Le phénomène de l'urgence : La prégnance croissante des brèves durées vitales
Longtemps, la durée limite propre aux urgences médicales resta caractérisée par l’imprécision. La situation était grave ; une nécessité s’imposait : il fallait faire quelque chose ; il fallait aussi le faire vite et l’on parlait d’urgence, mais sans que ce mot soit lié à une limite de temps parti¬culière. L’asphyxie et l’hémorragie massive étaient les seules circonstances où il apparaissait clairement que ce qu’il fallait faire devait être fait le plus vite possible, en priorité absolue. Aujourd’hui, dans de nombreuses autres circonstances, une durée limite s’est aussi précisée.
Cette précision résulte de l’analyse des résultats des traitements mis en œuvre, en fonction de la durée écoulée entre la survenue de l’événement et la mise en route du traitement. C’est le cas, par exemple, des ischémies aiguës du cœur (infarctus du myocarde) ou du cerveau (une forme fréquente des accidents vasculaires cérébraux). Dans ces cas, le résultat du traitement dépend de la rapidité du rétablissement de l’apport sanguin à l’organe qui en a été brutalement dépourvu, donc du délai de mise en œuvre du traitement.
En effet, la nature est bonne fille. Elle se donne de la marge, en particulier du point de vue du temps. Ainsi, les durées limites liées au fonctionnement de certains
organes excèdent largement les rythmes propres à ces fonctions. Le rythme respiratoire est de 12 à 20 cycles par minute, mais l’interruption de la respiration, l’apnée, volontaire ou non, peut, au prix d’un entraînement spécifique, durer sans grand dommage plusieurs minutes. Le rythme cardiaque est de 80 battements par minute en moyenne, mais un arrêt cardiaque peut rester sans conséquence grave durant près de 3 minutes. Au-delà, les dom¬mages liés à l’interruption de la circulation du sang deviennent irréversibles, surtout pour le fonctionnement du cerveau, qui est alors définitivement lésé.
Ces marges temporelles sont offertes à la réaction médicale. En deçà, son succès reste possible ; au-delà, celui-ci est très incertain, sinon impossible. La nouveauté de ces dernières années est que ces durées limites sont de plus en plus intégrées comme un élément central de la mise en œuvre des secours. Il y a là une nécessité technique. Ce phénomène va s’accentuer. Il prendra une place croissante dans le champ de la responsabilité, donc dans le corps du droit. Le droit suit la technique. S’il reste encore aujourd’hui très flou sur la durée qui peut s’attacher à l’urgence médicale, il est probable que demain, le juge aura à se prononcer, après que des experts auront minutieusement comparé, d’une part, le délai écoulé entre l’annonce de l’accident de santé et la mise en route du traitement, d’autre part, la durée limite, c’est-à-dire la norme temporelle reconnue, compte tenu du diagnostic devant être évoqué dans cette circonstance et du choix de la procédure, notamment de transport, à adopter dans ce cas.
Durant de longs siècles, la mort subite, « celle qui, prévue ou non, emporte promptement le sujet contre son attente ou celle des autres personnes présentes en ce moment » (Morgagni, 1762), fut plutôt considérée comme une grâce de la nature, épargnant souffrance et agonie au défunt comme à l’entourage. À présent et, sans doute, plus encore demain, la mort subite, souvent liée à un trouble brutal du rythme cardiaque, est considérée comme une véritable maladie de la mort, contre laquelle il faut lutter. L’accent est mis alors sur une durée vitale, à la fois très brève et précise. Cette nouvelle orientation trouve son illustration dans une organisation encore peu visible en France, mais qui marque fortement la lutte de la société américaine contre la mort subite : la chaîne de survie. Les moyens de cette lutte sont : l’alerte la plus précoce possible (le téléphone portable joue alors un rôle essentiel) ; la formation et la participation de chaque citoyen à l’œuvre de réanimation par la mise en œuvre du massage cardiaque externe ; l’utilisation au plus vite d’une machine destinée à restaurer un rythme cardiaque normal, le défibrillateur externe ; enfin, le transport du malade au plus vite vers le service des urgences de l’hôpital le plus proche.
Demain, un nouveau visage de la médecine en France sera sans doute caractérisé par diverses mesures : l’incitation des citoyens à participer à la lutte contre la mort subite au nom de la solidarité ; l’enseignement à grande échelle du massage cardiaque externe ; la mise en place de défibrillateurs externes dans les lieux propices à l’émotion, peut-être juste à côté des extincteurs.
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