Des routes antibruit : les polymères hydrocarbonés
La circulation automobile est beaucoup moins bruyante qu’elle ne l’était et cela n’est pas uniquement dû aux moteurs plus silencieux et à l’isolation phonique. Le bruit des pneus sur la route a pu être considérablement réduit en modifiant la nature de l’asphalte utilisé dans la construction de la route, ce qui a permis parallèlement de réduire l’importance des éclabousse¬ments par temps pluvieux. Le secret a été de modifier le bitume dans l’asphalte par adjonction de polymères.
De nos jours, on ne parle plus de poix ou de goudron mais de bitume. La poix est le résidu obtenu par distillation d’essences natu¬relles de bois telles que la térébenthine ; le goudron est obtenu par distillation sèche du charbon et le bitume est le résidu d’une distillation de pétrole brut.
La poix a une longue histoire : elle était utilisée pour calfater les coques des bateaux. Le goudron était essentiellement utilisé pour la construction des routes mais il tomba en disgrâce lorsqu’on réalisa qu’il pouvait provoquer le cancer. Actuellement, on préfère utiliser le bitume pour les routes et aussi comme matériau de couverture car il n’est pas cancérigène. Nous préférerions ne pas avoir de contact avec lui et, en ce sens, nous n’avons pas changé, cependant le matériau en question a connu une révolution ces vingt dernières années. Par exem¬ple, il n’est plus question qu’il soit toujours noir : il peut être de n’importe quelle couleur.
Habituellement, le bitume constitue les 10 % des résidus qui restent après la distillation, à partir du pétrole brut, de tous les hydrocarbures utiles, mais, grâce aux méthodes perfectionnées de raffinage, il consti¬tue maintenant moins de 1 % de la plupart des huiles. Cependant, certains pétroles bruts produisent la moitié de leur poids de bitume. Parmi les 1 500 sources de pétrole brut à travers le monde, seules quel- ques-unes conviennent à la production de bitume et pourtant la demande continue de croître car elle est essentielle pour les routes, les pistes d’aéroports et les toits. De nos jours, les raffineries modernes comportent des usines spécialement conçues pour la production de bitume et la production annuelle mondiale est supérieure à 75 millions de tonnes. Le travail du chimiste a été de trouver les moyens d’amélio¬rer le bitume et même de le rendre écologique.
Le bitume est principalement composé de C7H10, ainsi que de peti¬tes quantités d’oxygène et d’azote et jusqu’à 6 % de soufre. Cela ne nous renseigne pas beaucoup car c’est un véritable brouet de sorcier plein de produits chimiques. Cependant, nous savons bien que le bitume est composé majoritairement de grosses molécules non volatiles, sinon elles se seraient évaporées lors du fractionnement du pétrole brut.
Il existe dans le bitume deux types d’ingrédients essentiels : les asphaltées, insolubles dans l’heptane et les maltées, qui eux, sont solubles. En effet, le bitume est une dispersion colloïdale d’asphaltées dans des maltées. Les asphaltées, qui sont de grosses molécules, constituent la composante mineure. Les maltées constituent la composante majeure et sont composés, par ordre d’importance, de molécules aromatiques, de molécules saturées et de molécules polaires. Les composés aromatiques sont essentiellement des dérivés du naphtalène, les composés saturés sont des huiles visqueuses et les molécules polaires sont responsables de l’adhérence, ce caractère collant proverbial qui fait la triste célébrité du bitume.
Le bitume ne constituait pas une bonne source de matière première pour l’industrie, mais il donnait entière satisfaction pour les revêtements des routes classiques. Cependant, la demande de meilleures routes nécessitait un bitume de meilleure qualité, ce qui signifiait l’ajout d’autres ingrédients. Le bitume lui-même est un matériau thermoplastique c’est-à-dire que sa texture dépend de la température ; plus la température est élevée, plus il est flexible et donc plus il se déforme sous la pression d’une circulation intense. On lui ajouta du caoutchouc recyclé à partir de pneus pour contrecarrer cette tendance : cela augmenta sa force et le rendit plus résistant c’est-à-dire moins apte à se déformer. L’addition de soufre et de composés organomagnésiens le rend également plus malléable et plus résistant, mais la meilleure façon de le modifier est de lui ajouter des polymères thermoplastiques, et en particulier du SBS (styrène-buta- diène-styrène).
