L'ASCITE
puisqu’il est ici exclusivement traité de la pathologie hépatique, nous exclurons par définition du cadre de cet ouvrage les ascites d’autre étiologie, telles que les ascites des affections inflammatoires ou néoplasiques du péritoine, ou encore l’anasarque, en rapport avec une insuffisance cardiaque droite.
Du point de vue physiopathologique, la constitution d’une ascite implique l’association de deux phénomènes : une hypertension portale et une rétention hydrosodée.
La rétention hydrosodée est localisée dans te secteur pérïtonéal, du fait de l’hypertension portale. Cette rétention, liée à l’existence d’une insuffisance hépato-cellulaire, entraîne une hypersécrétion de rénine, et donc une augmentation de la sécrétion d’aldostérone.
A côté de ce mécanisme fondamental, d’autres facteurs concourent également à la production d’une ascite. Jouent ainsi un rôle l’hypo-albuminémie, en rapport avec l’insuffisance hépato-cellulaire, l’augmentation de la perméabilité capillaire dans le territoire péri- tonéal et enfin l’augmentation de la perméabilité des lympathiques. La cirrhose du foie, quelle au’en soit l’origine, apparaît donc comme l’affection réunissant par excellence toutes les conditions propices à l’apparition d’une ascite puisqu’elle associe insuffisance hépato-cellulaire et hypertension portale.
LE DIAGNOSTIC
L’installation de l’ascite est rapide ou progressive, souvent précédée d’un météorisme ou de douleurs abdominales diffuses. L’existence de la collection liquidienne est reconnue sur des signes cliniques, et sa nature, affirmée par l’examen du liquide après ponction.
L’examen clinique
Lorsque l’ascite est de faible abondance (inférieure à un ou deux litres), le diagnostic en est quasi impossible. Toutefois, il existe un argument permettant de suspecter, avant l’apparition des signes locaux, qu’un épanche- ment liquidien est en cours de constitution : le poids du sujet augmente et la diurèse diminue.
Lorsque l’ascite est d’abondance moyenne, on constate à l’inspection une augmentation évidente du volume de l’abdomen ; chez le patient debout, examiné de profil, le périmètre abdominal apparaît maximal au-dessus de l’ombilic, fréquemment éversé, avec souvent constitution d’une hernie. A la percussion, on retrouve une matité déclive : matité des flancs encadrant la sonorité péri- ombilicale en décubitus dorsal, et collection de cette matité dans le flanc inférieur lorsque
le sujet est placé en décubitus latéral. Il arrive également qu’on observe, en particulier à l’occasion a’une ponction de l’ascite, un œdème pariétal s’étendant parfois jusqu’au scrotum ou aux grandes lèvres. Enfin, fréquemment associé à l’ascite, il existe un œdème des membres inférieurs constitué sous la double action d’une rétention hydrosodée et de la compression de la veine cave par l’ascite.
Lorsque l’ascite, enfin, est de grande abondance, la palpation des organes abdominaux, foie et rate en particulier, est impossible ; toutefois, en cas d’hépatomégalie ou de splénomégalie, on peut mettre en évidence le signe du glaçon, que l’on recherche en déprimant la paroi d’un geste sec : l’organe alors refoulé dans le liquide remonte à la surface, où l’on peut percevoir le choc de son retour.
L’examen du liquide
L’étape diagnostique suivante est un prélèvement du liquide. La ponction se fait aux deux tiers externes’ de la ligne reliant l’ombilic à l’épine iliaque antéro-supérieure gauche. Dans les ascites cirrhotiques, elle ramène classiquement un liquide jaune clair citrin, dont l’analyse montre qu’il est stérile, ne comporte pas plus de 10 à 20 g de protéines par litre (il s’agit donc d’un transsudat) et contient jusqu’à 200 éléments cellulaires par millimètre cube, des cellules endothéliales pour la plupart. !l arrive cependant que, dans certaines ascites cirrhotiques, et en dehors même de toute complication, le liquide ponctionné soit légèrement rosé. De même, surtout dans les ascites anciennement constituées, le taux de protides peut s’élever jusqu’à 40 g par litre. Enfin, le liquide peut encore présenter un aspect lactescent, l’ascite, dite alors « chyliforme », ayant une concentration en lipides analogue à celle du plasma.
LES COMPLICATIONS
la présence d’une ascite sont attachés uatre risques majeurs : la survenue de ésordres hydro-électrolytiques, l’apparition d’une insuffisance rénale, l’infection du liquide et la rupture de l’ombilic.
Les désordres hydro-électrolytiques
De tous les paramètres hydro- électrolytiques, le plus fréquemment perturbé est la natrémie, dont le taux est abaissé. Parfois complication spontanée, surtout lorsqu’il s’agit d’ascites qui se pérénnisent ou se répètent, cette hyponatrémie peut ailleurs être consécutive à l’administration de diurétiques, et son apparition impose l’arrêt du traitement.
L’insuffisance rénale
Dans le cadre d’un syndrome dit « hépato-rénal », l’insuffisance rénale se traduit biologiquement par une élévation dans le sang de l’urée et surtout de la créatinine, avec parfois hyperkaliémie et, cliniquement, par une diminution constante de la diurèse. Dans ce cas également, il peut s’agir d’un accident évolutif survenu spontanément à un stade avancé de la maladie ou d’une complication iatrogène, liée cette fois encore à l’administration de diurétiques. Cette insuffisance rénale est en rapport avec une diminution du flux sanguin rénal, et l’interruption du traitement s’impose. Elle est fonctionnelle : de tels reins peuvent être utilisés pour une transplantation.
Les infections bactériennes
Dues le plus souvent à des germes Cram négatif, les infections bactériennes sont de mauvais pronostic. L’éventualité doit en être systématiquement évoquée chez un cir- rhotique dans le cadre d’une septicémie, ou devant tout épisode fébrile. A la ponction, le liquide offre un aspect louche ou est franchement purulent ; l’analyse met en évidence une augmentation du taux de protides et une élévation du nombre d’éléments (souvent supérieur à 1 000 par millimètre cube), avec une nette prédominance des polynucléaires, puisque ces cellules — en général altérées — représentent plus de 80 % de l’ensemble.
De même, devant une aggravation de l’ascite, faut-il savoir évoquer la responsabilité d’une infection occulte et savoir la rechercher alors même que les signes infectieux généraux font défaut. Dans ce cas, le liquide est habituellement trouble mais il peut aussi être d’aspect citrin ; il contient plus de 300 éléments cellulaires par millimètre cube pour un pourcentage de polynucléaires supérieur à 10 %. A la culture, on met habituellement en évidence des bactéries intestinales, mais il faut toujours envisager l’éventualité d’une péritonite tuberculeuse.
La rupture de l’ombilic
Complication rare des ascites volumineuses, la rupture de l’ombilic est due à l’ulcération de la paroi abdominale, amincie à ce niveau. Cette rupture est naturellement source de complications infectieuses majeures, et son pronostic est très péjoratif.