Le polycarbonate
Le polycarbonate est le polymère de l’ère de l’information : il intervient notamment dans la fabrication des CD, des DVD, des téléphones mobiles et du GPS (dispositif à positionnement par satellite). Les raisons de ce succès tiennent à son extraordinaire solidité, à sa résistance, à son aptitude à être teinté et également au fait qu’il peut être mélangé à d’autres polymères. Pourtant, certaines personnes doutent de son innocuité.
Les personnes qui ne sont pas favorables aux couches jetables auront peut-être la même attitude vis-à-vis des biberons en polycarbonate. Si on se base sur un article intitulé « Attention à votre bébé » paru dans le journal américain Consumer Report (la Revue du Consommateur) en mai 1999, leur attitude est peut-être justifiée. Cet article fut suivi d’un documentaire présenté par la chaîne de télévision ABC qui, lui aussi, mettait en garde contre les dangers du bisphénol A (BPA). Des traces de ce produit chimique étaient présentes dans le plastique du polycarbonate utilisé pour la fabrication de biberons et il semblait évident qu’il pouvait passer dans le contenu du biberon ; de ce fait, il était susceptible d’affecter le développement sexuel de l’enfant, car le bisphénol A est soupçonné de provoquer des anomalies sexuelles.
Le polycarbonate a été synthétisé pour la première fois par un chimiste allemand Gunther Einhorn, en 1898 : il rapporta qu’il se formait un solide insoluble dans le récipient dans lequel il essayait d’obtenir des carbonates organiques. Deux autres chimistes, Bischoll et Hedenstrom, en fabriquèrent davantage en 1902 : ils jugèrent que c’était un matériau intéressant mais qui ne semblait pas être d’une grande utilité. Ce fut également l’avis du grand chimiste polymériste Wallace Carothers, l’homme qui travailla pour la société Du Pont, et qui découvrit le caoutchouc synthétique et le nylon dans les années 1930. C’est seulement en 1953 que les laboratoires Bayer, en Allema-gne, furent capables de produire un échantillon de polycarbonate qui convenait à des applications commerciales. Ce produit arriva sur le marché en I960, sous le nom de Xantar pour la société hollandaise de produits chimiques DSM et sous le nom de Lexan pour la société américaine General Electric. Actuellement, il est fabriqué par les socié¬tés Bayer et Dow qui jouent des coudes pour évincer General Electric de sa position de premier producteur mondial de polycarbonate.
Le polycarbonate est solide, résistant à l’usure et dur ; il reste rigide jusqu’à 140 °C et résilient en dessous de -20 °C. Il ne brûle pas facile¬ment et en présence d’ignifuges, il réussira les tests sévères d’inflamma- bilité. La plupart des produits chimiques sont sans effet sur lui. Le polycarbonate se mélange bien à d’autres polymères, et le mélange avec l’ABS (acrylonitrile butadiène styrène) est même plus solide que le polycarbonate lui-même. Le polycarbonate est naturellement transparent mais il peut être aisément teinté et sa surface grainée.
Le polycarbonate est fabriqué à partir du BPA et de l’oxychlorure de carbone (COCl2, appelé également phosgène). Le BPA a différents usages mais les deux tiers de sa production sont utilisés pour la fabrication
de polycarbonate. (Le reste sert à la fabrication de résines phénoliques et d’ignifuges.)
Les unités de fabrication de BPA en Europe, en Extrême Orient et aux États-Unis en produisent chacune environ 50 000 tonnes. Le bisphénol A est constitué de deux phénols reliés au même carbone également porteur de deux groupements méthyle (CH3). Lorsque le BPA réagit dans un solvant avec l’oxychlorure de carbone, il se polymérise pour former des chaînes dans lesquelles des unités carbonates (C03) relient les BPA. Plus de 99,9 % de BPA ne quittent jamais leur site de fabrication et sont immédiatement transformés sur place. Même la petite quantité perdue par évaporation ne présente aucun danger car elle se dégrade rapidement au soleil, et toute quantité qui se retrouverait dans l’eau est biodégradable en l’espace d’un jour ou deux. Bien qu’il semble être peu dangereux pour l’Homme et l’environne¬ment, le BPA a suscité certaines inquiétudes lorsqu’on s’est aperçu qu’il avait une activité endocrinienne.
Les écologistes considèrent que les perturbateurs endocriniens, et plus particulièrement ceux qui agissent comme des œstrogènes, les hormones féminines, sont responsables de pathologies de l’appareil reproducteur. Les perturbateurs endocriniens sont des substances qui peuvent bouleverser l’action des hormones et pas uniquement celles concernées par le développement sexuel. On a montré que d’autres produits chimiques tels que le lindane et l’étain tributylique sont des pesticides qui agissent de la même façon. On a fabriqué beaucoup de produits similaires qui autrefois ont été utilisés puis interdits, et ce à juste titre. Pourtant il n’existe pas de preuve que certains composés, dont le BPA, perturbent notre système hormonal ou même celui d’autres animaux.
