La sexualité au 3e âge
J’avais été frappé, durant mes études médicales, par le cas d’une femme de soixante-seize ans, atteinte d’un cancer, venue consulter mon maître à l’hôpital.
À cette pauvre femme, on avait proposé, compte tenu de l’extension du mal, de créer un anus artificiel et de fermer l’orifice vaginal, et on lui avait demandé, un peu par boutade, si cela n’avait pas d’importance. Évidemment, le patron avait pris les précautions verbales qui lui paraissaient purement théoriques; sous- entendant que, depuis bien longtemps, le problème ne se posait plus pour elle. Il lui avait donc expliqué qu’elle n’aurait plus de possibilités sexuelles. À son grand étonnement, cette femme répondit que son mari en serait bien désolé; car effectivement, ils avaient
encore des rapports. On s’aperçoit de plus en plus maintenant qu’à des âges même très avancés, la sexualité n’est pas limitée, et n’a pas de raison de l’être.
On sait, depuis Kinsey, puis Masters et Johnson, que les capacités sexuelles de la femme, et son aptitude à l’orgasme, se maintiennent en plateau jusqu’à un âge très avancé, et sont pratiquement sans limites, contrairement à celles de l’homme qui baissent dès l’âge de quarante-cinq ans, et parfois même avant (et sur lesquels, heureusement, les traitements hormonaux aidés des médecines douces relancent, sans gros problèmes, la machine, si l’on peut dire). C’est l’environnement qui crée une « ménopause psychologique» avec pause sexuelle, sans base physiologique, parce qu’il lie la sexualité féminine à la jeunesse et à la beauté, et ce conditionnement est d’autant plus sensible que l’homme de cinquante ans est au contraire valorisé puisque sa beauté ne compte pas (dit-il), et que la perte de sa jeunesse est compensée par la séduction, l’argent, le prestige.
Nombre de femmes découvrent le plaisir après soixante ans, quand, libérées d’une vie professionnelle ou familiale harassante, elles se sentent plus disponibles, et ne redoutent plus les grossesses. Celles qui renoncent prennent leur retraite sexuelle, vieillissent plus vite moralement. Cependant, les signes extérieurs de tendresse après, disons soixante ans, semblent choquants pour les jeunes, ce qui culpabilise à tort certaines femmes. Il ne faut pas forcer la nature, en l’absence de libido, mais ne pas inhiber ses instincts si les désirs se font sentir.
Le fond du problème est que, souvent, le désir sexuel existe; mais le partenaire du même âge n’en a plus la possibilité «matérielle» (plus d’érection). Parfois aussi, une grand-mère ou une arrière-grand-mère éprouve une fausse honte à évoquer ces problèmes; elle se considère comme « rangée des voitures » ou bien même, on en est au stade des chambres à part. Là, l’amour, la gentillesse, la tendresse, la douceur et les caresses doivent prendre physiologiquement le relais du sexe, sans honte et sans fausse pudeur.
La femme, à tout âge, doit rester coquette, soigner sa peau, son corps, son visage, encore aidée par les traitements hormonaux. À tout âge, on doit essayer d’amé- liorer son esthétique, sans cependant aller jusqu’aux coquetteries outrancières. Le partenaire doit pouvoir retrouver encore un écho cutané.
Les sens demeurent, la sensibilité n’est pas toujours complètement émoussée, surtout lorsque les souvenirs des bons et mauvais moments passés ensemble réunissent encore ces couples qui ont maintenant tout le temps pour s’aimer.
Dans la même mesure où il n’y a rien de laid, de sale ou d’obscène dans l’acte amoureux entre deux êtres jeunes et beaux qui s’aiment, il n’y a rien non plus d’anormal, entre deux êtres même d’âge avancé, à communiquer tactilement, pour peu que le désir soit réciproque.
En pratique, même si la femme d’un certain âge ne se sent plus assez séduisante pour être regardée par son compagnon (pudeur très compréhensible qu’il faut respecter et faire respecter), là, de jolis sous-vêtements, une agréable eau de toilette doivent à tout âge stimuler la libido, même seulement psychologique.
Certaines femmes ont la chance d’avoir un compagnon très valide sexuellement à un. âge avancé. (Je connais parmi mes patients un couple dont la femme de soixante-cinq ans se plaignait, pour des raisons de pudeur, à mon avis à tort, du fait que son mari de quatre-vingts ans l’honorait trop souvent.) Eh bien, tant mieux pour elles. Les femmes doivent essayer sans honte de contenter leur partenaire, si elles en ont envie (au besoin, certains traitements hormonaux ou cutanés, crèmes lubrifiantes, pourront leur venir en aide, voire dans certains cas suppléer aux sécrétions vaginales insuffisantes pour assurer un acte sexuel sans problèmes sur le plan « mécanique »).
D’autres femmes, au contraire, auront un compagnon malade, cardiaque ou autre, ou déjà trop usé par l’âge ou par la vie. Cela ne doit pas empêcher ces compagnons d’être généreux, tendres et caressants. Au lieu de cacher leur impuissance sexuelle derrière un surmenage professionnel ou une «fatigue» excessive, ils devront satisfaire leur compagne aussi souvent qu’elle en a besoin; pas forcément avec leur sexe, mais aussi avec toutes les autres possibilités que la bonne nature leur a données: doigts, bouche, caresses, baisers sur les seins et autres parties du corps, qui compenseront favorablement les impuissances sexuelles voulues par la nature.
En résumé, pour se rapprocher, même si les corps sont fatigués, le cœur n’a pas d’âge et, comme le disait ma grand-mère à ses petits-enfants qui la taquinaient à propos d’un voisin qui lui faisait la cour : « Ne riez pas et surtout ne vous moquez pas, car je vous souhaite de connaître à nos âges ce que j’ai eu la chance de connaître il y a très peu de temps encore avec mon défunt mari. Chaque âge a ses plaisirs, il faut savoir les découvrir. »