La glande pinéale et l' homme d' obscurité
L’histoire de l’étude de la glande pinéale et de la mélatonine, l’hormone qu’elle produit, est extraordinaire. Jusqu’au milieu du XXe siècle, les chercheurs n’étaient d’accord que sur un point : le fait que la glande pinéale humaine tend à se calcifié très tôt et peut ainsi être utilisée comme un point de référence pour les radiographies crâniennes. Étant donné que la glande pinéale est la seule glande unique située entre les deux hémisphères du cerveau, le philosophe français René Descartes pensait qu’elle était le site de 1’« âme rationnelle ». Une idée largement diffuse consistait à soutenir que la glande pinéale était un résidu d’une étape antérieure de l’évolution, mais elle ne suscita pas l’adhésion de Mark Altschule, un médecin d’Harvard, qui décida d’étudier systématiquement toute la littérature scientifique consacrée à cette glande. Après avoir examiné plus de mille huit cents articles écrits en douze langues, il en conclut qu’il existait des preuves permettant d’affirmer que la glande pinéale était liée à au moins trois processus : les fonctions génitales des ovaires chez les femmes et des testicules chez les hommes ; l’éclaircissement de la pigmentation de la peau chez les animaux; enfin, un contrôle possible de l’activité cérébrale. .Altschule et son collègue, Julian Kitay, publièrent leurs découvertes dans un livre qui marqua un tournant dans la compréhension du statut de la glande pinéale.
En même temps que les efforts d’Altschule — mais sans aucun rapport avec eux —, Aaron Limer, un dermatologue de Yale, intéressé par les facteurs qui modifiaient la pigmentation de i épiderme, tomba un jour par hasard sur un article scientifique exposant les effets des extraits de glande pinéale sur la pigmentation de la peau des grenouilles et décida d’essayer d’isoler son composé actif. En 1956, après avoir extrait la substance d’environ deux cent cinquante mille glandes, il parvint à isoler le composé actif, qu’il appela « mélatonine », car il était dérivé du neurotransmetteur sérotonine et affectait la mélanine dans la peau.
Le livre de Mark Altschule et la découverte par Lamer de la mélatonine fournirent la base de la recherche contemporaine sur
La glande pinéale, et les découvertes se succédèrent ensuite à un rythme accéléré. Après quelques années, la glande pinéale et la mélatonine devinrent le point focal où se concentrait l’intérêt de chercheurs dans de nombreux domaines.
Il apparut que la glande pinéale était le transducteur qui traduisait les variations de la lumière dans l’environnement en changements physiologiques et hormonaux à l’intérieur du corps par l’intermédiaire de la production de mélatonine. Puisque cette hormone est produite en période d’obscurité et que sa production cesse pendant les heures du jour, le niveau de mélatonine dans le sang reflète le nombre d’heures de jour ou de nuit que comprend la journée. Pendant les longues nuits d’hiver, le niveau de mélatonine dans le sang est haut, et il est bas pendant les courtes nuits d’été. Nous sommes ainsi mieux à même de comprendre la relation qui existe entre la glande pinéale et les organes sexuels, car le fort taux de mélatonine retarde le développement génital. Par conséquent, au cours des mois d’hiver, quand les jours sont courts et qu’un grand nombre d’animaux passent la plus grande partie de leur temps dans l’obscurité, le niveau de mélatonine dans le sang est très haut, et le développement génital est inhibé. Quand les jours commencent à s’allonger au printemps et au cours de l’été, et que les conditions environnementales sont favorables à la reproduction, le niveau de mélatonine diminue progressivement, les organes sexuels sont prêts à fonctionner, et l’accouplement et la reproduction ont lieu. Le vieux dicton : « Au printemps, l’imagination d’un jeune homme se change peu à peu en pensées d’amour » possède un solide fondement physiologique et hormonal. Il n’est guère surprenant, dans ces conditions, que les animaux qui vivent dans les régions polaires, où le changement de la durée du jour entre l’été et l’hiver est considérable, possèdent une glande pinéale particulièrement développée.
