Evaluation clinique du thermalisme
L évaluation d’un procédé thérapeutique comporte plusieurs phases dont a première est nécessairement celle de la démonstration scientifique de son efficacité dans l’indication retenue. Cette étape ne suffit toutefois pas a guider le choix du prescripteur dans sa pratique quotidienne. C’est tout 1 enjeu des études permettant de situer l’intérêt dudit procédé par rapport à d autres alternatives. Mais si pour les médicaments, les méthodes sont clairement définies, sinon faciles à appliquer, il n’en va pas de même pour le thermalisme et, d’une manière générale, pour les soins physiques qui ont des contraintes spécifiques.
Principe généreux de l’évaluation thérapeutique
Les essais cliniques comparatifs (ou «contrôlés») sont la base de l’évaluation thérapeutique. Ils sont schématiquement de deux ordres [5],
Essais explicatifs
De tels essais visent à démontrer l’efficacité intrinsèque du procédé thérapeutique. En d’autres termes, ils cherchent à établir scientifiquement que le résultat obtenu chez le malade est supérieur à celui que produit le placebo ou, le cas échéant, le traitement de référence. À cette fin, on constitue les groupes de malades de manière aléatoire, leur nombre ayant été préalablement calculé en tenant compte de la variabilité du critère principal de jugement, des risques a et p, et de la différence jugée cliniquement pertinente [5], Et on s’impose la procédure du double aveugle L’analyse des résultats est faite en «intention de traiter» sur I ensemble des patients en s’appuyant sur les tests statistiques appropriés. Les essais explicatifs doivent donc s’adresser à une population homogène dont 1 environnement est standardisé pour éviter toute interférence avec les traitements à l’étude. Il s’ensuit une sélection drastique que viennent renforcer des considérations éthiques obligeant à écarter les personnes à risques et à respecter scrupuleusement les contre-indications connues ou présumées des médications testées. À cela s’ajoute une surveillance étroite des malades pour s’assurer de l’observance et dépister précocement tout effet indésirable. En définitive, les essais explicatifs apprécient l’efficacité à court terme d’une thérapeutique et révèlent ses complications les plus fréquentes et les plus immédiates au sein d’un échantillon très particulier de patients.
Il est dès lors légitime de se demander si l’on est fondé à extrapoler à la population générale, par essence hétérogène, des données recueillies dans un groupe «normalisé» et, partant, «non représentatif» [10]. En toute hypothèse, ces essais ne sauraient définir la place exacte d’une thérapeutique au sein de l’arsenal disponible.
Essais pragmatiques
Aussi convient-il de compléter les essais explicatifs par des essais comparatifs dits «pragmatiques». Leur rôle est d’apprécier l’utilité (au sens du «service médical rendu») d’une modalité thérapeutique dans les conditions habituelles d’exercice et de la confronter à d’autres alternatives. Leurs résultats sont une aide à la prise de décision pour le praticien et servent à l’élaboration de recommandations pour la santé publique [5],
Les essais pragmatiques portent par conséquent sur des malades «tout venant», qui sont le reflet des bénéficiaires habituels ou potentiels des thérapeutiques à l’épreuve et dont on suit le devenir selon les conditions usuelles. L’environnement n’y est pas standardisé dans la mesure où il est intégré dans la définition même du traitement, considéré dans sa globalité [5]. Et le critère de jugement apprécie tout l’éventail des avantages et des inconvénients, d’où le recours éventuel à des index composites tels que les échelles de qualité de vie. Si les essais pragmatiques se passent toujours du «double aveugle », ils nécessitent en revanche une randomisation pour garantir la comparabilité des groupes [5], Ils imposent en outre une détermination préalable du nombre de sujets requis pour minimiser le risque y de retenir la moins bonne stratégie, le risque y étant celui de déclarer un traitement A supérieur à l’option B, alors que l’inverse est vrai en réalité. Enfin, ils requièrent une analyse en intention de traiter [5].
Application au thermalisme
Difficultés de l’évaluation du thermalisme
La cure thermale se définit comme l’ensemble des thérapeutiques appliquées à un patient pendant son séjour dans une station thermale, de sorte qu’elle inclut la crénothérapie proprement dite et les autres soins (rééducation fonctionnelle…), mais aussi le repos, le changement de climat et d’hygiène de vie, voire le dépaysement [11], Cet aspect multifactoriel conduit à privilégier une démarche pragmatique d’autant qu’une intervention placebo et que le double insu sont difficiles à concevoir [2].
