Le refus des homéopathes
L’homéopathie revendique le fait d’avoir été la première à utiliser le placebo, et c’est parfaitement justifié. Seulement, Hahnemann avait préconisé l’emploi du placebo, non pas pour prouver l’efficacité de sa méthode, mais simplement pour ménager des pauses thérapeutiques, ce qui représente une nuance importante. S’il recommande, dès 1846, l’administration de substances inactives, c’est qu’une telle pratique permet d’interrompre, provisoirement et à l’insu du malade, le traitement en cours et de renforcer l’action des véritables médicaments dans les périodes dites de dilution « active ». Le même Hahnemann consacre d’ailleurs de longues et savoureuses pages à décrire avec quel luxe de précautions il convient de préparer un placebo en homéopathie, s’assurant bien que le sucre de lait, le fameux saccharum lactis, n’a pas de vertu thérapeutique et que la vaisselle utilisée est toute neuve, pour éviter que la silice contenue dans le mortier de porcelaine n’ait pas été « dynamisée par le frottement, c’est-à-dire élevée à la puissance Silice I ».
En dehors de cette utilisation très circonscrite du placebo, l’homéopathie revendique pour les remèdes quelle utilise une valeur thérapeutique réelle. Aucune démonstration claire n’en a pourtant jamais été apportée. Voilà probablement pourquoi dans le débat qui, depuis bien des décennies, oppose tenants et opposants de la doctrine homéopathique, l’une des critiques les plus récurrentes est justement celle selon laquelle les indéniables succès de cette médecine reposent pour l’essentiel sur une puissante placebo- thérapie. C’est sans doute Jean-Jacques Aulas, lui- même ex-homéopathe, qui a le plus abondamment soutenu ce point de vue puisque, selon lui, l’homéopathie représente « le meilleur moyen connu à ce jour pour optimiser l’effet placebo ». Il est vrai que par la longueur de ses consultations, la prescription de remèdes inhabituels et l’utilisation de mystérieux noms latins, l’homéopathie fait tout ce qu’il faut pour maximaliser et en quelque sorte rendre plus probable la possibilité d’induire un effet placebo. Cette thèse doit bien entendu sonner de façon particulièrement déplaisante aux disciples orthodoxes de Hahnemann. Car s’il est bien un point sur lequel allopathes et homéopathes s’accordent, c’est sur le refus de l’effet placebo comme fondement premier de l’action thérapeutique, les premiers y voyant l’image d’une action préscientifique, non pharmacologique et donc non rationnelle, les seconds y apercevant une évocation de l’incertitude des théories qui soutiennent leur art.
À notre connaissance, aucune étude n’a prouvé de façon absolument certaine une action pharmacologique spécifique de l’homéopathie, aucune n’a non plus démontré le contraire. À l’heure actuelle, la question reste donc posée de savoir si l’homéopathie agit exclusivement à travers des mécanismes de type placebo. Cette question se révèle particulièrement difficile du fait que cette médecine se propose de soigner des maladies extrêmement variées, et qu’il est bien probable que les mécanismes physiologiques à travers lesquels s’exerce l’effet placebo sont quasiment aussi variés que les pathologies auxquelles il s’adresse. L’effet placebo n’a très probablement pas de support biologique univoque, et les situations fort diverses qu’il recouvre en pathologie en supposent de nombreux. L’homéopathie, par la diversité de ses indications et de ses méthodes, pratiquement aussi nombreuses que les homéopathes, se trouve à l’heure actuelle dans une situation comparable à celle du placebo. Toutes les hypothèses sont ouvertes à l’imagination et aux recherches. L’eau a-t-elle une mémoire? Nous ne le savons pas, mais l’homme, lui, en a une. Beaucoup même ! Mémoire atavique de son histoire personnelle ou collective et mémoire des conditionnements qui s’y rattachent, mémoire des récepteurs, mémoire immunitaire des agressions bactériennes, mémoire génétique… Il est probable que l’effet placebo fait appel à tout cela, et que tout cela renvoie au concept de sensibilité en homéopathie. Dans son expérience princeps en 1790, Hahnemann a-t-il démontré la pathogénésie de l’écorce péruvienne (la quinine), sa propre sensibilité à cette substance, la mémoire biologique du traitement antipaludéen qu’il avait reçu dans le passé, ou bien tout à la fois ? S’il n’existe pas de réel profil de malade placebo sensible ou de médecin placebo inducteur, il est des situations thérapeutiques génératrices d’effets placebo, nocebo ou de placebos résistances. Ces effets ne sont finalement rien d’autre que le reflet de la qualité de la relation médecin- malade. Si la confiance induite par l’homéopathe est grande, l’effet thérapeutique ne le sera pas moins. S’il est probable que le mode d’approche de ces praticiens utilise au mieux l’effet placebo, ce qui est certainement louable du point de vue des patients, cela rend d’autant plus difficile la mise en évidence d’une différence statistique entre homéopathie et placebothérapie.
