Le dévoilement de la vérité
Se pose encore une question rarement évoquée : en cas de succès d’une placebothérapie, faut-il révéler au patient la nature du traitement ? La réponse n’est pas simple et n’a d’ailleurs pas été souvent étudiée. Une certitude est que si le patient découvre seul la supercherie, les choses se passent généralement mal, notamment pour le médecin. Ainsi, dans mon service, une patiente avait-elle accepté de participer à l’étude d’un nouvel antidépresseur. Peut-être avait-elle mal lu le texte d’information qu’elle avait pourtant signé, toujours est-il qu’elle n’avait pas réalisé qu’au cours du protocole, elle serait pendant un temps mise sous placebo, en réalité pendant la première semaine dite « période contrôle en simple aveugle ». Elle entendit, par hasard, les infirmiers parler de placebo, se sentit flouée, ce qui n’était d’ailleurs pas totalement injustifié, et sortit contre avis médical, et ce, malgré les tentatives d’explications embarrassées que nous tentâmes de lui fournir. Outre le sentiment d’avoir été trompé, l’idée que la guérison puisse avoir été obtenue par un faux médicament induit en effet l’idée que la maladie est également fausse, d’où une blessure narcissique souvent intolérable qui peut se résoudre, soit par un mouvement dépressif, soit par un mouvement agressif contre le médecin.
Lorsqu’un placebo a été efficace et qu’un patient a été guéri ou, du moins, amélioré par la seule vertu de la magie relationnelle, additionnée de quelques milligrammes de lactose ou de sérum physiologique, le problème est de savoir s’il faut ou non dire la vérité : « Monsieur (ou Madame), le médicament qui vous a fait du bien est en fait un placebo. » Cette attitude peut se révéler toxique pour plusieurs raisons. Elle sous-entend d’abord que le médecin a menti et a prescrit du vent en prétendant le contraire, ce qui peut détruire toute confiance. Elle peut révéler un certair sadisme chez le médecin, du style : « Je vous ai bien eu, votre maladie était bidon, et je vous ai guéri avec un médicament tout aussi bidon ! » Elle peut amener une blessure narcissique profonde, car le patient peut alors penser qu’il est fou et que sa maladie est irréelle puisque un traitement inerte l’a guéri. Cette idée serait fausse puisque, comme nous l’avons vu, un symptôme authentique peut souvent être amélioré par le placebo. Néanmoins, ne rien dire et pérenniser une situation mensongère risque d’amener le médecin à multiplier les mensonges pour ne pas se couper, à mettre dans la confidence trop de monde, pharmacien, secrétaire, infirmière, etc., et à créer un climat de défiance qui, immanquablement, le mènera à la catastrophe, c’est- à-dire à la découverte du pot aux roses. Là encore, le médecin doit être au clair avec ses motivations intérieures et, avant toutes choses, s’assurer que ce n’est pas par désir de revanche sur un symptôme rebelle ou incompréhensible ou bien à l’encontre d’un malade insupportable qu’il a décidé de lui jeter la vérité en pleine figure.
Cette question du dévoilement d’une vérité jusque-là cachée est bien illustrée par la question de l’hypno- agnosie. Ce trouble très particulier concerne de nombreux patients qui viennent consulter, convaincus qu’ils sont de ne pas dormir et d’être totalement insomniaques. C’est le fameux « J’entends sonner l’horloge toutes les heures ». Lorsqu’après l’enregistrement de sommeil, il apparaît clairement que ces personnes dorment bien, parfois jusqu’à six ou sept heures d’affilée, la question de ce qu’il faut dire apparaît difficile. Le « Vous dormez, j’en ai la preuve ! » assené brutalement amène soit une réaction dépressive : « Mais alors je suis complètement fou ! », soit une réaction agressive : « Votre technique n’est pas fiable, je vous dis que je ne dors pas ! » Ne rien dire, éluder les questions, n’est pas non plus une attitude correcte puisqu’elle justifierait une prescription d’hypnotiques totalement contre-indiqués dans cette pathologie : recevant une molécule réelle pour un symptôme imaginaire, le patient resterait ancré dans la méconnaissance de son trouble et finirait, à la longue, par créer une véritable insomnie. La seule solution est donc de prendre son temps, de procéder par petites touches d’informations, de laisser entendre que l’insomnie n’est peut-être pas complète, qu’il existe sans doute des périodes de perte de conscience ou de rêveries repérables sur le tracé. En laissant l’insomniaque prendre conscience de sa non-fatigue matinale, de sa bonne forme, de l’inutilité, voire de la toxicité des hypnotiques dans son cas, on parvient généralement, sans démagogie ni complaisance, à amener le patient à la conclusion voulue : il ne s’aperçoit pas qu’il dort. Et parfois, le sommeil vient. De surcroît.
La vérité doit donc être administrée à petites doses, progressivement croissantes. Seul le temps peut, petit à petit, amener un patient à reconnaître et à accepter l’idée que ce n’est pas le fameux « comprimé miracle » qui a amené la régression des signes, mais la bonne qualité de la relation et la confiance réciproque dont ledit comprimé n’était que la matérialisation. Moment de vérité, cette prise de conscience peut parfois demander plusieurs années. Non seulement le placebo doit être prescrit avec discrétion, mais il doit aussi être dévoilé avec tact et mesure.
Vidéo : Le dévoilement de la vérité
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