La communication hormonale : le rôle du pancréas endocrine dans la régulation de la glycémie
À la fin du XIXe siècle, deux physiologistes allemands, Joseph Freiherr von Mering (1849-1908) et Oscar Minkowski (1858-1931), étudiaient le rôle des enzymes pancréatiques dans la digestion des graisses. En 1890, ils réalisèrent la première ablation totale du pancréas d’un chien. Un résultat inattendu attira leur attention : l’animal ayant subi la pancréatectomie ne pouvait se retenir d’uriner sur le plancher du laboratoire. Cette poly-urie s’accompagnait d’une glycosurie intense, puisque le taux de glucose dans les urines atteignait 12 % alors qu’il est normalement nul. La pancréatectomie totale provoquait un amaigrissement, un affaiblissement puis la mort de l’animal au bout d’un mois.
Ce tableau clinique était celui du diabète, un terme employé pour la première fois vers 230 avant J.-C. par Apollonius de Memphis, un médecin grec, pour décrire «l’eau passant à travers le corps» des patients atteints de polyurie. Aretaeus de Cappadoce (IIe et IIIe siècle avant J.-C.) fut le premier à distinguer les manifestations du diabète insipide (dû à un dysfonctionnement rénal) de ceux diabète «sucré» ou «mellitus». Le terme «diabète» ne fut cependant employé qu’à partir du XIXe siècle. En 1894, un médecin de la faculté de Montpellier, Emmanuel Hédon (1863-1933), mit à profit une particularité anatomique remarquable du pancréas de chien pour élucider le rôle de cet organe dans le contrôle de la glycémie.
L’expérience de Hédon (1894):
Chez le chien, le pancréas est divisé en 3 parties bien distinctes : la portion gastro-splénique, la portion duodénale et la portion descendante ou processus incinatus. Grâce à cette particularité anatomique, Hédon peut pratiquer des pancréatectomies totales ou partielles. Lorsque l’opération épargne le processus incinatus, qui est ensuite transplanté sous la peau avec sa propre vascularisa-tion, aucune modification de la glycémie de l’animal n’est observée. Quand Hedon procède à l’ablation du processus incinatus greffé, il induit une hyper¬glycémie : la glycémie de l’animal augmente réguliè¬rement et atteint, en quelques heures, 3 à 4 g.L-1.
L’élimination urinaire du glucose débute lorsque la glycémie dépasse 1,8 g.L-1. La glycosurie augmente ensuite très rapidement, pour se stabiliser finalement autour de 7%.
En cohérence avec les observations de von Mering et Minkowski, les animaux opérés présentent un amaigrissement considérable (perdant jusqu’à 55% de leur poids corporel) et une polydipsie, c’est-à-dire une augmentation de la prise d’eau de boisson, entraînant une polyurie. Ils sombrent rapidement dans un coma qui entraîne la mort de l’animal au bout de 25 à 30 jours.
Par cette expérience, Hédon démontre le rôle du pancréas (et plus particulièrement du processus incinatus) dans le contrôle de la glycémie et de la glycosurie. Cet effet s’exerce par l’intermédiaire d’un facteur circulant par voie sanguine.
La découverte de l’insuline:
Peu de temps après les expériences d’Emmanuel Hédon, en 1900, un autre médecin, l’Américain Eugene Lindsay Opie (1873-1971), constata que le diabète mellitus était fréquemment associé à une dégénérescence de certaines structures du pancréas : les îlots de Langerhans, qui avaient été décrits en 1869 par l’anatomiste allemand Paul Lange- rhans (1847-1888). Lindsay supposa que ces îlots étaient la source d’une sécrétion interne nécessaire au métabolisme du glucose. Plus tard, en 1920, Moses Barron (1884- 1975), un médecin américain d’origine russe, publia un cas clinique particulier de lithiase pancréatique. Chez l’un de ses patients, un calcul avait obstrué complètement le canal par lequel le pancréas déverse ses sécrétions enzymatiques digestives dans le duodénum, provoquant sa mort. L’autopsie révéla une dégénérescence des cellules acineuses sécré-trices d’enzymes. Mais les îlots de Langerhans, eux, étaient parfaitement intacts. Dans la soirée du 30 octobre 1920, Frederick Grant Banting (1891-1941), un médecin cana¬dien de l’hôpital des enfants malades de Toronto, préparait un cours sur le métabolisme glucidique. Il lisait justement l’article de Moses Barron dans le numéro de novembre de la revue Surgery, Gynecology and Obstetrics qu’il venait de recevoir. La lecture de cet article fut, selon lui, à l’origine de la «vision» d’un protocole expérimental qu’il eut au cours de la nuit.
