Favoriser l’esprit de partage tout , au long de la chaîne alimentaire
L’esprit de convivialité ne se limite pas aux convives du repas, le plaisir de manger est finalement l’aboutissement du travail des paysans et de tous les intermédiaires qui ont œuvré du champ jusqu’à l’assiette. Un des défauts récurrents d’une alimentation mondialisée et standardisée est de créer une distance très grande entre le consommateur et l’origine agricole des aliments, or une large majorité des gens’ sont restés dans leur esprit très proches du monde rural et sont sensibles à la naturalité de leurs aliments. À l’avenir, il est clair que le consommateur aura à se positionner à travers ses choix alimentaires, sur les méthodes d’agriculture et d’élevage qu’il veut favoriser, sur l’importance qu’il accorde à la préservation des espaces naturels. Encore faut- il que l’origine des aliments ne lui semble pas trop lointaine, qu’il comprenne la nécessité de pratiquer des échanges équitables, qu’il attribue une valeur marchande suffisante à son alimentation de façon à maintenir une chaîne alimentaire bénéfique pour tous.
La dimension conviviale de l’alimentation a donc un caractère très large. Elle devrait être à la fois une revendication forte et aussi une exigence pour tous puisque le consommateur a une lourde responsabilité par ses choix, par la nature de ses dépenses sur l’évolution de la chaîne alimentaire. Cette évolution sera lourde de conséquences à de nombreux niveaux, celui de l’environnement jusqu’à celui du fonctionnement le plus intime de l’homme.
À travers son mode d’agriculture et de nourriture, l’homme pourra s’intégrer dans une chaîne écologique équilibrée ou participer à la dégradation de pans entiers d’espaces naturels, assurer son avenir biologique et son équilibre psychique ou prendre des risques de transformations métaboliques et de perturbations psychiques. La gestion de la chaîne alimentaire à visée humaine doit être compatible avec la préservation et le partage équitable des ressources naturelles.
Si, pour satisfaire des intérêts capitalistique ou nationaux, des territoires sont stérilisés, des agricultures marginalisées, des peuples asservis à des modes alimentaires standardisés, l’avenir de l’homme est bien mal engagé. L’homme ne peut donc fonder son humanisme que sur le respect, à toutes les étapes de la chaîne alimentaire, d’un esprit de partage dans le sens d’un développement durable. Cet esprit d’universalité et de solidarité, qui gagnerait à régir les échanges agricoles, est bien éloigné du marchandage actuel des pays riches entre eux ou vis-à-vis des pays en développement. Le droit élémentaire des peuples à se nourrir eux-mêmes est bafoué par la mise sur le marché de matières premières à des coûts dérisoires. De même, l’exportation de modèles alimentaires occidentaux dominants est un manque évident de respect pour les autres peuples dont les cultures sont marginalisées. Par contre, il y a un bénéfice réel, pour tous ceux qui le peuvent, à emprunter et à adopter des modes alimentaires ou des préparations culinaires originales qui font la richesse du patrimoine mondial. Il est sûrement intéressant que les Français apprennent à aimer les tajines marocains, le « pumpernickel » allemand ou les pitas du Moyen-Orient, le tofu asiatique, les tortillas mexicaines, le taboulé ou le hoummous libanais, les falafels juifs, la moussaka méditerranéenne, les chapatis indiens, le chili con came américain, le gaspacho andalou ou la soupe d’Hal- loween. L’adoption d’une partie de la culture de l’autre est aussi une excellente manière de le comprendre, et de diversifier et d’équilibrer sa propre alimentation. Souvent des modes alimentaires de par le monde se sont révélés extrêmement protecteurs vis-à-vis de certaines maladies. On sait à quel point il serait intéressant de transposer la diète méditerranéenne, le fameux régime crétois, à l’ensemble des régions françaises par exemple pour lutter contre l’infarctus du myocarde.
L’intérêt de partager les ressources et les savoir-faire culinaires, pour un enrichissement réciproque, est particulièrement prégnant en matière d’alimentation humaine et serait une voie originale de mondialisation. Ce métissage culturel est bien différent d’une certaine uniformisation des goûts prônée par la domination des géants de l’agroalimentaire, par la civilisation « Coca- Cola » et « MacDonald ». Le danger réside dans la capacité des pays riches occidentaux, dotés d’une industrie agroalimentaire surpuissante, de faire consommer aux pays du sud ou de l’Asie des produits manufacturés ou des produits animaux dans l’esprit de conquérir de nouveaux marchés. Ce péril est déjà bien réel puisqu’on peut mesurer les conséquences de « la transition nutritionnelle » que nous avons subie dans beaucoup de pays du Sud.
La marchandisation de la nourriture n’est sûrement pas le bon moyen pour vaincre la faim dans le monde. En revanche, il est souhaitable d’enrichir, chaque fois que cela est possible, le patrimoine culinaire des populations. Au-delà du bonheur de partager le plaisir des autres à travers leurs aliments, il est également important de mettre en commun l’immensité des connaissances acquises pour élaborer des systèmes de nutrition préventive en fonction des ressources disponibles. En effet, puisque nos connaissances ont tellement évolué dans ce domaine, il devient élémentaire au niveau éthique d’en faire bénéficier tous les peuples. C’est d’une certaine manière ce que pratique la communauté scientifique dont le fondement est de diffuser en permanence les connaissances nouvelles. Toutefois, il y a une grande distance entre les approches souvent trop théoriques des scientifiques et le développement de politiques nationales de santé publique dans le domaine alimentaire.