La nouvelle médecine nutritionnelle : Cinquante chercheurs et des « alicaments »
Le docteur Richard Béliveau, biochimiste et chercheur, dirige un des plus grands laboratoires de médecine moléculaire, spécialisé dans la biologie du cancer. En vingt ans, il a collaboré avec les plus grands groupes pharmaceutiques, comme AstraZeneca, Novartis, Sandoz, Wyeth, ou Merck, pour identifier les mécanismes d’action des médicaments anticancéreux. En comprenant comment agissent ces médicaments, on peut espérer en trouver de nouveaux qui aient moins d’effets secondaires. Dans leur grand centre de recherche fondamentale, son équipe et lui se focalisaient sur des questions de biochimie, à mille lieues des préoccupations de ceux qui souffrent de la maladie. Et puis, un jour, son laboratoire s’installa dans de nouveaux locaux, au sein de l’hôpital pour enfants de l’université de Montréal. Tout bascula alors.
Son nouveau voisin, le chef du service d’hémato-oncologie, lui demanda de trouver des approches complémentaires d’accompagnement capables de rendre moins toxiques et plus efficaces la chimiothérapie et la radiothérapie. « Je suis ouvert à tout ce que vous pourrez trouver pour nous aider à traiter nos enfants, affirma-t-il. Tout ce qui peut se combiner aux traitements existants. Même si cela devait passer par l’alimentation. »
L’alimentation ? C’était un concept tellement éloigné de la pharmacologie médicale que Richard Béliveau pratiquait depuis vingt ans ! Mais depuis son déménagement, il traversait chaque jour le service des enfants leucémiques pour rejoindre son laboratoire. Les parents l’arrêtaient dans le couloir et lui demandaient : « Est-ce qu’il y a quelque chose d’autre qu’on peut faire pour notre fille ? Quelque chose que vous ave/, trouvé récemment et qu’on pourrait essayer ? Nous sommes prêts à faire n’importe quoi pour notre enfant… » Le plus dur, c’était d’être arrêté par les enfants eux-mêmes. Il en était profondément remué et son cerveau était en ébullition. Il se relevait la nuit avec l’impression d’avoir trouvé une idée, pour s’apercevoir, une fois mieux réveillé, qu’elle n’était pas valable. Le lendemain, il se replongeait dans l’analyse de la littérature scientifique, en quête d’une piste à explorer. C’est ainsi qu’il tomba un jour sur un article révolutionnaire publié dans la grande revue Nature.
Depuis quelques années, toute l’industrie pharmaceutique était à la recherche de molécules synthétiques innovantes capables de bloquer la formation des nouveaux vaisseaux sanguins nécessaires à la croissance des tumeurs (voir chapitre 4 sur l’angiogenèse). Voici que Yihai et Renhai Cao (prononcer « Tsao »), deux chercheurs de l’institut Karolinska de Stockholm, démontraient pour la première fois qu’un aliment aussi banal que le thé (la boisson la plus consommée au monde après l’eau) était capable de bloquer l’angiogenèse, en empruntant les mêmes mécanismes que les médicaments existants. Deux à trois tasses de thé vert par jour suffisaient1 !
L’idée lui parut lumineuse. Il fallait chercher du côté de l’alimentation, bien sûr ! Toutes les données épidémiologiques le confirment en eflet : la principale différence entre les populations qui ont le plus fort taux de cancer et celles qui ont le plus faible est leur alimentation. Lorsque les femmes asiatiques développent un cancer du sein, ou les hommes un cancer de la prostate, leur tumeur est généralement beaucoup moins agressive que chez un Occidental. Partout où l’on boit du thé vert en abondance, il y a moins de cancer… Et si les molécules chimiques contenues dans certains aliments étaient de puissants agents anticancer ? se demandait Béliveau. Qui plus est, elles auraient déjà fait la preuve de leur innocuité avec 5 000 ans d’expérimentation humaine. Il tenait enfin quelque chose qui pouvait être proposé aux enfants sans leur faire courir le moindre risque : des « aliments anticancer » ou, comme Béliveau aime les appeler, des « alicaments » !
Le laboratoire de médecine moléculaire de l’hôpital des enfants Sainte-Justine à Montréal était un des mieux équipés du monde pour analyser l’effet des molécules chimiques sur la croissance des cellules cancéreuses et sur l’angiogenèse des vaisseaux sanguins qui les alimentent. Si Béliveau décidait de mettre son équipe, avec ses cinquante chercheurs et ses 20 millions de dollars d’équipement, au service de la recherche d’aliments anticancer, des progrès considérables pouvaient être rapidement accomplis. Mais c’était une décision risquée. Etant donné qu’il n’y avait pas de brevet possible sur les aliments, qui paierait pour toute cette recherche ? Sans plus de preuves tangibles sur la validité de la démarche, il ne paraissait pas raisonnable de se lancer dans une telle aventure. C’est la vie elle-même qui poussa Béliveau à accomplir le saut auquel aucun autre laboratoire au monde ne s’était risqué.
Vidéo : La nouvelle médecine nutritionnelle : Cinquante chercheurs et des « alicaments »
Vidéo démonstrative pour tout savoir sur : La nouvelle médecine nutritionnelle : Cinquante chercheurs et des « alicaments »