Le contrôle de l'activité cardiaque: la découverte de l'acétylcholine: expérience de loewi
L’idée de la circulation d’un « fluide nerveux » de nature électrique fut développée par le médecin et anatomiste italien Luigi Galvani (1737-1798) à partir des années 1780. Au cours du XIXe siècle, l’électricité animale fit l’objet de nombreuses recherches, et c’est ainsi que la neurophysiologie vit ainsi le jour. Pour cette toute jeune discipline, l’expérimentation fut facilitée par l’invention, en 1831, du générateur électrique par le physicien et chimiste anglais Michael Faraday (1791-1867). Tout d’abord limitée à l’analyse électrique du message nerveux et à l’étude de la contraction des muscles squelettiques, l’utilisation de ce générateur tut ensuite mise à profit afin de mieux comprendre le fonctionnement cardiaque. En 1845, devant les naturalistes italiens réunis en congrès à Naples, les frères Weber, tous trois médecins, anatomistes et physiologistes allemands, utilisèrent le générateur de Faraday pour démontrer l’inhibition exercée sur le cœur par le nerf pneumogastrique (nerf vague ou nerf x). A partir de cette observation, l’avancée des recherches conduira le physiologiste autrichien Otto Loewi (1873-1961) à découvrir, 76 ans plus tard, une molécule essentielle du système nerveux: l’acétylcholine.
l’expérience des freres weber (1845):
Dans une toute première expérience, les frères Weber connectent l’un des pôles du générateur de Faraday à la narine d’une grenouille et l’autre à la partie moyenne de la moelle épinière. Lorsqu’un courant est délivré, un ralentissement du cœur – parfois même un arrêt net – est observé. Des résultats comparables sont obtenus chez le lapin, le chat ou le chien. Les frères Weber affinent alors leur protocole expérimental de manière à préciser l’origine des contrôles exercés sur le cœur et publient les observations suivantes :
« Si la moelle allongée [le bulbe rachidien] d’une grenouille ou les extrémités des nerfs vagues isolés sont excités par la rotation d’une machine électromagnétique de puissance moyenne, le cœur s’arrête soudainement de battre […].»
les experiences de loewi (1921):
En 1866, le physiologiste allemand Cari Ludwig (1816-1895) et son confrère russe Elie de Cyon (1842-1912) isolent les fibres nerveuses cardiomodératrices du nerf vague. L’origine du ralentissement de l’activité cardiaque qu’elles induisent n’est pas connue. En 1874, Emil du Bois-Reymond (1818-1896), physiologiste et mathématicien allemand formule deux hypothèses : soit le courant électrique véhiculé par les fibres nerveuses afférentes au cœur agit directement, soit une substance chimique sécrétée par ces fibres est à l’origine du phénomène observé. En 1921, Otto Loewi entreprend de démontrer l’existence d’une substance cardiomodératrice libérée par le nerf vague.
Loewi réalise tout d’abord une expérience dite «à un seul cœur». Une canule de Straub, qui contient 1 mL de liquide de Ringer, est introduite dans le bulbe aortique d’un cœur de grenouille isolé qui a conservé son innervation pneumogastrique.
Le cœur de grenouille ne possédant pas de circulation coronaire, il est irrigué par simple imbibition. Lors de l’expérience, il est donc irrigué par le liquide contenu dans la canule de Straub. Une serre fine placée à la pointe du ventricule transmet les contractions cardiaques à un stylet inscripteur en appui sur un cylindre enregistreur. Des électrodes stimulatrices placées sur le nerf vague permettent d’exciter celui-ci.
Loewi enregistre l’activité cardiaque dans différentes conditions : lorsque le cœur est simplement irrigué par le liquide Ringer (activité basale), lorsqu’en plus, le nerf pneumogastrique est stimulé, et lorsque le cœur est irrigué par le liquide Ringer recueilli après stimulation du nerf pneumogastrique (Ringer «vagal»). Les résultats sont présentés.
L’expérience, d’une durée totale de 2 heures environ, confirme l’implication du nerf vague dans le contrôle de l’activité du cœur: sa stimulation entraîne un arrêt cardiaque. Elle conforte également l’hypothèse de la libération d’une substance cardiomodératrice par ce nerf, puisque le Ringer «vagal» possède un double effet: il diminue à la fois la fréquence cardiaque (effet chronotrope négatif) et l’amplitude des contractions du cœur (effet inotrope négatif).
Otto Loewi réalise ensuite une seconde expérience, qui est restée célèbre. Elle utilise un montage expérimental à deux cœurs : un donneur et un receveur. Le cœur donneur, perfusé par du liquide de Ringer, conserve son innervation pneumogastrique. Des électrodes stimulatrices permettent d’exciter le nerf. Le cœur receveur, est au contraire privé de son innervation et il est perfusé par le liquide issu du cœur. Une serre fine placée à la pointe du ventricule de chaque cœur permet l’enregistrement des contractions cardiaques.
Une stimulation du nerf vague pendant 40 secondes provoque un arrêt immédiat du cœur donneur. Cet arrêt cardiaque, dont la durée est de 70 secondes environ, se prolonge au-delà de la stimulation électrique. Le cœur receveur s’arrête également, environ 30 secondes après le cœur donneur. Il reste à l’arrêt pendant 55 secondes.
Cette expérience fournit en apparence seulement – de multiples arguments en faveur de l’existence d’une substance libérée par le nerf vague et capable de provoquer un arrêt cardiaque :
- l’arrêt du cœur receveur ne peut s’expliquer autrement que par l’action d’une substance soluble libérée dans le liquide nutritif par le cœur donneur ;
- le délai de 30 secondes observé entre l’arrêt du cœur donneur et celui du receveur doit correspondre au temps de libération et de transport d’une substance entre les deux organes ; la durée de l’arrêt cardiaque est supérieure, pour chaque cœur, à celle de la stimulation électrique du nerf vague, ce qui suggère l’action d’une substance chimique dont l’effet est moins immédiat que celui d’un phénomène électrique, mais qui se prolonge dans le temps.
Ces résultats conduisent Otto Loewi à poser l’hypothèse de l’existence d’une substance, qu’il nomme «vagusstoff», libérée lors de l’excitation du nerf vague et capable de ralentir le rythme cardiaque jusqu’à l’arrêt complet.
D’autres étapes clés:
Peu de temps après les expériences de Loewi, en 1926, le «vagusstoff» est caractérisé, tant du point de vue chimique que fonctionnel : il s’agit de l’acétylcholine, une molécule dont le neurophysiologiste anglais Henry H. Dale (1875-1968) montre, en 1936, qu’elle possède un effet stimulant sur la contraction du muscle squelettique. Pour leurs travaux sur l’acétylcholine, Loewi et Dale (1875-1968) recevront le prix Nobel de médecine en 1936. Mais c’est seulement dans les années 1950 que l’acétylcholine sera identifiée en tant que neurotransmetteur, grâce aux travaux du biophysicien anglais d’origine allemande Bernard Katz (1911-2003).
Vidéo : Le contrôle de l’activité cardiaque: la découverte de l’acétylcholine
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