Le refus d'etre soigné
Le traitement semble indispensable mais est impossible à initier du fait des résistances (inconscientes) du patient. Un exemple d’utilisation éthique (sans mensonge) du placebo est représenté par l’histoire de ce pharmacien retraité, terriblement déprimé depuis la vente de son officine. Il était venu consulter après sa troisième tentative de suicide médicamenteuse.
Son médecin généraliste avait déjà essayé de lui prescrire successivement plusieurs antidépresseurs, appartenant à des familles chimiques très différentes et agissant selon des mécanismes bien distincts. À chaque fois, il avait présenté des effets secondaires majeurs dès le premier comprimé, parfois moins d’une heure après l’absorption. Dès qu’il prenait ce qui lui était prescrit, il éprouvait invariablement un sentiment de malaise général, sa bouche devenait sèche, il était pris de tremblements et de vertiges. Sa tension artérielle passait de 14/8 à 10/6 lorsqu’il essayait de se mettre debout.
Au cours d’une précédente hospitalisation, le psychiatre avait soupçonné un effet nocebo, c’est-à-dire une aggravation des symptômes liée à des mécanismes psychologiques et non directement pharmacologiques. Une perfusion d’antidépresseur placebo avait été secrètement prescrite.
L’infirmière avait « oublié » de mettre les ampoules de produit actif dans le flacon de sérum physiologique sur lequel elle avait collé à dessein l’étiquette de l’antidépresseur en question : le patient avait présenté exactement les mêmes effets secondaires, mais de façon plus intense encore. Des vertiges accompagnés de vomissements l’avaient empêché de se lever pendant toute la journée. Bien que non officiellement mis au courant de la nature des perfusions, il s’était déclaré « très mécontent du service » et était rapidement sorti sur décharge pour à nouveau tenter de se suicider quelques jours plus tard.
Lors des entretiens, notre apothicaire se présentait comme un stoïcien : « Vous ne pouvez plus rien pour moi, je suis un vieil homme. C’est fini… Vous savez, avec mon métier, les médicaments, j’en connais bien les limites. J’en ai tellement vu des malades qui achetaient des sacs pleins de tranquillisants, d’antidépresseurs, de lithium et qui ne s’en sortaient jamais. Dix ans après, ils en étaient toujours au même point, sauf qu’ils avaient pris vingt-cinq kilos et qu’ils étaient devenus de véritables zombies. C’est d’ailleurs ma faute puisque c’est moi qui fournissais les produits. Laissez-moi en finir dignement. »
Ce n’est pas pour rien que l’un des seuls usages que ce pharmacien ait fait des médicaments, outre celui d’en vivre en les commercialisant, ait été de les absorber pour mourir, de les considérer uniquement comme du poison. Il est assez fréquent, en psychiatrie, d’entendre de la bouche de patients très déprimés, des demandes apparemment raisonnables de mort qu’il est, bien entendu, hors de question de suivre puisque la dépression est une maladie curable dont la demande de mort est un symptôme et qu’une fois guéris, les ex-déprimés sont généralement très satisfaits d’être toujours de ce monde. Sans entrer dans ce type de débat, il est clair que la question de l’euthanasie en médecine ne se pose qu’en cas de maladie incurable et dégradante. Un des principaux symptômes de la mélancolie est le sentiment d’incurabilité et d’indignité, souvent fondé sur des raisonnements imparables.
Et pourtant, le propre de la mélancolie, c’est justement sa curabilité. Il s’agit de l’une des maladies psychiatriques les plus graves du fait du risque majeur de suicide mais paradoxalement de l’une des plus faciles à traiter.
Le message fut des plus simples : « Monsieur, vous avez absolument besoin d’un antidépresseur mais pour des raisons que je pense purement psychologiques, vous présentez des effets secondaires chaque fois que l’un d’entre eux vous est prescrit. Tous les jours, nous allons vous placer des perfusions. Dans les premières, il n’y aura que du solvant, ce seront donc des perfusions placebo. Mais, au bout d’un certain temps, nous ajouterons un antidépresseur que nous augmenterons régulièrement. Je vous donne ma parole que vous recevrez une séquence de placebo puis une séquence d’antidépresseur. Le seul élément qui vous sera caché, c’est la date à laquelle nous introduirons le médicament actif. » Le principe de ce traitement dit en simple aveugle dans le temps fut accepté. Il y eut un certain nombre d’effets secondaires modérés, apparus uniquement sous médicament actif, après un délai phar- macologique raisonnable. Le malade s’améliora rapidement.
Vidéo : Le refus d’etre soigné
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