On ne peut pas nier que le BPA agit comme perturbateur endocrinien ; cela a été mis en évidence accidentellement à l’école de médecine de l’université Stanford de Palo Alto en Californie. Des recherches menées sur des levures étaient gênées par un contaminant inconnu : il s’agissait de traces de BPA provenant des flacons de polycarbonate dans lesquels les tests étaient effectués. La concentration en BPA n’était que de 5 ppb, mais elle était suffisante pour provoquer une réponse œstrogénique dans les cellules de levure. L’action du BPA en tant qu’œstrogène est faible et n’a rien de comparable avec l’effet de l’œstrogène lui-même ; elle est des milliers de fois plus faible. Néanmoins, le fait qu’il puisse exercer un effet œstrogénique semblait suffisant aux yeux de certains pour le condamner. Le Fonds mondial pour la nature (World Wildlife Fund for Nature) émit également des réserves quant à l’utilisation du BPA.
Les écologistes prétendaient que près des sites de fabrication, on relevait des teneurs détectables en BPA dans les eaux naturelles et cela a aussi éveillé l’inquiétude de la population. Les teneurs mesurées étaient inférieures à 1 p.p.b. et dans certaines rivières prétendument dangereuses, on n’avait trouvé aucune trace de BPA. De toute façon, chez la daphnie, l’organisme d’eau douce le plus sensible, la concentration au- dessous de laquelle aucun effet n’est observé après toute une vie d’exposition au BPA est de 1 000 p.p.b. D’ailleurs, aucun article n’a fait état d’une action du BPA qui affecterait un quelconque système aquatique.
Les travaux de Frederic Vom Saal et de ses collaborateurs de l’Université du Missouri à Colombia ont également attiré l’attention sur le BPA en tant qu’éventuel perturbateur endocrinien. Ils ont signalé qu’un petit nombre de souris auxquelles on avait administré de faibles doses de BPA avaient présenté des troubles de la reproduction. D’après Vom Saal, les bébés souris ont subi des conséquences à long terme : chez les femelles, la puberté était plus précoce et elles prenaient du poids plus rapidement que la normale. L’utilisation des résines époxy en dentisterie fut placée sous surveillance lorsque Vom Saal affirma que dans l’heure qui suivait une obturation une dose « significative » de BPA s’en échappait. Le polycarbonate était utilisé comme plombage dentaire et ce résultat était donc préoccupant. Cependant, d’autres tests ont montré qu’il n’y avait pas de fuite de BPA, ce que confirma l’association dentaire américaine.
La surface de tout récipient en polycarbonate libère donc une infime quantité de BPA dans le liquide qui s’y trouve mais cette dernière est faible, de l’ordre de 1 ppb. Même lorsque cette quantité est légère¬ment supérieure – certains affirment avoir trouvé 5 ppb —elle reste encore bien faible. (5 parties par milliards sont numériquement équivalentes à 1 seconde en 6 ans.) Un bébé alimenté au biberon avec une telle quantité de BPA absorbe un microgramme par jour de ce matériau, ce qui est bien inférieur au niveau auquel on observe un effet physique quelconque, et environ cinquante fois inférieur à la quantité journalière considérée comme « inoffensive ». En fait, Consumer Reports semblait avoir mal fait ses calculs et citait des niveaux bien plus élevés que celui considéré comme non dangereux.
De leur côté, les fabricants de BPA disent qu’il n’y a aucune preuve de la dangerosité de ce produit chimique pour la santé de l’Homme et qu’il a fait l’objet de tests minutieux conformément aux procédures imposées par l’Académie des Sciences américaine.
Le BPA n’est ni cancérigène ni mutagène et le corps humain est exposé à une quantité qui est des centaines de fois plus faible que celle pour laquelle on observerait probablement un effet. CD, DVD, boucliers anti-émeutes, abribus résistants au vandalisme, ventilateurs, hublots d’avion, verres blindés, auvents de protection, lucarnes, toitures de jardin d’hiver, casques de sécurité, optiques de phare, éclairages, téléphones mobiles, boîtiers de batterie, appareils électroménagers, tableaux de bord, distributeurs automatiques de billets, GPS, panneaux de wagonnets et pare- chocs : il est peu probable que les personnes qui entrent en contact avec ces objets en polycarbonate s’imprègnent de BPA. La demande mondiale en BPA croît plus rapidement que celle de tout autre plastique, et la production annuelle dépasse actuellement les 2 millions de tonnes.
Les seuls objets qui pourraient laisser des traces dans le corps humain sont les biberons, les emballages, les gourdes et les appareils médicaux. La FDA (Food and Drug Administration qui est chargée de la sécurité alimentaire et des médicaments aux États-Unis) les a jugés tout à fait conformes ; des traces infimes de BPA n’ayant pas réagi et susceptibles de migrer dans l’alimentation sont considérées comme non dangereuses. Le BPA ne constitue pas non plus une menace pour l’environnement et l’OCDE (organisation pour la coopération et le développement économique) l’a classé parmi les produits rapidement et complètement biodégradables.
