Le concept de nutrition préventive
Compte tenu de la valeur inestimable que représente la santé dans la vie humaine, l’exploration des relations entre alimentation et santé constitue un des positionnements clés les plus mobilisateurs au niveau de la recherche et le plus soutenu par la société. Cette démarche est l’objet d’une nouvelle discipline, la nutrition préventive. Celle-ci décrit les modes alimentaires qui permettent de satisfaire tous les besoins nutritionnels dans leur très grande diversité, d’assurer le bon fonctionnement de l’organisme et de prévenir ou de retarder un très grand nombre de pathologies. Le domaine de la nutrition préventive ne s’est pas encore suffisamment développé, parce qu’il est difficile d’expliquer l’influence de la nutrition sur des processus pathologiques de long terme. Par ailleurs, le rôle des facteurs génétiques, souvent déterminants, rend très complexe l’interprétation des relations entre alimentation et santé. Puisque nous ne savons pas quelles sont nos imperfections génétiques, quels organes ou quels tissus vont nous trahir, pourquoi donc se préoccuper de prévention nutritionnelle ? Une première réponse à cette question apparaît dans le fait que la prévention nutritionnelle est, dans la majorité des cas, efficace face à un grand nombre de pathologies. Bien que nous soyons largement inégaux devant les risques de la maladie, nous avons sensiblement les mêmes caractéristiques énergétiques et nous sommes susceptibles de bénéficier des mêmes facteurs de protection. Il est clair que la qualité des nutriments et des micronutriments que reçoivent nos cellules a des répercussions non seulement sur le bon fonctionnement de notre organisme, mais aussi sur son éventuel dérèglement au cours du vieillissement.
Alors que la nutrition préventive doit trouver une place majeure dans l’élaboration d’une société moderne, sa genèse, sa mise en place, son application se sont révélées très difficiles. Une opinion commune est de considérer que le management de la santé est somme toute l’affaire du monde médical et que les autres acteurs en amont n’ont pas à s’investir de cette mission. Cela pouvait se concevoir tant que les aliments ou les régimes étaient relativement peu investis d’une valeur santé, tant qu’il n’était pas parfaitement prouvé que l’ensemble de l’alimentation avait une influence sur la prévalence des maladies cardio-vasculaires, des cancers et des autres pathologies. Il n’était pas nécessaire de s’occuper de la qualité nutritionnelle de tous les aliments consommés puisque l’on attribuait l’efficacité préventive à des facteurs nutritionnels relativement simples. Il fallait seulement réduire le cholestérol et les acides gras saturés pour lutter contre les maladies cardio-vasculaires et, dans un passé pas si lointain, réduire les glucides pour lutter contre le diabète.
Compte tenu de l’implication de l’ensemble des aliments dans le développement d’un bon statut nutritionnel et dans les mécanismes de prévention, il n’est plus possible de déconnecter la gestion de la santé de celle de la chaîne alimentaire. Cette gestion dépasse les attributs du corps médical qui d’ailleurs ne la revendique pas. Le suivi de la chaîne alimentaire dans le but d’assurer le bien-être et la santé de la population ne bénéficie guère de l’appui d’un corps de nutritionnistes bien trop éloigné des réalités de terrain. D’un côté, les acteurs de la santé ont une connaissance très imparfaite de la complexité des aliments, de leurs mécanismes d’action et surtout de leurs modes de production. Ainsi, ils sont bien mal placés pour exercer une influence sur l’élaboration de la qualité nutritionnelle, par exemple en matière de pain. D’un autre côté, le large secteur agricole et alimentaire ne dispose pas d’une culture suffisante en nutrition humaine. Pourtant ce secteur pourrait être fortement amélioré s’il disposait de directives claires de la part des nutritionnistes. Il y a donc une réelle difficulté, en l’absence d’un corps suffisamment organisé et compétent de nutritionnistes, d’établir les passerelles nécessaires pour concevoir la production alimentaire en fonction des besoins nutritionnels de l’homme.