L’expérience de Banting et Best (1921):
Dans ses mémoires, publiés en 1940, Banting raconte :
« Finalement, vers 2 heures du matin, alors que mon cours et l’article se bous-culaient dans mon esprit depuis un long moment, l’idée me vint que si on ligaturait à titre expérimental le canal de Wirsung [par lequel les enzymes digestives pancréatiques se déversent dans l’intestin], il y aurait dégénéres¬cence d’une partie du pancréas et on pourrait isoler la sécrétion interne de la sécrétion externe. Je me levais, notai cette idée et passai presque tout le reste de la nuit à y réfléchir. »
Sur le carnet de notes, qui ne quittait pas son chevet, il griffonne les mots suivants :
«Diabetus. Ligate pancreatic ducts of dogs. Keep dogs alive till acini degene- rate leaving Islets. Try to isolate the internai sécrétion of these to relieve glycosurea. »
Soit: «Diabète. Ligaturer les canaux pancréatiques des chiens. Garder les chiens en vie jusqu’à dégénérescence des acini libérant les îlots. Essayer d’isoler la sécrétion interne de ceux-ci pour soulager la glycosurie. »
Au cours de l’été 1921, Banting, secondé par Charles H. Best (1899-1978), un jeune étudiant en médecine, procède à des ligatures des canaux pancréatiques sur une vingtaine de chiens. Les deux scientifiques cherchent à reproduire expérimentalement les effets des lithiases pancréatiques observés par Moses Barron. Les acini pancréatiques des chiens commencent effectivement à dégénérer à la suite de l’opération. Le 30 juillet 1921, Banting
et Best réalisent l’ablation des pancréas en dégénérescence depuis alors 7 semaines. Un extrait d’îlots de Langerhans (« extrait de pancréas dégénéré ») est préparé, dont ils souhai-tent tester les effets sur un animal dépourvu de pancréas. Le 3 août 1921, ils réussissent la pancréatectomie totale sur le chien 408, le premier d’une série de 20 dont la survie post-opératoire et l’état général sont suffisants pour tester, durant les quatre jours suivant l’opération, l’effet de l’injection d’extraits pancréatiques, hépatiques ou spléniques.
Chaque injection d’extrait de pancréas dégénéré est suivie par une baisse de la glycémie, effet qui n’est observé ni avec les extraits hépatiques, ni avec les extraits de rate. Ainsi, dans la nuit du 6 au 7 août 1921, cinq injections successives d’extraits de pancréas dégénéré prati¬quées à une heure d’intervalle réduisent d’un facteur quatre la glycémie de l’animal.
Banting et Best démontrent donc le rôle hypoglycémiant des îlots de Langerhans du pancréas qui ont été épargnés par la lithiase expérimentale : une substance sécrétée par ces derniers et agissant à distance par voie sanguine est responsable de l’effet hypoglycé-miant observé. Les deux médecins nommèrent « isletin » leur extrait pancréatique capable de contrôler la glycémie.
D’autres étapes clés:
Au cours de l’année 1921, l’équipe de Banting procède à de multiples expériences d’in-jection d’extraits pancréatiques et s’intéresse à d’autres modèles animaux comme le lapin.
La première injection chez l’homme d’une insuline quelque peu purifiée (un liquide épais et de couleur brune) est réalisée par Banting et Best le 11 janvier 1922. Leur
patient, Léonard Thomson, est un jeune garçon de 14 ans, admis d’urgence à l’hôpital général de Toronto le 2 décembre 1921. Il ne pesait alors plus que 30 kg et sa glycémie pouvaient atteindre 5 g.L-1, alors que la normale se situe autour de 1 g.L-1. Après la première injection, sa glycémie passe de 4,41 g.L-1 à 3,20 g-L-1.
Quelques jours plus tard, le 23 janvier 1922, Léonard Thomson, reçoit une seconde injection, cette fois-ci d’une insuline pure obtenue par des procédés d’extraction et de purification améliorés par le chimiste de l’équipe, James Bertram Collip (1892-1965). Cette nouvelle tentative est un succès, la glycémie du jeune Thomson passant de 5,12 g.L-1 à 1,2 g.L-1. Pour ces travaux d’importance capitale concernant le traitement du diabète, Banting reçoit, en 1923, le prix Nobel de médecine et de physiologie.
La séquence en acides aminés de l’insuline est déterminée en 1958 par le biochimiste anglais Fréderick Sanger (né en 1918). C’est la première fois que le séquençage d’une protéine est réalisé, ce qui vaut à Sanger le prix Nobel de chimie en 1958 pour la mise au point de la technique qui lui a permis de réaliser cette performance. Fréderick Sanger sera d’ailleurs à nouveau récompensé par le prix Nobel de chimie en 1980 pour sa méthode de séquençage des acides nucléiques.
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