Des matière grasse a profusion
L’un des traits les plus caractéristiques de l’alimentation contemporaine est sa richesse en lipides (30 à 40 % de l’énergie), ce qui est d’autant plus surprenant que nous sommes devenus sédentaires, et que seul l’exercice physique permet l’utilisation intense des acides gras. L’homme est certes omnivore, mais à aucun moment de son histoire ses apports nutritionnels n’ont été aussi riches en lipides. Même les espèces carnivores ont des régimes plus faibles en matières grasses. Quarante pour cent d’énergie lipidique ne correspondent ni aux besoins physiologiques de nos cellules, ni à la meilleure façon d’apporter la diversité des nutriments et des micronutriments avec un apport calorique optimal. Concernant la vitamine E liposoluble, la consommation de deux à trois cuillerées à soupe d’une huile végétale peut suffire à satisfaire son besoin, on est loin des cent grammes de matières grasses ingérées quotidiennement par beaucoup d’hommes sur terre. Évidemment en cas de régime, il faut veiller à consommer ce minimum d’huile en s’assurant de sa bonne teneur en vitamine E.
La profusion des lipides alimentaires a été possible grâce au développement des cultures oléagineuses et également des productions animales. La production d’huiles d’arachide, de colza, de soja, de tournesol, de maïs n’a pris une extension considérable qu’après la Seconde Guerre mondiale. La filière oléagineuse est d’une efficacité remarquable pour fournir des calories à prix de revient plus que compétitif. Un litre d’huile fournit environ 7 200 kcal pour un coût d’environ 1,5 euro. Avec le même prix, on peut espérer acquérir un kilo de sucre, soit 4 000 kcal, 0,5 kilo de pain, soit 1 200 kcal, 100 g de viande, soit environ 200 kcal, ou un kilo de légumes, soit environ 250 kcal. L’augmentation de la proportion des lipides et de sucre dans l’alimentation humaine a été favorisée par leur compétitivité économique. Cela a contribué aussi à dévaloriser le coût de l’alimentation mais avec des conséquences que l’homme paie fort cher en termes de santé. À moins de taxer (raisonnablement) ces ingrédients énergétiques, il sera difficile de réduire leur utilisation et de résoudre ainsi une partie de nos problèmes nutritionnels.
Les matières grasses végétales ne sont que très partiellement utilisées sous forme d’huile de table, elles sont incorporées dans un très grand nombre de préparations alimentaires directement ou après leur transformation en margarine. En plus de cette disponibilité de corps gras végétaux, l’augmentation de la consommation de viande et surtout de produits laitiers a permis à l’alimentation de type occidental d’atteindre des sommets d’imprégnation lipidique. Malgré des efforts d’allégement, de traque de matières grasses, en particulier aux États-Unis, l’apport lipidique dans les pays occidentaux demeure relativement élevé puisque l’habitude de rajouter des matières grasses dans les aliments est devenue banale, au même titre que divers sucres ou ingrédients purifiés.
La richesse en matières grasses n’est pas pour déplaire à l’homme puisqu’elle joue un rôle important dans le développement des qualités organoleptiques des aliments, surtout si ces derniers ont peu de qualités à faire valoir. Cette profusion de matières grasses est devenue tellement banale dans les produits transformés, dans les sauces d’accompagnement, dans les plats cuisinés, dans les desserts, dans les glaces, dans les produits laitiers, que les viandes sont presque devenues des sources secondaires de lipides. Cette situation semble maintenant tellement normale que beaucoup mettent en doute l’opportunité et la faisabilité des recommandations diététiques visant à limiter l’apport de lipides au-dessous de la barre des 30 %. Dans le même sens, les gastronomes médiatiques ne manquent jamais l’occasion de faire l’éloge du gras et de persuader le public qu’il est difficile de faire du « bon » sans une utilisation généreuse des matières grasses.
Cet avènement du gras et en parallèle d’une industrie florissante de glucides purifiés est largement responsable de l’épidémie mondiale de l’obésité et du diabète, ce qui est un lourd bilan à mettre au passif de « la transition nutritionnelle » du XXesiècle. Pourtant, une bonne disponibilité en matières grasses végétales aurait pu être entièrement bénéfique pour la physiologie humaine, pour le développement du cerveau, pour la prévention des maladies cardio-vasculaires ou d’autres pathologies. Il est bien dommage que l’impact des huiles végétales de qualité soit atténué par la multiplication des sources de matières grasses, ce qui génère des apports d’acides gras déséquilibrés et superflus.