Des expériences de laboratoire ont montré que des animaux peuvent être trompés par des changements d’éclairage de leur cage. S’ils sont exposés à des « journées » courtes ou longues, ils se comporteront comme si c’était l’hiver ou l’été, en fonction de leur exposition plus ou moins prolongée à la lumière. Les éleveurs de poulets en batterie qui éclairent les poules pendant la nuit afin d’augmenter leur rendement en œufs utilisent depuis des années ce subterfuge pour duper leurs volatiles. L’effet de la mélatonine sur la pigmentation de la peau est lié aussi à toute la gamme de change
ments physiologiques qui accompagnent le comportement sexuel des animaux. Pendant la saison de l’accouplement, beaucoup d’animaux modifient la couleur de leur peau ou de leur pelage afin d’augmenter leur attrait sexuel.
Au vu de l’importance de la lumière au cours de l’évolution, il semble que les êtres humains se distinguent par leur manque de sensibilité à celle-ci. On a tenté d’attribuer ce phénomène au comportement sexuel humain, qui n’est pas affecté par la différence des saisons ou la longueur du jour. Un progrès eut lieu avec la découverte du fait que la production de mélatonine est supprimée chez l’être humain s’il est exposé à une lumière particulièrement forte.
Un psychiatre du National Institute of Health, aux États-Unis, Al Lewy, qui réside maintenant à Portland, dans l’Oregon, a étudié les effets de l’exposition à la lumière sur le taux de mélatonine chez l’homme, à diverses intensités, au cours de la nuit. Ses recherches ont montré que l’exposition à la lumière supprimait la sécrétion de mélatonine chez l’homme et qu’en effet l’intensité lumineuse requise à cet effet était beaucoup plus grande que celle que nécessite la production de mélatonine chez d’autres animaux.
L’intensité lumineuse est mesurée en unités appelées « lux ». Au cours d’une journée normale, nous sommes exposés à des intensités lumineuses très variables. L’intensité de la lumière du jour, par exemple, est de quelques centaines de milliers de lux, alors que celle de notre lampe de bureau n’excède pas une centaine de lux. Notre système visuel possède des détecteurs spéciaux pour la vision à haute et à faible intensité lumineuse, et elle fonctionne très bien dans les deux cas. Mais la glande pinéale ne « voit » pas du tout la lumière de faible intensité, et le minimum d’intensité lumineuse requis pour supprimer la production de mélatonine est de deux mille cinq cents lux. On peut mesurer une lumière de cette intensité quelques minutes après le coucher du soleil, à la fin d’une journée ensoleillée, et à la distance d’un mètre environ derrière la fenêtre d’une chambre.
Lewy découvrit que l’exposition à une intensité de deux mille cinq cents lux ou davantage ne supprime pas seulement la production de mélatonine, mais modifie en outre l’horloge biologique humaine. Une exposition à une forte lumière pendant la soirée diffère le minimum quotidien de la température du corps qui se produit au cours des premières heures du jour et décale le sommeil.
Nous verrons que l’exposition à la lumière peut être utilisée pour « réparer » des horloges biologiques mal réglées qui sont la cause de désordres du sommeil et de la veille.
La sécrétion de mélatonine est-elle, par conséquent, liée au contrôle du rythme humain veille-sommeil ? On peut trouver à cela des preuves. Dans une étude que nous avons menée dans une école d’enfants aveugles à Jérusalem, nous avons examiné la connexion qui existe entre la sécrétion quotidienne de mélatonine et les désordres du sommeil chez de jeunes patients aveugles. Nous avons découvert que les petits garçons et les petites filles qui souffraient de désordres du sommeil montraient aussi une configuration anormale dans leur sécrétion de mélatonine ; le pic de la sécrétion de mélatonine ne survenait pas pendant la nuit, comme c’est le cas pour les personnes voyantes, mais pendant la journée. Le rythme de sommeil de l’un des garçons qui souffrait de graves désordres dans ce domaine et qui avait été traité avec de la mélatonine s’améliora de façon impressionnante.
