Dimension essentielle du refus chez l'anorexique :
Essai de compréhension :
Certains mangent pour vivre, d’autres vivent pour manger. L’anorexique ne mange pas pour vivre : je pas manger pour vivre, voilà l’énoncé paradoxal exprimé par l’anorexique à travers son refus. Ce refus, certains l’entendent comme un défi. Disons plutôt que le défi de l’anorexique ne s’instaure qu’en étant relevé par la demande des autres qu’elle renonce à son relus.
En écho à une telle prétention, vivre de rien, des sentiments interviennent avec force chez les soignants, fascination ou rejet qui ne sont que les deux faces d’une même médaille.
Il convient de les repérer car ils alimentent au mieux la résistance de l’anorexique, ne lui offrant nulle voie de dégagement. Cette prétention, ne pas manger pour vivre, plus précisément encore, le refus qui lui donne ce sentiment de toute-puissance sur elle-même, sur son corps, mais aussi sur les autres, son entourage familial, c’est ce à quoi l’anorexique ne veut pas renoncer, parfois au prix de sa vie, puisque c’est ce prix qui lui donne un sentiment d’existence.
L’anorexie traduit une impasse :
Nous évoquions pour ces jeunes filles la survenue de la puberté, ou son approche, comme un traumatisme d’autant plus difficile à élaborer qu’il s’inscrivait sur un fond de fragilité narcissique.
Nombre de ces jeunes filles, futures anorexiques, effectuent pourtant un petit galop d’essai : investissement des copines, premières sorties, premiers flirts. Mais cela retombe rapidement : elles semblent laisser là tout ce qui préoccupe ordinairement les jeunes filles pour se réfugier de façon exclusive dans les cahiers d’école, la salle de gym ou de danse, et s’assurer qu’elles demeurent l’objet de la fierté parentale.
L’extrême degré de dépendance affective dans ces familles où survient l’anorexie va se révéler à travers un attachement rigide à certaines images. Car devenir une femme, c’est risquer de déroger à une place assignée qui jusque-là fonctionnait dans un jeu de leurre satisfaisant pour enfant et parents. Dans cette problématique, devenir une femme, nous y reviendrons, c’est pour l’anorexique ressentir un risque insupportable, celui de perdre l’amour de ses parents.
A partir de la puberté, l’afflux d’excitations que ressent toute jeune fille peut alors lui rendre la situation intenable, sans possibilité d’élaboration psychique. Ce qui fait défaut, c’est la possibilité de passage à un autre niveau de fonctionnement, à proprement parler une ouverture. C’est pourquoi on assiste chez l’anorexique à une série infinie de renversements, retournements sans véritable efficacité, faute de pouvoir se dialectiser.
Relevons entre autres attitudes paradoxales :
– rejeter les besoins pour contrer les désirs perçus comme trop dangereux, et en même temps tenter d’affirmer le sien ;
– se vouloir toute-puissante pour lutter contre sa profonde dépendance à l’autre ;
– risquer sa vie pour maintenir le sentiment d’exister.
Compréhension du refus et indications thérapeutiques :
Il est possible déjà de dégager un certain nombre d’éléments qui permettent de situer au mieux l’action thérapeutique.
– L’anorexique évolue dans un système relationnel où pour elle, être aimée équivaut à être admirée, d’une façon rigide, sans mouvement possible, sans décollement possible d’une image idéalisée par ses parents et par elle-même, y ¦ Son refus alimentaire, en tant que symptôme, représente une protection pour elle, mais est aussi à entendre comme un appel au sens.
S’il est nécessaire de tenir compte du symptôme et mettre l’anorexique sous surveillance médicale, il importe d’être attentif à la dimension de fascination/rejet qu’elle suscite.
-Il s’agit d’abord, pour les soignants, d’entendre quelqu’un et de s’adresser à quelqu’un. Des paroles doivent être mises sur des signes. Les paroles apportées par les soignants, même si elles ont valeur générale, n’en proposent pas moins et de façon essentielle l’amorce d’une ouverture à l’expression d’une souffrance psychique.
A la différence de ce qui se passe dans sa famille, de façon réelle ou imaginaire, l’anorexique peut alors dire ses sentiments, apprendre à exprimer colère et angoisse sans que l’autre qui l’écoute en soit trop profondément affecté.
– Il convient également de comprendre que pour ces jeunes filles, aller jusqu’au bout de leur symptôme, jusqu’à l’épuisement, correspond pour elles à aller jusqu’à la limite d’une toute-puissance imaginaire, en défense contre le risque d’un effondrement narcissique. C’est pourquoi le premier temps psychothérapique pour les soignants consiste donc à soutenir et valoriser les sentiments et affects, positifs ou négatifs.
Cette restauration narcissique de l’anorexique, et sa découverte des effets symbolisants de la parole dans ses relations avec les soignants pourront rendre possible un autre travail psychique, portant sur ses questions, ses impasses. C’est alors un travail plus singulier qui peut s’offrir, analytique, qui dans la déliaison qu’il propose, peut lui permettre une élaboration nouvelle. Mais cette possibilité de changement ne peut souvent s’opérer sans que les parents soient associés au chemin nouveau qui s’offre à l’anorexique.