La grippe ennemie intime: 1976 et 1977
L’alerte à la «swine flu» de 1976
L’année 1976 nous donne un autre exemple intéressant d’alerte pandémique. À cette époque, on connaît déjà les variations du virus de la grippe et ses conséquences. Et l’on a remarqué aussi que les épidémies les plus graves ont lieu à intervalles de dix ans : 1948, 1958, 1968. L’on commence donc à suspecter, par précaution, l’imminence d’une nouvelle pandémie. Vers la fin du mois de janvier 1976, alors qu’une épidémie saisonnière normale de grippe se progresse dans la région, une épidémie de syndromes respiratoires éclate à Fort Dix, mie base militaire du New Jersey. Les autorités sanitaires sont informées du cas assez singulier d’un soldat d une vingtaine d’années qui a demandé à ne pas faire la marche de nuit, parce qu’il se sent mal. La requête de la jeune recrue ne trouve pas d’oreilles attentives, on pense au sergent instructeur des Marines dans le film de Stanley Kubrick, FullMétalJacket… Malaise ou pas, il est obligé d’effectuer un exercice qui se transforme vite en calvaire. Il s’évanouit durant la marche. Transporté en urgence à l’hôpital avec des signes de détresse respiratoire fulminante, il meurt quelques heures après, malgré des soins intensifs. Une souche de virus grippal est isolée à partir du poumon du défunt soldat, mais ce n’est pas celle à laquelle le Center for Disease Control (CDC) s’attend. Il s’agit d’un virus du sous-type H1N1, dit de la «grippe du porc», un peu différent de ses analogues humains, et qui n’est pas sans rappeler celui qui nous inquiète aujourd’hui. Le plus souvent, les cas de maladie humaine dus à ce virus sont observés dans des légions où l’élevage de porcs est courant, et les cas sporadiques apparaissent chez des éleveurs ou des personnes en contact avec les porcs. Mais ce virus ne manifeste pas un pouvoir pathogène particulier chez l’homme et les cas isolés sont majoritairement bénins.
Il faut aussi rappeler que la grippe de 1918 était probablement due à un virus analogue au virus de porc. Mais il n’a pas pu être isolé ni conservé, et seuls des examens indirects, effectués trente ans plus tard, ont permis de formuler cette hypothèse. Des sérums prélevés vers la fin des années 1940 chez des personnes ayant eu la grippe espagnole furent examinés et l’on trouva chez eux des anticorps contre le virus du porc, ce qui ne signifie pas nécessairement qu’ils avaient été infectés par ce virus mais au moins par un virus ayant des communautés antigéniques avec lui. Aussi, la conjonction de la gravité du cas du soldat, et la nature du virus, représentait alors un sérieux motif d’inquiétude.
Une surveillance renforcée est alors instituée autour de l’unité de Fort Dix, et le virus est envoyé dans des laboratoires capables de produire un vaccin adéquat. Trois autres souches sont isolées chez d’autres soldats atteints de formes légères et une étude sérologique montre que quelques dizaines d’autres soldats possèdent des anticorps spécifiques pouvant suggérer qu’ils auraient été infectés sans pour autant développer de symptômes. Dans le même temps, la Maison Blanche et le ministère de la Santé décident de lancer un programme de production massive de vaccin (200 millions de doses) et de vacciner la quasi totalité de la population pour prévenir la propagation de ce virus considéré comme redoutable.
C’est d’un emballement inconsidéré qu’il convient de ¡mi 1er aujourd’hui pour qualifier cet épisode, car aucun élément recueilli ne permet alors d’établir avec certitude l’imminence d’un danger comparable à celui de 1918. Pourtant, ce ne sont pas moins de 45 millions d’Américains qui sont vaccinés en 77 jours avant que la campagne de vaccination ne soit brutalement interrompue, par crainte d’un lien de cause à effet entre les injections et l’apparition d’une maladie neurologique (syndrome de (Guillain et Barré) dont de nombreux cas sont, par une troublante coïncidence, signalés. Bien heureusement, la panique qui s’est propagée aux États-Unis, plus vite que la grippe qui l’a déclenchée, ne franchit pas l’Atlantique. La France décide de préparer, sur commande de l’Etat, la production de deux millions de doses de vaccin contre le nouveau virus, et de les stocker en attendant de voir. Ce vaccin, jamais utilisé, sera finalement détruit quelques années plus tard.
1977 : la grippe « russe »
Un virus inattendu provoque une épidémie étendue chez les enfants et les jeunes adultes à Léningrad, l’ancienne et future Saint-Pétersbourg. C’est en fait la réapparition du virus H1N1 humain, dont on apprendra plus tard qu’il s’est manifesté quelques mois auparavant en Chine continentale. Ce virus ne remplace pas le précédent (A (H3N2)) comme lors des épisodes antérieurs, mais il s’y surajoute. Deux virus de type A circulent al simultanément avec des caractéristiques antigéniques épidémiologiques différentes. Il faut bien noter que virus H1N1 de grippe saisonnière n’est pas identique malgré son étiquette, au virus A (H1N1) v apparu Amérique en avril 2009.