Un deuxième obstacle tient à la randomisation et à la constitution du entre «cure thermale» et «autres thérapeutiques physiques» (hydro-balnéothérapie, massages, kinésithérapie…) sur le lieu de résidence, à condition que celles-ci n’aient pas déjà été dispensées, pour éviter un biais de sélection. En tout état de cause, cette formule risque de rendre le recrutement hasardeux. Aussi a-t-on suggéré que l’allocation aléatoire porte sur le moment de la cure, immédiate pour les uns, différée de quelques mois pour les autres, qui serviront de témoins pendant la période d attente [8]. La crainte est alors que les témoins ne reconnaissent pas une éventuelle amélioration de leurs symptômes de peur qu’elle ne remette en question le bien-fondé de la cure prescrite [7 ]. Il y a donc lieu de prévoir que le formulaire de consentement lève toute ambiguïté à cet égard. Quelle que soit la procédure adoptée, la définition du groupe témoin doit respecter la clause d’ambivalence, stipulant que les «actions comparées soient applicables à tous les patients recrutés pour l’étude» [2],
Évoquons enfin les problèmes liés aux critères de jugement. Indépendamment de l’indication revendiquée, la cure thermale cherche à réduire les manifestations fonctionnelles ou la morbidité de l’affection, c est-à-dire ses rechutes ou ses complications, et plus généralement à agir sur la qualité de vie du patient. Ces effets doivent s’apprécier au moyen d’échelles validées et adaptées à la pathologie étudiée. Dans le cas de la coxarthrose ou de la gonarthrose, par exemple, citons l’échelle visuelle analogique pour la douleur, les indices algofonctionnels (HAQ, Lequesne, WOMAC…) et un instrument spécifique de qualité de vie (EMIR, version française de l’AIMS 2) [3, 9], Bien entendu, il importe de hiérarchiser ces critères pour distinguer le critère principal (le plus approprié étant l’index WOMAC dans notre exemple [3]) et les critères de jugement accessoires. L’influence de la cure sur la consommation ultérieure de soins et de médicaments est un autre paramètre a priori pertinent [2]. Mais outre que sa mesure est loin d’être aisée et fiable, son interprétation est parfois délicate, sinon sujette à controverse [1, 6]. On tend de ce fait à la réserver aux approches médico-économiques du thermalisme.
Reste à savoir quand il convient de soumettre les critères de jugement aux malades : en début et en fin de traitement, certes, mais surtout à distance de celui-ci (6 mois, voire 1 an plus tard) puisque les cures thermales s’adressent presque uniquement à des affections chroniques [7]. Des évaluations régulières au décours de la cure auront l’avantage de montrer la cinétique de son effet par rapport au groupe témoin [4].
Principes méthodologiques de l’évaluation scientifique dans le thermalisme
Les principes méthodologiques dans l’évaluation du thermalisme ont lait l’obiet de recommandations émises par l’Agence nationale pour le développement de l’évaluation médicale en 1996.
Cet organisme, prédécesseur de Factuelle Agence nationale d’accréditation et d evaluation en santé (ANAES), préconise une démarche en trois phases successives. La première n’est pas abordée ici puisqu’elle concerne la garantie de la sécurité (ou de l’innocuité) de la cure thermale C°,nS18te % rechercher des indications thérapeutiques potentielles au thermalisme. Elle implique une étape de recueil des informations disponibles (donnera expérimentales, analyse de dossiers de curistes cohortes retrospectives) et d’avis autorisés auprès d’experts, qu’il faut ensuite etayer par une «étude prospective bien conduite sur un nombre Patients dans indication envisagée. On en comptabilise les résultats en termes de «succès» ou d’échecs», notions que l’on aura def mes préalablement. Si le pourcentage de succès est encourageant il faut le confirmer par un essai prospectif, randomisé, comparant un groupe suivant une cure thermale à un groupe témoin. C’est la «phase de validation des indications thérapeutiques». Ultérieurement, une «comparaison randomisee entre les cures de composition différente» permettrait de determiner au sein d’un établissement thermal les stratégies thérapeutiques les plus appropriées dans les indications reconnues.
Pour la réalisation de ces essais, l’ANDEM rappelait la nécessité de préciser .
– les formes cliniques de la maladie et les critères d’éligibilité des malades ;
– l’intervention étudiée, en détaillant les modalités exactes de la cure;
– les caractéristiques du groupe témoin ;
– les critères de jugement, principal et accessoires ;
– le calcul du nombre de sujets et la méthode d’analyse des résultats.
L’ ANDEM insistait en outre pour que la lecture des critères de jugement soit effectuee «en aveugle».
Évaluation médico-économique
L’évaluation médico-économique du thermalisme est simple dans son principe. Elle consiste a comparer le «coût» annuel global de deux groupes donner d’une cellule thermale pour une affection donnee, un bénéficiant effectivement de la cure, au contraire de l’autre recette,Une nouvelle fonction problématique de la constitution groupe témoin, de tels travaux obligent à colliger un nombre considérable d informations (consultations médicales, examens complémentaires actes paramédicaux, consommation médicamenteuse…) dont il faut s’assurer qu ,1s ont été directement motivés par l’affection en cause. On comprend dès lors la polémiqué suscitee par les rares études publiées en ce domaine 1, 6J.
A ce titre, il sera précieux de pouvoir bénéficier prochainement de ¡’informatisation complete du dossier-patient et des progrès dans les systèmes de gestion t de cotation des organismes sociaux pour aider les travaux de cette nature Par ailleurs, il est utile d’etudier la consommation médicamenteuse, même sicelle étude n’est pas dénuée d’écueils : risque de méconnaître Vautomédication et donc de confondre «prescription» et «consommation réelle globale» île médicaments; nécessité d’interpréter les données en tenant compte du rapport bénéfice risque de chaque classe thérapeutique. En clair, la consommation médicamenteuse globale peut ne pas changer quantitativement, tout en se révélant moins nocive, à l’image du remplacement d’un AINS par le para- cétamol dans l’arthrose. À l’inverse, quel serait l’intérêt d’une moindre consommation médicamenteuse si elle provenait seulement d’une réduction des produits bien tolérés et ne concernait pas les substances les plus toxiques? lin résumé, malgré les difficultés inhérentes au thermalisme, des travaux récents attestent qu’une recherche clinique rigoureuse est possible, satisfaisant aux exigences de TANDEM (aujourd’hui devenu ANAES) pour valider ses indications thérapeutiques justifiées.