Le bitume modifié par ajout de SBS voit sa performance fortement améliorée : il est plus résistant et il ne se déforme pas en cas de surchauffe. Les avantages peuvent être mesurés en considérant la pression qu’il peut supporter avant de craquer, et le bitume modifié est 100 fois plus rigide que le bitume ordinaire. Le SBS est obtenu en mélangeant deux polymères qui ont des propriétés très différentes et qui sont normalement incompatibles. Du caoutchouc très élastique obtenu à partir du butadiène se trouve dans la partie centrale du polymère ; et du polystyrène, beaucoup plus dur, se trouve aux deux extrémités de la chaîne, ce qui confère la rigidité. Lorsqu’on ajoute du SBS à du bitume chaud, il gonfle énormément, puis, en refroidissant, les blocs terminaux de polystyrène se lient pour former un réseau tridimensionnel. Le SBS est essentiellement utilisé pour les routes et dans le bitume pour toiture alors qu’un matériau similaire, le styrène-isoprène- styrène (SIS) est utilisé pour les colles liquides à chaud et les mastics de bitume.
Retour à la Bible
Les longues chaînes de polymères hydrocarbonés ont une longue histoire. Dans les temps anciens, la poix était utilisée pour imperméabiliser les coques des bateaux et pour assurer l’étanchéité des réservoirs d’eau et des canaux. Elle servait aussi comme mortier pour les briques et comme colle dans la fabrication des outils, des armes, des mosaïques et dans les travaux d’incrustation. D’après la Bible, Noé a construit son arche en bois de « Gopher » et l’a enduite intérieurement et extérieurement de poix (Genèse VI, 14). La Tour de Babel fut construite avec des briques, et du bitume fut utilisé comme mortier (Genèse XI, 3). Le petit bateau fait de joncs dans lequel Moïse fut lancé à la dérive sur le Nil était aussi enduit de poix (Exode II, 3). Alors que ces récits étaient essentiellement allégoriques, leurs auteurs connaissaient sans aucun doute les modes d’utilisation du bitume dans les royaumes anciens. Le bitume naturel suintait du sol en plusieurs endroits et on en trouvait même des morceaux flottant sur la Mer Morte, appelée alors Lac Asphaltique, d’où vient le terme « asphalte ». De nos jours, le terme asphalte fait référence à un mélange de bitume et d’autres composants.
La plus ancienne utilisation connue du bitume naturel fut découverte à Mohenjo Daro, dans la vallée de l’Indus : des archéologues y mirent à jour des réservoirs d’eau, vieux de 5 000 ans, cons¬truits avec des blocs de pierre liés entre eux avec du bitume. (On retrouve ce même usage du bitume dans les réservoirs modernes.) Les peuples de Mésopotamie, les Chaldéens, les Acadiens et les Sumé¬riens extrayaient le bitume de gisements peu profonds et l’exportaient un peu partout à travers le monde antique. Nous pensons généralement que l’utilisation du bitume dans la construction des routes s’est développée relativement récemment, pourtant au VIe siècle avant J.-C., à l’époque du roi Nabuchodonosor de Baby- lone, on utilisait déjà le bitume à cet effet. Ce n’est que plus tard qu’on l’utilisa comme ciment pour les pavés.
On pensait autrefois que les momies égyptiennes tiraient leur nom du mot mumiyah, mot arabe qui signifie « bitume naturel ». L’apparence noire des momies laissait croire qu’elles avaient été enduites de poix. En 2001, les chimistes Richard Evershed et Stephen Buckley de l’Université de Bristol effectuèrent une analyse chimique sur treize momies appartenant à des musées du Royaume-Uni. Ils détectèrent toutes sortes de résines et de conservateurs utilisés par les embaumeurs, mais aucune trace de bitume.1 Les momies égyptiennes de l’époque romaine étaient quelquefois recouvertes d’une couche de bitume servant à les rendre étanches, mais cela n’a jamais été le cas à l’époque des Pharaons. Les momies étaient alors enduites de cire d’abeille, et ce pourrait bien être l’origine du mot « momie » car en égyptien copte le mot mum signifie « cire ».