Le difficille équilibre des acides gras alimentaires
Les huiles et les autres sources de matières grasses présentent une grande diversité d’acides gras qui sont classés en fonction de la longueur de leur chaîne et du nombre de leurs doubles liaisons (on les qualifie ainsi d’acides gras saturés, mono-insaturés ou poly- insaturés). Le corps humain peut brûler, synthétiser de nombreux acides gras ou modifier leur structure. En l’absence d’apport lipidique notable, l’organisme pourrait synthétiser la majorité des acides gras, à l’exception de deux acides gras insaturés, l’acide linoléique (de la série n-6 ou oméga-6) et l’acide alpha-linolénique (de la série n-3 ou oméga-3)- De nombreux travaux ont mis en évidence que la nature des acides gras ingérés avait une influence sur le développement des maladies cardio-vasculaires, des lithiases biliaires, des cancers, voire des maladies inflammatoires. Les nutritionnistes ont ainsi développé le concept de l’équilibre en acides gras, défini comme celui qui permet un fonctionnement optimal de l’organisme.
Les lipides jouent en effet un rôle essentiel dans la formation des membranes cellulaires, les acides gras sont aussi des précurseurs pour la synthèse des médiateurs tissulaires ou exercent des impacts directs sur le fonctionnement cellulaire via des récepteurs particuliers. On comprend toute l’importance de disposer d’un apport équilibré en acides gras pour assurer un renouvellement normal des membranes cellulaires, faciliter les échanges et la communication des cellules avec le milieu environnant. Un apport équilibré d’acides gras est peu compatible avec une situation de surconsommation ; en effet, plus on en consomme, plus il est difficile d’atteindre l’équilibre physiologique recherché à la suite de problèmes complexes de compétition métabolique.
La vitesse de renouvellement des membranes cellulaires est très variable et souvent très lente. On peut donc se poser la question de l’importance d’une nourriture riche en acides gras poly- insaturés. En fait, il existe une seule situation où l’apport des acides gras essentiels est particulièrement critique, il s’agit de la période du développement cérébral chez le fœtus et le nouveau- né. Le cerveau est en effet constitué d’acides gras à très longue chaîne carbonée, analogues à ceux que l’on rencontre dans la chair de certains poissons (en abrégé DHA et EPA). Au cours de cette période, il est particulièrement important de disposer des deux types d’acides gras essentiels en évitant les excès d’oméga-6 par rapport aux oméga-3. Si l’alimentation est de bonne qualité, le lait maternel contient une proportion équilibrée de ces acides gras à très longue chaîne directement utilisables par le cerveau, d’où l’intérêt de leur apport dans des laits reconstitués pour les nourrissons.
Même si l’organisme adulte n’a pas une exigence très élevée en acides gras essentiels pour assurer diverses synthèses, puisqu’il n’est pas en croissance active, on recommande de consommer 1 g par jour d’acide alpha-linolénique en privilégiant l’utilisation d’huile de colza (si possible vierge) et de bien d’autres aliments (légumes verts, noix, poissons gras tels les maquereaux ou les sardines). Il faut veiller aussi à maintenir un apport équilibré entre les oméga-6 et les oméga-3 pour assurer une production optimale dans l’organisme de médiateurs cellulaires tels que les prostaglan- dines. Par exemple, les médiateurs lipidiques issus du métabolisme des oméga-3 peuvent réduire la concentration des triglycérides plasmatiques, atténuer très fortement les conséquences de l’infarctus du myocarde ou modérer le développement de certains processus inflammatoires. Parce que ce type d’acides gras est susceptible d’exercer des effets bénéfiques les plus divers (pas toujours avérés), de la protection du cancer à la lutte contre la dépression, l’allégation « riche en oméga-3 » est devenue ainsi un argument facile de vente pour la promotion de toutes sortes d’aliments alors que l’attention devrait surtout porter sur la qualité des matières grasses courantes et leur équilibre en acides gras essentiels. Surtout pour une bonne gestion de la santé publique, il serait bien plus efficace d’organiser la production oléagineuse pour que finalement les lipides délivrés par la chaîne alimentaire aient une composition souhaitable en acides gras.
