La puissance : Psychotrope
Structure de la molécule d’amphétamine
Prenons un petit moment pour décrire la molécule, pour voir ce en quoi elle consiste précisément. La chimie réserve le nom d’amines aux composés qui, comme l’ammoniac, comportent un atome d’azote. Ammoniakos, en grec, s’applique à ce qui vient d’Ammon, désignation orientale de Zeus, dieu solaire, roi des dieux. De là où venait le Soleil, de l’est de la Grèce, venait aussi cette substance que les chimistes appellent maintenant chlorure d’ammoniac et que les Grecs utilisaient pour fabriquer du savon.
Il suffit de se reporter au nom de la molécule pour retrouver la formule complète du produit : alpha-métyl-phényl-éthyl-amine. Commençons par poser le groupe phényl, c’est-à-dire, en fait, un ensemble qu’on appelle aussi « noyau aromatique » (parce qu’on le retrouve dans la composition d’un grand nombre de substances qui
ont un arôme marqué), constitué de six atomes de carbone liés entre eux et fermés sur eux-mêmes, formant donc un cycle. A chacun de ces atomes de carbone est attaché un atome d’hydrogène, à l’exception de l’un d’entre eux auquel se trouve attaché un groupe éthyl-amine. Un groupe éthyl-amine, c’est-à-dire une chaîne de deux atomes de carbone et d’un atome d’azote. Au premier atome de carbone, celui qui est directement fixé sur le noyau aromatique, sont a Hachés deux atomes d’hydrogène. Cet atome est lié au second alome de carbone qui est lui-même lié à l’unique atome d’azote que contient la molécule (lié aussi à deux atomes d’hydrogène et qui lorme ainsi un « groupe aminé »). Enfin, sur ce même atome de carbone, le second en partant du cycle aromatique, se trouve fixé un atome de carbone lié à trois atomes d’hydrogène qu’on appelle aussi un « groupe méthyl ».
On peut remarquer une particularité de cette molécule sur laquelle nous aurons à revenir un peu plus loin : c’est l’existence d’un (et un seul) atome de carbone dit « asymétrique », c’est-à-dire d’un atome de carbone qui est relié à quatre groupements qui sont tous différents les uns des autres. C’est le carbone situé en alpha du groupe aminé. On verra que la présence de ce carbone asymétrique fait que les préparations d’amphétamines se présentent en fait comme un mélange de deux formes de la molécule qui diffèrent seulement par la façon dont sont fixés les quatre groupes chimiques sur cet unique atome de carbone : ces deux formes ont des activités psychotropes très différentes l’une de l’autre.
Amphétamines naturelles
Au passage, il convient de nuancer l’affirmation selon laquelle les amphétamines ne se trouvent nulle part dans la nature. D’une part, certaines plantes paraissent produire, dans des proportions faibles mais néanmoins détectables, la molécule d’amphétamine elle-même. D’autre part et surtout, on trouve dans le Khat (Catha Edulis), une plante qui pousse en Afrique de l’Est et au sud de l’Arabie, une molécule de structure voisine de l’amphétamine et qui, en outre, a un profil pharmacologique très voisin (à la différence de l’éphédrine, par exemple, qui a une structure proche mais un profil pharmacologique différent).
Au VIe siècle déjà, le Khat était connu en Ethiopie, en Somalie, à Djibouti, au Yémen. Cette connaissance fut transmise comme un rite utile pour entretenir l’ardeur et la combativité du groupe. La mastication des feuilles fraîches procure, en effet, une sensation de bien-être : phase très tonique, euphorique même (suivie parfois d’une phase légèrement dépressive avec insomnie). Consommer ces feuilles permet de lutter contre la fatigue, rend communicatif et paraît faciliter les travaux pénibles. Les employeurs encouragent leurs ouvriers à en consommer et en sont, au besoin, eux-mêmes les pourvoyeurs.
Lorsque Gordon Ailes apprend qu’on mâche au Yémen la feuille de Khat et le genre d’euphorie qu’elle produit, il imagine que cet effet pourrait être dû à une production naturelle d’amphétamine par cet arbuste. 11 se fait adresser des feuilles séchées. Sourde ironie du savoir : il ne parvient à en extraire que de l’éphédrine, la substance qu’il n’était pas parvenu à synthétiser chimiquement. Il conclut que c’est vraisemblablement l’association de l’éphédrine à d’autres principes actifs contenus dans la plante qui produit l’effet connu de la feuille de Khat. Richard Glennon montrera plus tard (bien plus tard, en 1970) que la feuille fraîche contient en fait une molécule différente, très proche de l’amphétamine (certains ont proposé de la considérer comme une amphétamine naturelle), la cathinone qui, instable, ■te transforme facilement en éphédrine.