La stabilité au cours du vieillissement de l’architecture intellectuelle
La structure en neuf facteurs a été trouvée chez des personnes aussi bien jeunes qu’âgées. Ainsi dans l’étude de McGhee et al. (1993), prise comme référence, l’échantillon était constitué de quarante et une personnes âgées de 55 à 76 ans avec une moyenne de 65 ans. Pourtant, la question de la stabilité de la structure de l’intelligence au cours du vieillissement est sujette à des controverses. L’échantillon de McGhee ne permet pas en fait de conclure que l’architecture intellectuelle de la personne âgée est similaire à celle de la personne jeune, il possède une moyenne d’âge trop faible.
D’autres auteurs affirment que la différence jeune-âgé n’est pas uniquement quantitative mais aussi structurale. En comparant les structures factorielles à des batteries de tests, certains chercheurs (Balinsky, 1941 ; Garrett, 1946 ; Burt, 1954 ; Green et Berkovitz, 1964 ; Poitrenaud, 1972, Baltes et al., 1980) ont constaté des changements qualitatifs liés au développement. Durant l’enfance et l’adolescence, un processus de différenciation caractériserait l’évolution de l’intelligence alors que durant le vieillissement on assisterait à un phénomène d’involution témoin d’un processus de dédifférenciation. Garett (1946) décrit la différenciation de la façon suivante : « L’intelligence abstraite ou symbolique change dans son organisation quand l’âge augmente ; d’une aptitude générale et unifiée (facteur g) elle passe à un groupe composé de plusieurs facteurs ou aptitudes. » Les neuf facteurs décrits précédemment apparaîtraient au cours du développement, ils seraient le produit d’une genèse et d’une construction. A l’inverse, la dédifférenciation consisterait en une diminution du nombre de facteurs significatifs (augmentation du poids du facteur g), en une modification du poids des facteurs et en l’apparition de nouveaux facteurs.
Le schéma évolutif théorique différenciation-dédifférenciation est représenté à la figure 5.9. Chez l’enfant, l’architecture de l’intelligence apparaît comme sans hiérarchie et se caractérise par la présence d’un seul facteur général d’intelligence (g). L’architecture se hiérarchise jusqu’à l’adolescence et la jeunesse. Des facteurs de deuxième et troisième ordre apparaissent. On observe enfin chez l’âgé une disparition des facteurs de troisième ordre (I, II, III, IV) et la structure revient à l’identique à celle observée à la fin de l’enfance. Il s’agit ici d’un phénomène de régression, le vieillissement se traduit par la réapparition d’une structure intellectuelle enfantine. Il faut souligner que la dédifférenciation n’est pas obligatoirement synonyme de régression. Dans ce cas, la structure observée chez l’âgé contient moins de facteurs mais des facteurs différents de ceux inhérents à la structure de l’intelligence enfantine.
Peu de recherches sont disponibles concernant les personnes de plus de 70 ans. Poitrenaud (1972) a étudié, à partir d’une batterie de treize sous- tests, la structure factorielle dans deux échantillons de soixante sujets âgés respectivement de 64-69 ans et de 74-79 ans. Il conclut de ses analyses que la structure intellectuelle des plus âgés est moins différenciée. Ces résultats semblent confortée par ceux issus d’autres recherches (Baltes et al., 1980).Si la différenciation au cours de l’enfance est généralement admise par les spécialistes, la dédifférenciation comme caractéristique du vieillissement est un sujet plus polémique. Balinsky (1941) est le premier à avoir conduit une recherche sur l’évolution structurale de l’intelligence en employant neuf sous-tests du WAIS et en comparant six groupes d’âge respectivement de 9 ans, 12 ans, 15 ans, 15-29 ans, 35-44 ans et 50-59 ans. Ses conclusions se résument à trois propositions principales. Premièrement, les facteurs ne sont pas les mêmes pour tous les groupes d’âge. Deuxièmement, le « facteur g » a un poids plus important chez les plus jeunes (9 ans) et chez les plus âgés (50- 59 ans). Troisièmement, les coefficients de corrélation entre les sous-tests diminuent de 9 à 30 ans puis augmentent progressivement de 30 à 60 ans. Balinsky interprète ses résultats dans le sens d’une différenciation-dédifférenciation au cours de la vie. Il en conclut aussi, point la plupart du temps négligé par les psychologues, que les résultats aux tests doivent être relativisés par rapport au groupe d’âge auquel appartient le sujet. Le même résultat à un même test chez un jeune et chez un âgé peut avoir une signification structurale différente. Me Hugh et Owens (1954) avec d’autres sous-tests, dans le cadre d’une étude longitudinale menée sur cent vingt-sept sujets évalués de l’âge de 19 ans à l’âge de 50 ans, parviennent à des conclusions qui confirment celle de Balinsky.
D’autres recherches n’ont pas confirmé les considérations de Balinsky. La plus remarquable est celle conduite par Schaie et al. (1989) sur mille six cent vingt et une personnes âgées de 22 à 95 ans. La batterie utilisée comportait dix-sept sous-tests. Les auteurs concluent, au vu de leurs résultats, à la stabilité de la structure intellectuelle au cours de la vie.
Les résultats contradictoires peuvent être expliqués par différentes variables liées aux échantillonnages, aux techniques statistiques variées, aux batteries de sous-tests différentes, aux groupes d’âge choisis. Malgré tout, l’hypothèse d’un phénomène de dédifférenciation accompagnant la vieillesse est défendue par de nombreux auteurs et ne peut donc en aucun cas être écartée. Il se peut qu’une part seulement des personnes âgées soit concernée, d’où les résultats contradictoires entre les recherches. Nous avons souligné dans un chapitre précédent que le vieillissement était un phénomène différentiel.
L’approche psychométrique du vieillissement de l’intelligence est intégrée à l’histoire de la théorie des tests. Wechsler (1944) avait déjà souligné la différence d’effet de l’âge selon les tests utilisés. La théorie bi factorielle de Cattell (1963) a modélisé cette différence en établissant l’existence de deux intelligences, une première qualifiée de fluide qui décline avec l’âge et une seconde, qualifiée de cristallisée, qui reste stable voire s’améliore avec l’âge. Les travaux de McGhee (1993), sans contredire la théorie de Cattell, apportent des informations très importantes sur la structure intellectuelle, en démontrant l’existence de neuf grands facteurs d’intelligence sur lesquels les effets du vieillissement sont très différents. Enfin, il convient de souligner que les différences entre les jeunes et les âgés ne peuvent pas se réduire à des considérations quantitatives. Les âgés ne sont pas uniquement des jeunes moins performants mais aussi des personnes dont la structure intellectuelle pourrait être différente. Il s’agit du modèle de dédifférenciation évoqué pour la première fois par Balinsky (1941).