Cependant, certains travaux de recherche qui semblaient avoir montré que le BPA agissait sur le système de reproduction, ont alarmé les médias et ne pouvaient être ignorés. Deux organismes, la Société des industrie plastiques et le Conseil européen de l’industrie chimique, ont parrainé une enquête à grande échelle. Des travaux de recherche ont été entrepris dans différents laboratoires sur de grands nombres de souris et de rats mâles et femelles qui étaient exposés durant de longues périodes à un éventail plus large de doses de BPA. Les chercheurs n’ont détecté aucun effet sur la prostate, les testicules et la numération des spermatozoïdes chez les mâles ; chez les femelles, il n’y avait aucune modification physique dans la croissance et le développement, ni dans l’aptitude à concevoir et à mettre bas, ni dans le développement et la croissance de leur progéniture. Quand on administrait à des rongeurs gestants des dose de BPA provoquant une réaction toxique, ils donnaient encore naissance à des bébés normaux.
Une des conclusions de ces travaux de recherche était qu’il est très facile de faire la confusion entre le BPA et d’autres produits chimiques. En fait, dans les bières et les boissons vendues dans des canettes fabriquées avec des résines on n’a trouvé aucune trace détectable de BPA, du moins inférieure au seuil de détection qui est de 5 p.p.b. Dans d’autres aliments en conserves, on avait effectivement détecté du BPA dont la teneur, 35 p.p.b., était très inférieure à celle qui avait été précédemment annoncée. De tels aliments fourniraient un apport journalier en BPA mais qui serait 500 fois plus petit que le seuil de sécurité préconisé par la FDA.
Ces résultats ont soulagé la Société des industries plastiques qui affirmait qu’aucun des effets signalés par les chercheurs de l’Université du Missouri n’avait pu être reproduit. Le débat autour des tests sur l’action éventuelle du BPA en tant que perturbateur endocrinien a donné lieu à un échange de courriers peu aimables entre les chercheurs de l’université et de l’industrie, chacune des parties accusant l’autre de déclarations trompeuses au sujet des expériences médiocres qui avaient conduit à des résultats ambigus. Alors, qui a raison ? Notre sympathie penche pour Vom Saal car c’est un universitaire et nous supposons que ses motivations et ses objectifs sont irréprochables. Cependant, les chercheurs travaillant dans l’industrie sont sans doute aussi compétents : ils ont peut-être plus de moyens, sont plus expérimentés, et certains d’entre eux travaillent vraiment de façon indépendante.
Ne sachant pas qui croire les officiels étaient dans une situation quelque peu embarrassante. À la demande de l’agence américaine de protection de l’environnement, le programme national américain de toxicologie publia un rapport préliminaire en mai 2001 signalant que les résultats non concluants obtenus jusque-là signifiaient qu’il fallait approfondir davantage la question et qu’en attendant, les recommandations actuelles de l’EPA devaient rester en vigueur.
Rochelle Tyl fut responsable d’une importante étude sur le bisphénol A, menée au Research Triangle Institute, en Caroline du Nord, aux États-Unis. Elle s’intéressa aux effets de fortes et faibles doses de BPA sur trois générations successives d’animaux de laboratoire et elle parvint à la conclusion rassurante que ce produit n’avait aucune influence sur le système de reproduction. Le travail fut parrainé par le Bisphenol A Global Industry Group et reçut, au cours de l’année 2000, l’approbation de l’institut américain des sciences de la santé liées à l’environnement, du programme national américain de toxicologie et de l’agence américaine de protection de l’environnement. Puis, en 2003, Patricia Hunt, de l’Université de Case Western Reserve, annonçait dans un article que les embryons de souris exposés à de faibles concentrations de BPA se développaient anormalement. Elle avait découvert que les récipients en polycarbonate qui étaient lavés avec une solution de détergent alcalin lessivaient par la suite de faibles quantités de BPA : celles-ci étaient suffisantes pour provoquer des anomalies chromosomiques.
Restons vigilants pour l’avenir
Il existe un autre type de polycarbonate, très différent de celui basé sur le BPA. Il est synthétisé à partir d’un matériau de départ qui possède deux groupements carbonates liés entre eux par CH2CH2 et deux doubles liaisons portant des groupements de part et d’autre.
Ce sont elles qui subissent une polymérisation radicalaire, la première pour former de longues chaînes et la seconde pour relier ces chaînes entre elles. Cette réticulation rend le polycarbonate particulièrement dur et idéal pour les verres de lunettes car il possède un indice de réfraction supérieur à celui du verre. Cela signifie que les verres peuvent être plus fins et ultra légers et qu’ils sont parfaits pour les personnes portant habituellement des ver¬res épais et inesthétiques.
Le nouveau polycarbonate pourrait bien contribuer à créer une nouvelle image de la chimie et à attirer de jeunes et brillants cerveaux vers cette science et sa recherche. Le monde en aura sérieusement besoin au cours de ce siècle s’il doit fonder son bien-être économique uniquement sur des ressources renouvelables
Une réponse pour "Le polycarbonate"
Le fait d’avoir une toiture en polycarbonate au dessus d’une piscine, est-on exposer directement au bisphénol A ? Et la piscine en coque contient elle aussi ? Est-on 2 fois plus exposé ?