La mesure et la modélisation de l'effet du vieillissement psychologique : les plans expérimentaux
Le vieillissement est un phénomène dynamique, c’est-à-dire un phénomène de transformations avec le temps. Les scientifiques savent depuis longtemps qu’il est beaucoup plus facile d’étudier un système statique, qui ne se modifie pas en fonction du temps, qu’un système évolutif. L’étude du vieillissement est donc l’étude des transformations des activités psychologiques au cours de la vie de l’individu. Les plans expérimentaux utilisés contiennent donc tous comme facteur principal «le temps». Un plan expérimental est un protocole de recueil d’informations rigoureusement suivi par un chercheur en fonction des hypothèses ou des finalités qu’il se propose. Il existe trois types de plans expérimentaux utilisés dans l’étude de la sénescence : les plans transversaux, les plans longitudinaux et les plans séquentiels. Les deux premiers sont utilisés aussi pour les recherches conduites sur k développement de l’enfant, le troisième est spécifiquement utilisé pour l’étude du vieillissement.
Les plans transversaux
Dans un plan transversal, le chercheur constitue des groupes de sujets d’âges chronologiques différents. Le choix des âges est important car il s’agit de choisir ceux qui correspondent au moment charnière de la vie afin de pouvoir observer les transformations. Tous les sujets sont alors confrontés à la même lâche, au même test ou encore au même questionnaire. Les groupes de sujets sont dits «indépendants» car un sujet ne peut appartenir qu’à un seul groupe,
tout simplement parce qu’on ne peut pas avoir deux âges chronologiques simultanément. Le nombre minimum de groupes est de deux. Dans cette situation, le chercheur constitue un groupe d’individus jeunes, qualifié de «groupe contrôle», et un groupe d’individus âgés, qualifié d’«expérimental». Les sujets des deux groupes sont appareillés ou homogénéisés, c’est-à-dire rendus équivalents afin que la seule différence soit le facteur âge. Nous verrons par la suite de ce chapitre que l’homogénéisation ne peut pas être totale.
Par exemple, à partir d’un tel plan, l’évolution des performances à des épreuves de mémoire de rappel libre de listes de mots – on demande à des sujets de rappeler sans aucune aide des listes de mots préalablement mémorisés (Fontaine et al., 1991) – est décrite par une courbe de déclin classique de vieillissement. Les performances atteignent leur maximum chez les sujets de 20-30 ans, puis déclinent lentement jusqu’à 60 ans avant de subir deux chutes importantes après 60 ans et après 80 ans.
L’interprétation qui paraît s’imposer à l’observation d’une telle courbe est qu’avec l’âge, les performances mnésiques mesurées par ce type d’épreuves déclinent significativement. En fait, cette conclusion repose sur un postulat : quand les sujets jeunes auront l’âge des sujets âgés, leurs performances mnésiques auront décliné dans les mêmes proportions. Il s’agit bien d’un postulat, car les âgés et les jeunes n’appartiennent pas à la même génération (ou cohorte) et rien ne prouve que les jeunes actuels vieilliront de la même manière que les âgés testés actuellement. En comparant des jeunes à des âgés, on ne compare pas uniquement des gens d’âges différents, mais des gens appartenant aussi à des générations ou à des cohortes différentes. Il faut souligner que la méthode transversale utilisée dans les recherches chez l’enfant ne souffre pas de cette difficulté. Comparer des enfants d’âges différents ne revient pas à comparer des enfants de générations différentes. On est alors amené naturellement à l’idée que la bonne méthode ne consiste pas à comparer des individus d’âges différents mais plutôt à suivre les gens au cours de leur vieillissement, c’est-à-dire à comparer un individu à lui-même à des âges différents. Il s’agit de la méthode longitudinale.
Les plans longitudinaux
Reprenons l’exemple de l’épreuve de rappel libre de mots. Si le chercheur emploie un plan longitudinal, il sélectionne un groupe de sujets jeunes. Il va ensuite mesurer leurs performances à l’épreuve de rappel libre à intervalles «réguliers» de temps. Chaque recueil de données est réalisé à un moment différent de la vie de l’individu mais toujours sur les mêmes sujets. Il s’agit de groupes «dépendants de mesure» cette fois et non de sujets ou encore d’un plan à mesures répétées. Il est évident que, dans ce cadre, l’effet de génération est
Il demeure deux difficultés. La première est liée au temps. En effet, l’utilisation de plans longitudinaux entraîne des protocoles de recherche dont la réalisation est très longue. Le ou les chercheurs vieillissant en même temps que leurs sujets, ils doivent malgré tout espérer qu’ils obtiendront les résultats avant leur propre trépas. Cette contrainte temporelle a pour conséquence que nous ne disposons que de peu de recherches réalisées selon ce type de plan. Seconde difficulté, le contrôle de l’effet de génération ou de cohorte n’est effectif que pour une seule génération. On ne peut en effet pas conclure que le vieillissement d’une autre cohorte aurait le même profil. Il faudrait pouvoir comparer plusieurs générations pour parvenir à démêler ce qui incombe au vieillissement de ce qui incombe à la génération. C’est le principe de la méthode séquentielle.
Les plans séquentiels
Les plans séquentiels sont une synthèse des plans transversaux et longitudinaux. Reprenons l’exemple de l’épreuve de rappel libre. Un premier groupe de sujets est testé à un âge donné, par exemple 50 ans. On teste de nouveau, par exemple à 60 ans, tous les sujets de ce premier groupe, et l’on teste un deuxième groupe de sujets âgés de 50 ans. Dix ans plus tard, le premier groupe a 70 ans, le deuxième 60 ans. On teste à nouveau tous les sujets des deux premiers groupes et l’on constitue et teste un troisième groupe de sujets de 50 ans. Le protocole peut se poursuivre selon le nombre de groupes et de cohortes que veut ou veulent évaluer le ou les chercheurs. Nous disposons de très peu de recherches réalisées selon ce protocole très rigoureux mais très lourd et très long.
Schaie (1965, 1980), grand spécialiste américain, a réalisé une recherche sur le vieillissement de l’intelligence avec une méthode séquentielle. Il souligne deux conclusions importantes. Premièrement, la courbe du vieillissement observée avec un tel plan est différente de celles observées avec les plans transversaux. Le déclin est plus tardif (parfois pas avant 70 ans) pour certains tests. Deuxièmement, les profils de vieillissement sont très variables d’un individu à l’autre.