989).
À cette perte neuronale semble s’associer une atrophie des corps cellulaires. Ainsi Terry et al. (1981) ont-ils décrit une atrophie des neurones de grande taille dans le cortex temporal sans modification de la densité neuronale dans le vieillissement normal.
Par ailleurs, depuis quelques années (Hauw et al., 1983), une raréfaction de l’arborisation dendritique a été décrite pour certaines régions du cerveau. Il s’agit d’une diminution moyenne du nombre de dendrites possédées par les neurones. Les aires particulièrement concernées seraient le cortex préfrontal et certaines zones de l’hippocampe.
Aires cérébrales Pourcentages
Lobe préfrontal : – 17 %
Lobe pariéto-occipital: 0%
Lobe temporal: + 1 %
Gyrus postcentral: + 1 %
Gyrus précentral: + 3 %
Thalamus: – 22 %
Ganglion de la base: +22 %
Amygdale: + 1 %
Mais il faut aussi souligner que d’autres auteurs (Buell et Coleman, 1981 ; ! Flood et al., 1987) ont observé une arborisation dendritique plus riche chez les personnes âgées dans certaines régions telles que le gyrus dentatus de l’hippocampe. Au cours du vieillissement, certaines zones cérébrales subiraient donc une dégénérescence alors que d’autres connaîtraient une croissance. Malgré tout, ce phénomène disparaîtrait chez les personnes de plus de 90 ans. C’est ainsi que Flood et al. (1987) ont observé une dégénérescence dendritique chez toutes les personnes de 90 ans de leur échantillonnage au niveau des zones qui semblent s’enrichir au cours du vieillissement. Cela pourrait signifier que le vieillissement prendrait une forme pathologique lors de la rupture des compensations entre zones qui dégénèrent et zones qui croissent. La compensation caractériserait le vieillissement normal et sa rupture serait le témoin d’une sénilité. Cela nous amène à une conception dynamique du vieillissement cérébral.