Le bitume naturel n’est pas aussi rare qu’on pourrait l’imaginer. Dans les années 1590, le navigateur et courtier Sir Walter Raleigh (1552-1618) découvrit le célèbre Pitch Lake à Trinidad. Ce dernier couvre presque 50 hectares et contient plus 6 millions de tonnes de bitume : celui-ci se renouvelle presque aussi vite qu’il est exploité et exporté. Le Guanoco Lake, au Venezuela, est un lac d’asphalte bien plus grand avec une surface atteignant presque 500 hectares ; du bitume en fut extrait de 1890 à 1935. Les fosses de bitume bouillon¬nant de La Brea Tar Pits, à Hancock Park, à Los Angeles ont été découvertes en 1769 pendant l’expédition de Gaspard de Portolâ et devaient devenir beaucoup plus importantes en raison des substances qu’on y extrayait. Ce bitume contient en effet les crânes et les os fossili¬sés d’animaux préhistoriques piégés dans une boue poisseuse. On a trouvé plus d’un million de spécimens préhistoriques dans ce bitume, notamment des mammouths, des mastodontes, des tigres aux dents de sabre, des paresseux géants et même un chameau.
La plus ancienne photographie a été développée grâce au bitume. Joseph Nicéphore Niépce (1765-1833) l’a prise durant l’été 1826 de la fenêtre du premier étage de sa maison à Chalon-sur-Saône, en Bourgogne. Depuis 1816, année où il fit ses premières images grossières, il expérimentait des substances sensibles à la lumière ; en 1820, il obtint une meilleure qualité d’image.
La photographie représente un bâtiment agricole et un poirier, et elle a été fixée sur une plaque de cuivre recouverte de bitume. Après exposition à la lumière durant plusieurs heures et même peut-être plusieurs jours, le bitume noir non seulement vira au gris clair mais il durcit.
Niépce lava la plaque avec de l’essence de lavande et du white spirit, retira le bitume non altéré, découvrant, gravée dans le bitume durci, une image permanente présentant différentes nuances de gris. Niépce avait utilisé un matériau appelé bitume de Judée que l’on trouvait dans la Nature et qui était utilisé dans les « procédés de morsure ». Ce maté¬riau portait le nom de la région du Moyen-Orient dont il était origi¬naire mais on pouvait aussi en trouver dans le Sud-Est de la France où Niépce vivait.
Niépce appela son image « héliographie » ; il emmena certains de ses spécimens à Londres où il se rendit en 1827. Il alla aux célèbres jardins de Kew où il rencontra le botaniste Francis Bauer, membre de la Royal Society à qui il montra quelques échantillons de son travail. Bauer reconnut immédiatement l’importance du travail de Niépce : il le persuada d’écrire un article sur sa découverte et de le soumettre à la Royal Society. Bien qu’il ait rédigé l’article, il ne fut pas publié car il refusa de révéler les méthodes qu’il avait utilisées.
Niépce revint en France, mais sa méthode de photographie était trop lente pour être un jour populaire. Heureusement, la photo du bâtiment agricole et du poirier ne fut pas détruite. Elle a été redé¬couverte et authentifiée en 1952 et elle est actuellement exposée au Harry Ransom Humanities Research Center de l’Université du Texas, à Austin.
Le bitume et les routes modernes
Les stocks de bitume naturel ne suffisaient pas pour satisfaire les demandes des pays industrialisés du XIXe siècle et d’autres sources devinrent plus importantes. Parmi elles, le goudron, un sous-produit du charbon utilisé dans les usines à gaz d’Europe et d’Amérique du Nord. Ce goudron de houille était idéal pour la construction des routes.
