Le réseau des sociologues
Bien que, par définition, l’état pathologique ne soit pas, a priori, une partie de plaisir, la maladie n’en reste pas moins un vecteur de communication. Être malade, c’est encore faire partie du corps social.
La communauté des malades
Autrefois, la lèpre imposait le port d’habits spécifiques, reconnaissables de loin. Une crécelle complétait l’équipement et permettait une identification rapide. Le comportement du lépreux était défini avec précision, la distance à respecter avec le bien-portant réglementée. Des communautés existaient, avec leurs li us, leurs rites, leur hiérarchie. Un réseau de maladre- i ns avait été créé, notamment en Angleterre, préfigu- i .ml le secteur psychiatrique. Plus tard, la tuberculose .1 joué le même rôle. Jusqu’à l’avènement des antibiotiques, contracter le bacille de Koch, c’était un peu i nmme entrer en religion. Il fallait pratiquement tout .ilumdonner, famille, métier, possessions, aller dans des couvents nommés sanatoria et s’y soumettre à des i iles sociaux particuliers. Même les valeurs
traditionnelles étaient changées, notamment en ce qui concerne la sexualité, qui était beaucoup moins réprimée en ces lieux de réclusion, à une époque pourtant particulièrement pudibonde. « Cette maladie et la lièvre qui l’accompagne, augmentent leurs besoins dans ce domaine. Vous comprenez, c’est à peu près lout ce qui leur reste. »
L’enfermement et l’isolement de certains sanas en arrivaient, paraît-il, à les transformer en maisons vraiment closes ! Pareillement, jusqu’à l’aube des années soixante-dix et parfois même plus tard, lorsqu’un individu était frappé de folie, il était expédié à l’asile d’aliénés. Là aussi, il lui fallait accepter certains rites. Le port d’un uniforme généralement gris était imposé, les ceintures interdites étaient remplacées par des ficelles. Comme à l’armée, les internés avaient droit à leur distribution régulière de tabac gris.Le montant du pécule distribué tous les mois était fixé par la loi qui l’avait indexé sur le prix du timbre-poste.
Dans un registre moins dramatique et plus trivial, le fait de tomber malade oblige chacun d’entre nous à se soumettre dans une organisation, appelée Sécurité sociale. Seigneur des Temps modernes, celle-ci possède ses règles propres, son administration, sa hiérarchie, sa police (contrôles), sa clientèle (les pensionnés). Ses prérogatives sont tellement étendues qu’elles sont devenues un sujet de plaisanterie pour les chansonniers.
Tout citoyen de la République est tenu d’accepter la dictature guichetière de la SS, promue religion d’État. Le rituel est obligatoire sous peine de relégation sociale. L’ancienne dîme, fortement revalorisée et rebaptisée cotisation, fait désormais partie des devoirs nationaux. Devant ce moderne autel où chacun se prosterne, le plus orgueilleux se fait modeste. Le citoyen n’est plus qu’un assuré ou un assujetti. Il doit attendre patiemment son tour, fournir avec obéissance, et dans l’ordre, les multiples papiers exigés dont il manque forcément le plus essentiel, subir les rebuffades, accepter les retards, les sanctions même. Véritable État dans l’État, en cas de désaccord, la Sécurité sociale force chacun, du plus humble au plus puissant et dans un bel esprit démocratique, à solliciter un recours qualifié, avec humour, de « gracieux » où, dans une belle parodie de justice, l’administration se fait à la fois juge et partie.