L'imagerie médicale : Des découvertes fondatrices
L’imagerie médicale a entraîné une transformation radicale dans la façon d’aborder le diagnostic et le suivi thérapeutique. Un diagnostic de localisation d’une lésion cérébrale qui nécessitait un examen clinique long et minutieux par un neurologue expérimenté se fait aujourd’hui avec une précision millimétrique grâce au scanner ou à l’imagerie par résonance magnétique (IRM). Là où le maître entouré de ses élèves démontrait que la lésion ischémique ou tumorale devait siéger au niveau de tel noyau du thalamus – la vérification ayant lieu malheureusement souvent quelques semaines plus tard sur les coupes du cerveau du patient décédé -, le neuroradiologue parvient au même résultat en quelques minutes. On pourrait multiplier les exemples : là où le cardiologue se fiait à son auscultation et à des clichés de thorax, le chocardiographie et l’IRM montrent en temps réel les mouvements des valves cardiaques et la dynamique de la contraction ventriculaire, la scintigraphic myocardique précise la localisation des zones de myocarde ischémique et les anomalies de sa contraction ; demain, le scanner et l’IRM permettront de voir la circulation coronaire et le tissu myocardique et remplaceront l’angiographie par voie artérielle. On pourrait encore citer le chographie en obstétrique, en hépatologie ou en urologie, la scintigraphie dans la détection des lésions de la thyroïde, des métastases osseuses ou de l’embolie pulmonaire. Aujourd’hui, la tomographie par émission de positrons du fluoro-déoxy-glusose (FDG-TEP) et l’IRM de diffusion sont en train de devenir la méthode par excellence en cancérologie, non pas tant pour le diagnostic du cancer que pour en préciser l’extension, l’existence de métastases, l’évolution sous traitement après chimiothérapie, chirurgie ou radiothérapie ou encore l’apparition de récidives ou de métastases tardives.
Il ne peut s’agir ici de décrire de façon exhaustive les principes physiques, les indications de toutes les méthodes d’imagerie et les résultats qu’elles permettent d’obtenir en clinique. En revanche, nous présentons ici une comparaison de l’origine et de l’évolution de trois d’entre elles, faisant appel respectivement aux rayons X, aux radio-isotopes et à l’imagerie par résonance magnétique nucléaire. La perspective historique permet de mieux comprendre la genèse, l’évolution et les indications de ces différentes méthodes qui ont toutes leur point de départ dans la physique « pure et dure ». Lechographie ultrasonore ne sera que brièvement évoquée bien qu’il y ait là aussi des innovations majeures liées à des concepts physiques de base et quelle soit utilisée dans de très nombreuses spécialités médicales.
Des découvertes fondatrices : rayons X et radioactivité
Le 8 novembre 1895, Rôntgen met en évidence «une nouvelle sorte de rayonnement ». Le 22 décembre, il effectue la première radiographie de la main de sa femme. La radiologie est née six semaines après la découverte d’un phénomène physique nouveau et inexpliqué, les rayons X. Le 28 décembre, Rôntgen envoie sa première communication scientifique à l’Académie de Würzburg : « On doit considérer que les rayons X proviennent de la zone de la paroi du tube de verre qui est la plus fluorescente. » La science se propage vite, même à cette époque : le 20 janvier 1896, Poincaré montre à Becquerel la première radiographie que lui a envoyée Rôntgen. Il suggère que les substances fluorescentes émettent des rayons X. Cette hypothèse erronée va cependant permettre à Becquerel, expérimentateur hors pair, de faire une autre découverte. Il observe le 24 février un faible noircissement d’un film recouvert de sulfate double d’uranium exposé pendant un jour au soleil. La substance étant fluorescente, l’observation est compatible avec l’hypothèse de Poincaré sur la nature des rayons X. Le 1er mars, Becquerel note un fort noircissement après quatre jours d’exposition, mais il observe que les effets sont les mêmes après une exposition de cinq heures au soleil ou cinq heures à l’obscurité, ce qui est incompatible avec l’hypothèse de la fluorescence. De fait, il constate le 23 mars un noircissement du film avec des sels d’uranium non fluorescents. Il conclut le 18 mai que l’effet n’est pas dû à la fluorescence mais à une propriété spécifique de l’uranium. C’est la découverte de la radioactivité naturelle. En 1898, Piene et Marie Curie découvrent le polonium et le radium. Rôntgen reçoit en 1901 le premier prix Nobel de physique et, en 1903, ce sont Becquerel, Pierre et Marie Curie qui se voient à leur tour décerner cette distinction.