Aujourd’hui, tous les bitumes proviennent du pétrole. La distillation du pétrole brut entre 300 et 350 °C produit toutes sortes d’hydrocar¬bures. Certains d’entre eux (comme le propane et le butane) sont gazeux mais les plus nombreux sont des liquides volatils utilisés comme combustibles (par exemple, l’essence pour les voitures, le kérosène pour les avions, le diesel pour les camions). Pour recueillir davantage d’hydrocarbures, on élève finalement la température de distillation à 400 °C et on réduit la pression à une demi-atmosphère. Il reste par la suite un résidu prêt à être utilisé comme bitume. On peut obtenir d’autres catégories de bitume en lui insufflant de l’air alors qu’il est encore chaud. Ce bitume « soufflé » s’oxyde partiellement, ce qui le rend plus dur et plus visqueux car les atomes d’oxygène réagissent en liant entre elles les chaînes d’hydrocarbures.
Un grand effort a été fait pour rendre les routes plus économiques, plus sûres et même plus écologiques car les matériaux utilisés peuvent être recyclés dans la construction de nouvelles routes. Il faut également faire face aux climats extrêmes ; c’est le cas des routes construites en haute montagne ou à l’intérieur du cercle arctique où les surfaces sont gelées pratiquement toute l’année. Ces routes nécessitent l’utilisation d’un bitume plus mou que celui qu’on emploie sur les routes exposées à la chaleur intense des tropiques.
Les routes peuvent maintenant supporter des charges plus lourdes, réduisant ainsi les frais de transport des matières premières et des produits finis. Leur construction nécessite moins de matériaux et elles peuvent être conçues pour durer plus longtemps avant réparation ou renouvellement1. On peut également les rendre plus écologiques, en réduisant la pollution sonore et l’éclairage, plus sûres, en réduisant les dangers associés aux chaussées mouillées (dérapages et éclabousse¬ments) et esthétiquement plus agréables en leur donnant une couleur autre que le noir. Il est possible d’obtenir du bitume coloré à partir d’un matériau de base pratiquement incolore qui provient de certains types de pétrole. Ainsi existe-t-il des asphaltes rouges, jaunes, bleus et verts utilisés pour les chemins de promenades, les couloirs de vélos et les couloirs de bus. Dans les tunnels, il est possible d’utiliser de l’asphalte « blanc » qui présente l’avantage supplémentaire de réduire les besoins en éclairage.
80 % du bitume produit sert à la construction des routes : bien que l’asphalte qui tapisse la surface des routes n’en contienne qu’un faible pourcentage, le bitume en est cependant la composante essentielle, car il agit comme une colle qui relie les autres composantes entre elles. Ces dernières se composent de sable, de chaux et de caoutchouc de pneus usagés. Quel que soit le matériau utilisé, une route moderne est cons¬truite pour durer une cinquantaine d’années.
Le bitume est idéal car lorsqu’il est chaud, il est fluide et se mélange facilement et lorsqu’il refroidit, il forme une surface rigide, résistante et flexible. Le SBS a été développé dans les années I960 et cet élastomère semblait tout à fait approprié pour les industries telles que celle de la chaussure qui nécessitent des colles fortes. L’entreprise Shell Chemicals a développé ce matériau et a appelé son produit le Kraton. Mélangé au bitume, il en renforce les propriétés, particulièrement la flexibilité et l’élasticité, ce qui a grandement amélioré son usage pour les toitures. Il élève également le point de ramollissement du bitume de 50 °C à 90 °C, ce qui le rend efficace pour le revêtement des routes : l’asphalte composé de Kraton ne se déformerait pas avec l’intensité de la circula¬tion, même dans les pays très chauds.
Selon son utilisation, on ajoute au bitume entre 3 et 7 % de SBS, et le coût est compensé par une durée de vie des surfaces de roulement beaucoup plus grande (cinq fois supérieure à celle de l’asphalte ordi¬naire) et bien moins de réparations. Il est idéal pour les ponts et les pistes d’aéroports où les pressions sont particulièrement élevées. Les ponts suspendus supportent généralement des routes qui sont non seulement soumises à un important trafic mais qui ont aussi tendance à être en mouvement de façon permanente, à se courber et à se tendre selon l’importance du trafic et selon le temps. De plus, la surface de la route doit être aussi légère que possible : l’asphalte doit non seulement être solide et résistant aux fissures mais il doit aussi être beaucoup plus fin qu’une route normale. La solution est d’incorporer 7 % de SBS.
