L’environnement anticancer : Une épidémie de cancer ?
Après avoir été professeur à l’université de Yale sur la Côte est, Michael Lemer est allé s’installer en Californie dans les années 1970 avec un projet apparemment saugrenu : créer un lieu tel que le simple fait d’y vivre pouvait contribuer à la guérison – à la fois physique et émotionnelle – des personnes atteintes de maladies graves. Dans ce lieu d’une tranquillité étonnante perché au-dessus de l’océan Pacifique, un peu au nord de San Francisco, on mange uniquement bio, on fait du yoga deux fois par jour, et on se parle à cœur ouvert. Il n’est pas rare que des médecins souffrant d’un cancer viennent y chercher d’autres réponses que celles qu’ils ont apprises dans les facultés de médecine.
Depuis trente ans, Michael Lemer et sa collaboratrice le docteur Rachel Remen ont connu beaucoup de patients – souvent devenus des amis. Certains s’en sont sortis formidablement bien, d’autres sont morts. Plus les années passent, et plus on compte de jeunes parmi les morts. La maladie touche désormais des personnes qui n’ont jamais fumé, qui ont mené Une vie plutôt « équilibrée»… une cause cachée et incompré
hensible semble vouer ces femmes de 30 ans à des cancers du sein métastatiques, ces hommes jeunes et apparemment sains à un lymphome disséminé, à un cancer du côlon, de lu prostate… Ce rajeunissement des malades ne semble obéir à aucune logique.
Ce que Michael et Rachel observent dans leur centre est en fait un phénomène mondial parfaitement identifié par les statisticiens. Depuis 1940, l’incidence du cancer augmente dans tous les pays industrialisés, et ce mouvement, qui s’est encore accéléré depuis 1975, est particulièrement sensible chez les personnes jeunes. Aux États-Unis, entre 1975 et 1994, le taux de cancer a crû à un rythme de 1,6 % par an chez les femmes de moins de 45 ans, et même de 1,8 % par an chez les hommes1. En France, l’augmentation du nombre de cancers a été de 60 % dans les vingt dernières années2. Dès lors, on ne peut s’empêcher de se demander : s’agit-il d’une épidémie ?
Lorsque j’ai posé la question il y a trois ans à un éminent professeur de cancérologie, il m’a fourni toute la batterie des réponses conçues pour rassurer la population : « Il n’y a rien d’étonnant à ce phénomène, m’a-t-il affirmé. Par rapport à 1940, la population étant plus âgée, il est normal que l’incidence du cancer augmente. De plus, les femmes ont des enfants beaucoup plus tard, elles sont donc plus sujettes au cancer du sein. Sans parler du dépistage précoce, qui augmente mathématiquement le nombre de cas enregistrés. » Son message était simple : il ne faut pas se laisser égarer par les alarmistes qui invoquent on ne sait quels facteurs mystérieux. Il faut, au contraire, intensifier la recherche afin d’améliorer les traitements, et faire progresser le dépistage précoce : les deux mamelles de la cancérologie moderne. Comme beaucoup de mes confrères, comme beaucoup d’autres patients, j’ai préféré le croire. C’était plus confortable.
Les vieux médecins avec lesquels j’en ai parlé sont éberlués. De leur temps, un cancer chez une personne jeune était rarissime. L’un d’eux se souvenait encore, à l’époque de ses études, de cette femme de 35 ans chez qui avait été diagnostiqué un cancer du sein : tous les étudiants en médecine des services avoisinants avaient été conviés à l’examiner. Elle était, dans les années 1950, un « cas exceptionnel ». Quatre à cinq décennies plus tard, j’ai eu un cancerà l’âge de 31 ans, deux de mes cousines – l’une en France, l’autre aux États-Unis – ont cu un cancer à 40. Quarante ans, c’est aussi l’âge auquel est morte la première fille dont j’ai remarqué la poitrine quand nous étions enfants – d’un cancer de ces seins qui nous avaient lait rire dans la cour de l’école lorsqu’ils étaient devenus visibles pour la première fois. Les statistiques des épidémio- logistes ne sont, hélas, pas des chiffres abstraits…