Plus tard, Orna Tzischinsky, une étudiante de mon laboratoire inscrite en doctorat, obtint la preuve de ce que l’ouverture de la porte du sommeil la nuit chez de jeunes adultes voyants pouvait être liée à une augmentation de la sécrétion nocturne de mélatonine : elle découvrit un rapport étroit entre ces deux événements. Bien plus, l’administration de mélatonine pendant les premières heures de la soirée était susceptible d’avancer l’heure de cette ouverture. Ces découvertes expérimentales font penser que la sécrétion de mélatonine pourrait jouer un rôle bien plus important qu’on ne l’a cru par le passé.
Nous pouvons résumer tout cela en disant que les horloges internes humaines sont affectées par et coordonnées à des facteurs sociaux ainsi qu’à l’alternance, dans l’environnement, du jour et de la nuit. Quotidiennement, l’horloge interne se règle elle-même sur l’environnement extérieur. En exposant les horloges internes à une forte lumière, il est possible de modifier leur comportement ; l’exposition à la lumière pendant la soirée diffère à la fois l’heure de l’endormissement et le minimum quotidien de la température du corps. L’exposition à la lumière pendant la matinée a l’effet opposé, avançant l’heure de l’assoupissement ainsi que le minimum de la température. Le cycle lumière-obscurité établit de cette manière son contrôle sur l’horloge biologique endogène.
Nous verrons que l’exposition à la lumière peut être utilisée pour « réparer » des horloges biologiques mal réglées qui sont la cause de désordres du sommeil et de la veille.
La sécrétion de mélatonine est-elle, par conséquent, liée au contrôle du rythme humain veille-sommeil ? On peut trouver à cela des preuves. Dans une étude que nous avons menée dans une école d’enfants aveugles à Jérusalem, nous avons examiné la connexion qui existe entre la sécrétion quotidienne de mélatonine et les désordres du sommeil chez de jeunes patients aveugles. Nous avons découvert que les petits garçons et les petites filles qui souffraient de désordres du sommeil montraient aussi une configuration anormale dans leur sécrétion de mélatonine ; le pic de la sécrétion de mélatonine ne survenait pas pendant la nuit, comme c’est le cas pour les personnes voyantes, mais pendant la journée. Le rythme de sommeil de l’un des garçons qui souffrait de graves désordres dans ce domaine et qui avait été traité avec de la mélatonine s’améliora de façon impressionnante.
Plus tard, Orna Tzischinsky, une étudiante de mon laboratoire inscrite en doctorat, obtint la preuve de ce que l’ouverture de la porte du sommeil la nuit chez de jeunes adultes voyants pouvait être liée à une augmentation de la sécrétion nocturne de mélatonine : elle découvrit un rapport étroit entre ces deux événements. Bien plus, l’administration de mélatonine pendant les premières heures de la soirée n’était susceptible d’avancer l’heure de cette ouverture. Ces découvertes expérimentales font penser que la sécrétion de mélatonine pourrait jouer un rôle bien plus important qu’on ne l’a cru par le passé.
Nous pouvons résumer tout cela en disant que les horloges internes humaines sont affectées par et coordonnées à des facteurs sociaux ainsi qu’à l’alternance, dans l’environnement, du jour et de la nuit. Quotidiennement, l’horloge interne se règle elle-même sur l’environnement extérieur. En exposant les horloges internes à une forte lumière, il est possible de modifier leur comportement ; l’exposition à la lumière pendant la soirée diffère à la fois l’heure de l’endormissement et le minimum quotidien de la température du corps. L’exposition à la lumière pendant la matinée a l’effet opposé, avançant l’heure de l’assoupissement ainsi que le minimum de la température. Le cycle lumière-obscurité établit de cette manière son contrôle sur l’horloge biologique endogène