Les chaussées asphaltiques peuvent être posées à chaud (l’asphalte est habituellement déroulé entre 100 et 140 °C) ou à froid (lorsque le bitume est émulsionné et mélangé à des granulats). Une réaction chimique relie alors les gouttes de bitume et la surface des granulats. Sur des routes qui seront souvent mouillées, il est nécessaire d’ajouter au bitume 1 % de surfactant (cationique) pour prévenir les dégâts causés par l’eau.
Une des premières surfaces de roulement à avoir été recouverte avec du bitume modifié fut, en 1976, le pont de Saint-Quentin, long de 600 m. En 1985, l’analyse de prélèvements de cette surface a montré que le liant bitumineux n’avait subi aucun changement important. Une route particulièrement exceptionnelle, très empruntée par des véhicules utilitaires chargés est celle qui traverse le désert de Mojave aux États-Unis où les températures peuvent varier de 42 ° C ou plus, durant la journée, à 0 °C durant la nuit. Le ministère californien des transport a effectué des tests sur l’autoroute inter-État n°40, dans le désert : on a déposé côte à côte de l’asphalte ordinaire et de l’asphalte à base de bitume modifié. Les résultats furent très concluants et ont prouvé que la nouvelle forme était bien meilleure. Après deux années, l’asphalte ordinaire montrait des signes d’usure et après quatre années, il présentait de graves fissures alors que cela n’était pas le cas du revête¬ment à base de bitume modifié.
Les routes modernes sont aussi beaucoup plus silencieuses lorsque le revêtement est un asphalte poreux (appelé également asphalte « anti¬bruit », ou asphalte « popcorn » en raison de sa texture). Ce dernier présente quatre avantages : il réduit de moitié le bruit de la circulation ; il diminue les éclaboussements par temps de pluie ; il minimise l’éblouisse- ment lors de la conduite nocturne sur route mouillée ; il permet une économie de carburant car il réduit le frottement des pneus sur la surface de la route. L’asphalte poreux réduit le bruit de la circulation automobile qui provient de la compression et de l’expansion de l’air piégé dans les bandes de roulement des pneus. Ce type de bruit dépend énormément de la texture du revêtement de la chaussée. Si celui-ci est dur, il peut également amplifier le bruit de la circulation en réfléchissant les sons prove¬nant du dessous du véhicule, du carter de la boîte à vitesse et du moteur.
L’asphalte poreux contient des agrégats à « granulométrie discontinue » : c’est une sorte d’agrégat qui n’est pas complètement cali¬bré, de façon à ne pas se tasser très efficacement. La différence essentielle entre l’asphalte ordinaire et l’asphalte poreux est le pourcentage d’espace vide. Dans l’asphalte ordinaire, les vides constituent 5 % du volume alors que dans l’asphalte poreux, ce pourcentage est de 20 % ou généralement plus. Il existe trois types d’agrégats selon la taille : agrégat à calibrage continu, à calibrage discontinu, et à calibrage uniforme. Les agrégats à calibrage continu comportent des éléments de toutes tailles qui s’entassent bien et laissent peu de vide entre eux. A l’opposé, on a des agrégats uniformément calibrés dont la granulométrie se situe dans un domaine défini. De tels agrégats ne se tassent pas efficacement et laissent de nombreux vides. La situation intermédiaire, correspondant au calibrage discontinu, conduit à un pourcentage plus important de gros graviers qui assureront également un certain nombre de vides.
L’asphalte poreux fabriqué à partir de bitume non modifié présente un inconvénient majeur : il dure moins longtemps que l’asphalte ordi¬naire. Il y a plus d’une raison à cela. Sa structure ouverte permet plus de contact entre le bitume, l’oxygène et l’eau, ce qui entraîne un vieillissement plus rapide. De plus, le revêtement présente une résis¬tance moindre aux forces qui s’exercent sur la route, ce qui entraîne une perte d’agrégats de la surface. Ses pores peuvent aussi être bouchés par de la terre, réduisant ainsi son efficacité. Le revêtement peut également souffrir du gel si l’eau ne peut pas s’écouler et si elle gèle. Le bitume modifié au SBS réduit la vitesse avec laquelle ces processus de dégradation se produisent.
