La sémiologie de la grippe, en 1918
Les symptômes sont décrits précisément. Un externe de l’hôpital Saint-Antoine, de Paris reprend, dans sa thèse présentée en 1919, les observations qu’il a faites sur une malade d’une trentaine d’années en novembre 1918 : « Début des symptômes cinq jours avant par des frissons et de la courbature, surtout lombaire, léger mal de gorge. Dyspnée assez accentuée et constante pendant tout le cours de la maladie. À l’examen, on trouve, à droite, en arrière dans la moitié inférieure, de la matité, un foyer avec du souffle et des râles sous-crépitant. À gauche, — ni matité, ni souffle — mais râles sous crépitant sur toute la hauteur du poumon. Le pouls est à 100, la tension artérielle est à 8 maxima, on ne peut mesurer la minima. Le foie est augmenté de volume, il déborde les fausses côtes. La malade a du délire, une agitation continuelle, de l’insomnie. Ces symptômes résistent à l’administration de chloral et de bromure. La température, qui était de 39,6°C à l’entrée, oscille entre 37,6 °C et 39,8 °C durant les onze jours de la maladie. Malgré un traitement actif : saignée au début, argent colloïdal quotidien, huile camphrée, strychnine, enveloppements froids, abcès de fixation, injections sous-cutanées d’oxygène, la malade succombe au seizième jour de sa grippe. Autopsie – poumon à droite : gros foyer de pneumonie occupant la plus grande partie du lobe moyen, foyers de bronchopneumonie disséminés sur toute la hauteur du poumon. À gauche : foyers de bronchopneumonie multiples, mais plus importants à la base. Pas de lésions des sommets. »
On peut rapporter cette analyse du virus H1N1 (dit de la grippe espagnole) à celles effectuées sur les victimes du virus H5N1 (dit de la grippe aviaire). En 2005, on a inoculé le virus de la grippe espagnole reconstitué à partir de corps congelés en Alaska, à sept singes. Une pneumonie foudroyante en résulta.
En 1919, les médecins Joltrain et Baufle insistent sur la gravité de cette grippe pulmonaire. Ils proposent une étude à chaud d’une épidémie dont ils peuvent au jour le jour, et «au pied du lit», mesurer les ravages. Ils font même état de fréquents cas bénins : «Parfois, la maladie, d’allure grave au début, tourne court dès le cinquième jour, la toux se calme, l’expectoration diminue sans cesser tout à fait, la température tombe et le malade entre en convalescence avant la fin de la première semaine : cas heureux au point de vue individuel, défavorables au point de vue collectif, le malade, qui se croit guéri, étant trop souvent un foyer de contagion. »
Un tel événement est difficile à imaginer aujourd’hui car les grandes épidémies meurtrières ont longtemps été absentes de nos pays. La grippe a probablement causé la dernière grande épreuve collective, atteignant toutes les familles, renouvelant les grandes peurs du passé, amenant son cortège d’inquiétudes, de frayeurs, de panique et de désespoir, comparable seulement à la guerre, en plus meurtrière et plus expéditive encore.
La maladie présentait certains caractères originaux qui la rendaient particulièrement redoutable. Les formes graves étaient dues à une pneumonie précoce de grande gravité initiale, bien distincte de la pneumonie bactérienne par ses caractères cliniques et anatomiques, atteignant aussi bien les sujets jeunes et bien portants que les traditionnels groupes à risque, victimes habituelles de la grippe. En fait, le taux de mortalité chez les personnes âgées n’était pas différent de celui mesuré au cours des autres épidémies récentes (1892 ou 1889). La différence essentielle portait sur le groupe des adultes jeunes, habituellement épargnés par les formes graves et qui furent largement atteints cette fois.