Le fait remarquable est que la découverte de la radioactivité naturelle va donner naissance pratiquement immédiatement à la radiothérapie et non pas à l’imagerie, l’imagerie nucléaire naissant en fait, comme on va le voir, seulement au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Les premiers effets des rayons X avaient été publiés dans le Lancet dès 1896, soit quelques mois après la découverte des rayons X. A partir de mi-1896 débutent les premiers essais d’irradiation de lésions cutanées avec des rayons X. C’est en 1900- 1901 que Pierre Curie et Becquerel décrivent les réactions cutanées produites par le dépôt de radium sur leur propre peau. Pierre Curie en voit immédiatement l’intérêt et donne du radium à un dermatologue de l’hôpital Saint-Louis, le docteur Danlos, qui l’utilise pour traiter des lésions de lichen. Les résultats positifs conduisent à la fondation de l’institut du radium à Paris en 1909.
La découverte de la radioactivité artificielle en 1934 par Irène et Frédéric Joliot va permettre la naissance de la médecine nucléaire ; encore faudra-t-il attendre une dizaine d’années supplémentaires. I. et F. Joliot envoient une communication publiée dans les Comptes rendus de VAcadémie des sciences le 15 janvier 1934. Elle mérite d’être citée du fait de sa clarté qui n’a d’égale que son importance ; elle va leur valoir le prix Nobel de physique quelques mois plus tard, en 1935. « Nous plaçons une feuille d’aluminium à un millimètre d’une source de polonium. L’aluminium ayant été irradié pendant dix minutes environ, nous la plaçons au-dessus d’un compteur de Geiger-Muller portant un orifice fermé par un écran de 7 centièmes de millimètre d’aluminium. Nous observons que la feuille émet un rayonnement dont l’intensité décroît exponentiellement en fonction du temps avec une période de 3 minutes 15 secondes… Il s’agit donc ici d’une véritable radioactivité qui se manifeste par l’émission d’électrons positifs. » Cette expérience correspond en fait à deux découvertes ; celle de la radioactivité artificielle bien sûr, mais aussi celle de la radioactivité par émission de positrons qui est à la base d’une méthode d’imagerie, la tomographie par émission de positrons. En septembre 1934 se tient la Conférence internationale de physique à Londres. La découverte des Joliot-Curie intéresse les médias, Le Soir rapporte les propos de F. Joliot : « Il est très possible, si nos expériences réussissent, que nous puissions fabriquer une substance dont les applications médicales obtiendront le même effet que le radium. » Le Petit Journal écrit : « Pour le traitement du cancer, Irène Joliot-Curie et son mari posséderaient la formule du radium artificiel… On laisse entendre à cette occasion que la fille de Mme Curie pourrait bien recevoir le prix Nobel. » On voit comment les journalistes, emportés par le nom de Curie (Joliot était encore un inconnu pour le grand public), ont pensé que la radioactivité artificielle serait un nouveau moyen qui permettrait d’amplifier les succès de la radiothérapie ; les applications en imagerie ne pouvaient pas alors être pressenties car le lien entre radioactivité artificielle et imagerie n’est pas aussi direct que celui qui existe intrinsèquement (et historiquement) entre rayons X et radiographie.
Pour que la médecine nucléaire puisse voir le jour, il fallait réunir trois conditions, deux techniques, la troisième conceptuelle. Il fallait d’abord pouvoir produire à grande échelle ces nouveaux radioéléments artificiels, ce qui passa par plusieurs étapes essentielles : la construction du premier cyclotron en 1933 par Lawrence à Berkeley ; la découverte de la fission du noyau d’uranium en 1939 par Hahn et Strassmann ; la divergence de la première pile en 1942, par Szilard et Fermi à Chicago. La seconde avancée technique est l’informatique qui va permettre le développement de la scintigraphie, puis, avec l’augmentation exponentielle de la puissance des ordinateurs parallèlement à une baisse constante des prix, la tomographie par rayons X, puis l’IRM.