Un grand nombre d’études utilisant une méthodologie en double aveugle, homéopathie versus placebo, ont bien été publiées. Elles concernaient le plus souvent la douleur, l’intestin irritable, la prévention de la grippe. Il faut bien dire que parmi celles qui n’étaient pas biaisées méthodologiquement, notamment au niveau de la randomisation, la grande majorité des résultats étaient soit négatifs, soit contradictoires. Les homéopathes les plus puristes jugent sévèrement ce type de méthodologie, car, selon eux, elle n’est pas conforme à la doctrine, à l’esprit même de l’homéopathie et ils ont entièrement raison sur ce point. En effet, toutes ces méthodes étudient un seul remède, par exemple l’opium dans la colopathie fonctionnelle ou l’oscillococcinum dans la prévention de la grippe, c’est-à-dire qu’elles s’inscrivent dans un mode de pensée allopathique : à un symptôme ou une maladie donnée correspond un remède donné, alors que la pensée hahnemannienne insiste sur le fait que la prescription doit s’appuyer tout autant sur le terrain que sur le symptôme. On ne prescrit pas la même chose à un petit gros colérique et rougeaud qu’à un grand maigre flegmatique et pâle. Pour autant que nous sachions, aucune des études publiées à ce jour n’a pris en compte ce problème de façon réellement scientifique.
l’échapée belle de la psychanalyse
Il y a quelques années, j’avais été invité à une réunion nationale organisée par les laboratoires B., afín de traiter la question des rapports entre placebo et homéopathie. La question de la méthodologie est bien entendu venue sur le tapis. Nous avons alors proposé à l’assistance de lancer une étude par une méthode que nous pourrions qualifier de « méthode des deux valises à tiroirs ». Puisque dans tel ou tel syndrome, les prescriptions peuvent varier en fonction du terrain, il suffit de faire le compte de tous les remèdes susceptibles detre prescrits dans une indication précise comme, par exemple l’insomnie d’endormissement. À partir de cette liste de remèdes, il est facile de préparer deux valises A et B, munies d’autant de tiroirs que de substances. La valise A ne contient que des remèdes dits « actifs », la valise B, des remèdes dits « placebo ». Selon un tirage au sort aléatoire et randomisé, au fur et à mesure qu’ils sont inclus dans l’étude, les patients recevront les uns des remèdes provenant de la valise A, les autres des remèdes provenant de la valise B, c’est-à-dire un cocktail composé soit uniquement de remèdes actifs, soit uniquement de placebos. Cette méthode aurait été parfaitement conforme à la doctrine homéopathique, et devenait, par conséquent, inattaquable tant par les plus puristes des homéopathes que par les tenants de la méthodologie scientifique dont Aulas est l’un des chefs de file. Au cours de la réunion, les laboratoires B. s’étaient déclarés d’accord pour financer toute l’opération, notamment la fabrication des valises, et nous pensions rencontrer un grand succès auprès de l’assistance. Quelle ne fut pas alors notre surprise devant le refus hostile, voire agressif d’un grand nombre d’homéopathes de contre-indication, bien au contraire. Les Kleiniens traitent les enfants, notamment les psychotiques, et Marty prend en charge les maladies psychosomatiques, même si les symptômes en sont « bêtes », c’est- à-dire non symboliques. Un de mes maîtres, Bruno Bettelheim plongeait dans un bain institutionnel psychanalytique les enfants souffrant d’autisme, et Anzieux utilise la psychanalyse en dynamique de groupe, aussi bien dans un but didactique que thérapeutique, pour toutes sortes d’indications. Dès lors qu’une méthode qui se veut thérapeutique est pratiquée éventuellement par des médecins et se veut efficace quels que soient les symptômes ou la maladie traitée, on peut la considérer comme non spécifique, c’est-à-dire assimilable à un placebo. Cette idée est renforcée par le fait que son efficacité semble essentiellement liée à la qualité de la relation existant entre l’analyste et l’analysant.
Des études récentes ont été menées par Kupfer, sous l’égide du NIMH1, équivalent américain de l’INSERM. Il s’agissait de suivre, pendant cinq ans, cinq groupes de vingt-cinq sujets déprimés sévèrement, présentant une forte probabilité de rechutes et traités, soit par une psychothérapie interpersonnelle (psychothérapie brève d’inspiration analytique), soit par une psychothérapie du même type associée à 200 mg d’imipramine2 ou encore à un placebo, soit par 200 mg d’imipramine prescrits au cours de consultations « classiques », soit par du placebo associé à des consultations « classiques ». De très nombreuses précautions méthodologiques avaient été prises. Les patients étaient assignés à tel ou tel groupe de traitement par tirage au sort. L’homogénéité des différentes techniques de soins avait été assurée par des sessions de formation préalables.
National Institute of Mental Health.
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Vidéo : Le refus des homéopathes
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