La placebo est une affaire d'hommes
Il est pourtant un facteur plus important encore que le statut du prescripteur et l’aspect financier de la transaction. C’est l’attitude générale du praticien et du malade. L’attention portée et la croyance dans ce qui est prescrit sont tout simplement fondamentales.
Le pouvoir de convaincre
Cette notion de croyance a été bien illustrée par l’his- loire des implants de disulfirame. Le disulfirame est un médicament donné préventivement aux alcoolique afin de les dissuader d’absorber leur toxique favori. Boire dans les vingt-quatre heures qui suivent son administration, ne serait-ce qu’une seule goutte d’alcool, provoque un malaise extrêmement pénible avec rougeur, sueur, vertiges, nausées et vomissements incœrcibles. Il se produit également une accélération du pouls et une augmentation de la tension artérielle pouvant même rendre l’absorption dangereuse. Le problème, c’est que les alcooliques ne sont pas toujours très raisonnables et que, parfois, ils oublient, le matin, d’avaler leur « chien de garde », de façon à pouvoir picoler impunément dans la journée. Certains médecins ont du coup imaginé la technique des implants. Il suffit d’inciser la peau, de placer dessous quelques comprimés de disulfirame et de refermer en faisant un ou deux points de couture. L’idée était astucieuse et s’est révélée efficace : pendant six à douze mois après l’implant, la plupart des alcooliques ne pouvaient pas absorber d’alcool sans qu’une rougeur suspecte et des vomissements indélicats ne vinssent immédiatement les trahir. Le moindre écart était immédiatement sanctionné par la cohorte des effets antabuses. Au bout d’un an environ, le changement d’implant était programmé, le médecin réincisait la peau, parfois au même endroit, discret et relativement indolore, pour y replacer quelques comprimés de sagesse. S’ils n’étaient pas trop enkystés, il découvrait alors que les anciens comprimés étaient absolument intacts, preuve que l’absorption du disulfirame était nulle : il s’agissait d’un pur effet placebo. L’ennui, c’est qu’au bout de quelques années, plus personne n’a cru à l’effet retardé des implants de disulfirame et que, du coup, la technique s’est mise à ne plus marcher. La conviction des implanteurs n’était plus suffisante. Il m’arrive encore de recevoir en consultation certains alcooliques, anciens implantés, qui me réclament avec insistance leur « chien de garde sous-cutané », et je dois dire que je déplore amèrement, tout en palpant leur organe hépatique tuméfié, df ne plus avoir moi-même de foi.
L’aphorisme de Bruno Mounier, « on est d’autant plus (placebo)-inducteur qu’on ne sait pas que l’on est inducteur», est donc en partie confirmé par ce type d’observation. Cependant, il n’est pas non plus entièrement vrai. Être conscient de ses capacités de conviction , voire de suggestion, dans tel ou tel registre thérapeutique, ne nuit pas forcément à celles-ci, mais, bien au contraire, permet de connaître ses limites dans les autres domaines. Cela est bien illustré par une étude anglaise, menée par un généraliste de Southampton.
Le docteur K. B. Thomas sélectionna deux cents malades dits fonctionnels dans sa clientèle – maux de ventre, de tête, de dos, de gorge, fatigue, toux, etc. – et les répartit en deux groupes de cent. Il terminait la consultation des patients du premier groupe en donnant un diagnostic précis et en affirmant très chaleureusement que « ça irait rapidement mieux ». Aux cent autres, il concluait en disant qu’il ne savait pas bien ce qu’ils avaient et leur demandait de revenir le voir dans quelques jours en l’absence d’amélioration. En outre, cinquante patients de chaque groupe recevait un placebo. Il s’avéra que 64 % des patients de la consultation « positive » étaient améliorés, contre 39 % de ceux de la consultation dite « sceptique », et que 53 % de ceux qui avaient reçu du placebo allaient mieux contre 50 % de ceux qui n’avaient rien reçu. L’effet placebo dans cette étude était donc nettement plus induit par l’attitude, rassurante ou non, du médecin que par le comprimé de placebo lui-même. Il est d’ailleurs vraiment étonnant que les autorités sanitaires qui se prétendent si avides d’économies dans le domaine de la santé ne s’intéressent pas davantage à ce type d’étude. Les bienfaits de l’attention portée aux malades ont pourtant été mis en lumière par Egbert dès 1964. Deux groupes de patients en attente d’intervention chirurgicale avaient été constitués. Le premier groupe reçut une visite standard de l’anesthésiste alors que le second bénéficia d’informations détaillées sur la douleur postopératoire, sa nature et les moyens de la prévenir. Le résultat fut que la demande d’antalgique fut réduite de moitié dans le deuxième groupe qui sortit de l’hôpital en moyenne deux jours plus tôt.
L’information donnée en prescrivant le produit est primordiale et toutes les études citées dans cet ouvrage pourraient illustrer l’importance de la phrase qui accompagne la prescription : « je vous prescris ce médicament afin que… » Mais l’information ne suffit pas. L’intonation, l’assurance, bref la conviction, entrent en ligne de compte et démontrent que pendant les études de médecine, il serait parfaitement licite de donner des cours de communication aux futurs médecins. Il ne viendrait d’ailleui’S à l’esprit de personne de commercialiser un produit quelconque sans que les représentants de commerce soient formés aux techniques les plus modernes de communication. Pourquoi, dès lors que l’on sait avec certitude que les médicaments sont plus efficaces et mieux tolérés dès lors qu’ils sont bien présentés, serait-il scandaleux d’apprendre aux médecins à les présenter correctement ? Le jeu de rôle, la mise en situation, en un mot toutes les techniques par lesquelles on apprend à présenter les choses au mieux devraient constituer l’un des piliers des études médicales. Il existe encore trop de médecins incapables de rassurer leurs malades. Et c’est l’objet de cet ouvrage que de rendre conscient le médecin – et son malade – de l’existence mais aussi de la nécessité de ces petits trucs du métier qui sont louables, qui parfois font la grandeur de la médecine, à partir du moment où ils sont utilisés à bon escient, non systématiquement et dans le plus strict respect de l’éthique médicale. La condition de malade rend la relation inégalitaire. Le plus puissant se retrouve dans une situation implorante. Le plus cartésien se raccroche au moindre espoir.
Le plus brillant gobera n’importe quel argument. C’est cette infériorisation qui rend le malade vulnérable et fait la fortune des charlatans. Mais c’est aussi cette vulnérabilité qui rend absolument indispensable l’humanité du médecin. Tel l’illusionniste ou le prestidigitateur en représentation, un bon praticien, consciemment ou non, use d’un certain nombre d’astuces personnelles, propres à convaincre, à redonner confiance, à rassurer, à calmer l’angoisse de son vis-à-vis. Tout médecin, dans certains cas, non seulement est capable mais se doit de bluffer, de faire semblant de savoir. Bien souvent, une prédiction énoncée avec suffisamment d’assurance : « ce remède va très rapidement vous remettre sur pied », favorise grandement l’action du remède en question. Et ce n’est finalement pas tout à fait un mensonge puisqu’il accélère effectivement la « remise sur pied ».
Vidéo : La placebo est une affaire d’hommes
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