Ces besoins ont en effet été difficiles à établir. Finalement, on n’a jamais réellement pu évaluer à quel point l’alimentation pourrait exercer des effets protecteurs, prévenir très fortement les cancers, l’ostéoporose. Ces incertitudes concernant l’efficacité de la prévention nutritionnelle sont un frein pour la mise en place d’une alimentation protectrice. Au niveau du terrain, il est vraiment difficile de montrer les bienfaits de l’alimentation lorsqu’une large majorité de la population consomme du pain blanc, trop de sucre, de matières grasses ou de sel. Dans ce contexte peu favorable, les enquêtes épidémiologiques ont malgré out mis en évidence l’intérêt de la consommation de fruits et de légumes pour se protéger des cancers et d’autres pathologies, le rôle de l’équilibre entre acides gras polyinsaturés dans la protection cardio-vasculaire, les risques liés aux excès de sel dans la survenue de l’hypertension. Pour la majorité des populations, il :st compréhensible qu’avec une alimentation approximative et beaucoup d’erreurs commises tout au long d’une vie il soit très difficile d’affirmer les potentialités de la nutrition préventive. ainsi, les bénéfices possibles d’une alimentation qui serait adaptée aux besoins de l’homme sont assez systématiquement sous- estimés. Heureusement quelques peuples, tels que les Crétois, ont lu bénéficier d’un environnement alimentaire favorable contre certaines pathologies, et cela a permis d’asseoir le discours des nutritionnistes. Cette population est maintenant influencée par es facilités du système agroalimentaire dominant avec son cortège de surcharge pondérale et de pathologies dégénératives.
Ainsi, faute d’un trop petit nombre de populations exemplaires par l’équilibre de leur environnement et de leur savoir- aire, le rôle des facteurs environnementaux et nutritionnels a souvent été marginalisé. Sans incitations claires, des populations entières n’empruntent pas un cercle vertueux de gestion intéressante de la santé par l’alimentation et cèdent à un cercle vicieux d’ignorances et de dévalorisation alimentaire, avec des retombées évidentes fort négatives sur de nombreux plans. Difficile dans ces conditions, pour les épidémiologistes, de tirer les conclusions claires à partir du passé nutritionnel peu cohérent des cohortes étudiées.
Il est donc nécessaire maintenant de ne pas ressasser indéfiniment le passé, de construire l’avenir nutritionnel de nos enfants parce que, malgré les difficultés et grâce au recoupement d’une multitude d’approches scientifiques, on a acquis aujourd’hui un degré de certitude suffisamment fort sur la façon de bien s’alimenter. Malheureusement, cette bonne nouvelle est étouffée par in bruit de fond pénible d’avis incompétents. Cependant, il existe toujours un danger à présenter des informations, comme certaines qui s’avèrent ensuite assez inexactes. Il ne s’agit donc pas d’édicter des règles de conduites strictes, d’uniformiser les comportements nutritionnels, mais bien de situer les limites raisonnables à respecter dans les variations de la qualité nutritionnelle des aliments et des pratiques alimentaires. En fait, les erreurs des nutritionnistes ou des professionnels de l’agroalimentaire ont été de délivrer ou de s’appuyer sur des analyses trop réductrices qui ne tiennent pas compte de la complexité des aliments et des régimes. En effet, les aliments ne sont pas seulement la somme de leurs composés nutritionnels, de même les régimes sont plus que la somme des aliments qui les composent. L’impact de ces ensembles dépend de leur complexité, de la complémentarité et de la synergie d’action de leurs composés ; les défauts majeurs à éviter étant un fort déséquilibre dans les nutriments énergétiques et un apport indigent de minéraux et micronutriments.
Vu l’abondance des aliments disponibles, il y a, et c’est heureux, une très grande diversité possible dans l’art de bien s’alimenter, et donc une palette de menus quasi infinie ; ce qui est un des arguments essentiels qu’il convient d’opposer à une critique récurrente de la nutrition préventive, source imaginaire de monotonie et antinomique au plaisir.