Les toitures ont été aussi améliorées grâce à un meilleur bitume. Le feutre pour toiture, autrefois considéré comme un moyen rapide et peuonéreux pour recouvrir les bâtiments industriels, était habituellement fabriqué à partir d’une couche de laine de verre ou d’un film de polyester placé entre deux couches d’un matériau à base de bitume, d’environ 1,5 mm d’épaisseur, contenant de la poudre de calcaire ou du talc. Suite au choc pétrolier de 1973, alors que les combustibles de chauffage peu onéreux n’étaient plus disponibles, l’isolation des toitures constitua un moyen d’économiser de l’énergie. Cela élevait la température du feutre pour toiture car la chaleur solaire emmagasinée ne pouvait pas se propager dans le bâtiment : le feutre devenait alors plus chaud dans la journée et plus froid la nuit. Cette fluctuation de température le rendait plus susceptible de développer des fissures et donc de donner lieu à des fuites.
La solution était de modifier le bitume en ajoutant du polymère SBS. On en incorporait jusqu’à 12 % au bitume, en les mélangeant à 180 °C. Le bitume ainsi obtenu est très élastique (on peut l’étirer jusqu’à 15 fois sa longueur avant qu’il ne casse) et on peut même le teinter. En conséquence, ce nouveau type de feutre de toiture fut dès lors utilisé pour les immeubles de bureaux, les édifices publics, et même les églises.
L’orimulsion
Comme chacun le sait, l’huile et l’eau ne sont pas miscibles, et il en va de même pour l’eau et le bitume. Mais dans une émulsion, l’eau et l’huile peuvent sembler miscibles si les gouttes d’huile sont suffisamment petites. Nous constatons cela dans la mayonnaise et dans le lait homogénéisé. Cela est encore vrai pour le bitume : on obtient dans ce cas un fluide appelé orimulsion. Ce mot provient du delta de l’Orinoco, au Venezuela, où on estime que se trouvent 1 200 milliards de barils de bitume dans ce que l’on considère comme le plus grand réservoir inexploité d’énergie fossile de la planète.
Une orimulsion est une émulsion de bitume et d’eau ; elle est maintenue dans cet état par l’addition de petites quantités d’un surfactant, le nonylphénol éthoxylate. Elle a été développée dans les années 1980, à la suite des travaux de recherche conjoints de Petroleos de Venezuela, l’unique compagnie pétrolière étatique du Venezuela et du géant pétrolier BP International. Le surfactant maintient le bitume en suspension dans l’eau de la même manière que, dans les détergents, les surfactants maintiennent la graisse en suspension dans l’eau, en recouvrant chaque goutte.
La taille des gouttes de bitume est d’environ 20 microns (20 millionièmes de mètre) et elles constituent 70 % du volume total. Le fluide résultant a la viscosité d’un pétrole brut de grade moyen et, comme le pétrole, il peut être pompé à travers des pipelines ou transporté jusqu’au lieu de son utilisation. Il brûle plus efficacement que les mazouts usuels en libérant 99,9 % de l’énergie qu’il contient ; de plus, à cause de sa teneur en eau, il brûle à plus basse température, ce qui permet de réduire l’émission de certains polluants comme les oxydes d’azote et les particules en suspension dans l’air.
Personne ne considère l’orimulsion comme une ressource utile. Effectivement, à chaque fois qu’on envisage de l’utiliser comme combustible, on assiste à une levée de bouclier des écologistes qui le surnomment « le combustible de l’enfer » en raison de sa teneur élevée en soufre et de la présence de métaux. (Et en ce sens, ils ont raison car il contient presque 3 % de soufre, 100 p.p.m. de nickel et 400 p.p.m. de vanadium.) L’orimulsion a été utilisée comme combustible dans les centrales électriques et les cimenteries et a été fournie aux Etats-Unis, à la Grande-Bretagne, à l’Allemagne, à l’Italie, au Danemark, au Japon et au Canada où elle s’est quelquefois heurtée à une opposition farouche, souvent suffisante pour provoquer son interdiction. Alors que la plupart de ces pays l’utilisent beaucoup moins, elle est encore livrée à la Chine, la Corée, les Philippines et à divers pays d’Amérique du Sud. En 2001, le Venezuela a exporté plus de 6 millions de tonnes d’orimulsion.