Lipides et cholestérol, des relations a clarifier
L’équilibre diététique en acides gras a aussi été très étudié dans le but de connaître leurs effets sur la concentration des lipides plasmatiques et sur celui du cholestérol en particulier. Face à la prévalence extraordinaire des affections cardio-vascu- laires, avant que la médecine ne sache mieux prévenir et traiter ce type de pathologie, de nombreux chercheurs se sont intéressés à l’impact de la nature des acides gras sur la lipémie. On découvrit ainsi le rôle athérogène des acides gras saturés, l’excellente tolérance de l’organisme vis-à-vis de l’acide oléique et les effets hypocholestérolémiants de l’acide linoléique très abondant dans beaucoup d’huiles (tournesol, maïs, pépins de raisin).
La focalisation de la prévention cardio-vasculaire sur le cholestérol alimentaire et les lipides de la ration en relation avec la concentration plasmatique des lipides a longtemps été excessive ; en particulier concernant l’influence du cholestérol alimentaire sur la cholestérolémie. Que de phobies du cholestérol ! On a même vu des produits végétaux, naturellement dépourvus de ce composé, affichant une garantie d’absence de cholestérol. En fait, les apports d’acides gras saturés mais aussi les excès d’énergie sont déterminants pour développer une hypercholestérolémie, et la consommation de produits sans cholestérol ne suffit pas à prévenir tout risque.
L’influence de l’apport alimentaire de cholestérol est cependant bien réelle, parfois marginale chez de nombreux sujets qualifiés de mauvais « répondeurs», alors que d’autres personnes à l’inverse régulent mal la synthèse endogène de leur cholestérol et sont beaucoup plus sensibles aux apports nutritionnels. Cependant, les risques d’hypercholestérolémie sont fortement atténués par la consommation de produits végétaux riches en fibres. N’étant pas dégradé dans l’organisme, le cholestérol est principalement éliminé tel quel par la voie digestive ou après transformation en sels biliaires. Or les fibres de nombreux produits végétaux, par exemple les pectines des fruits mais aussi les hémicelluloses des céréales, ont la propriété d’inhiber l’absorption du cholestérol et de freiner la réabsorption intestinale des sels biliaires. Si le cholestérol et ses métabolites sont facilement éliminés par la voie digestive, les risques de développer une hypercholestérolémie sont fortement réduits. Jamais de boudin sans pommes, de saucisses sans haricots ou lentilles, de viandes sans légumes, de produits laitiers sans fruits ! (et pas seulement avec les arômes !).
En maîtrisant la qualité des apports lipidiques ainsi que celle des produits végétaux riches en fibres, il est possible de diminuer efficacement les problèmes de cholestérolémie qui occupent tant nos concitoyens et occasionnent tant de souffrances et de dépenses.
Des apports lipidiques difficiles a maitriser
Grâce au travail acharné des nutritionnistes, on dispose à l’heure actuelle de recommandations relativement sûres concernant les apports en acides gras, mais celles-ci sont loin detre appliquées au niveau de l’offre alimentaire, et on ne voit pas comment le consommateur pourrait corriger de lui-même les déséquilibres induits par l’offre qui lui est proposée. À l’évidence, il est nécessaire de mieux gérer ce domaine de l’alimentation, comme bien d’autres, par une politique alimentaire tournée vers des objectifs nutritionnels de santé publique.
Sur le plan diététique, on connaît maintenant les limites maximales dans la proportion d’acides gras saturés qu’il convient d’essayer de ne pas dépasser ; ces derniers devraient représenter moins de 25 % des acides gras totaux, or la plupart des produits animaux en contiennent aux environs de 40 % ou plus. La disponibilité en huiles végétales particulièrement riches en acides gras insaturés est donc précieuse pour équilibrer les besoins nutritionnels de l’homme. La nature des huiles végétales devrait aussi faciliter un bon équilibre entre les oméga-6 et les oméga-3. On sait que le rapport de ces acides gras gagnerait à être inférieur à 5 alors qu’il est de l’ordre de 10 ou 20 dans les pratiques alimentaires courantes. Pour que les oméga-3 ne soient pas dilués dans un pool excessif d’acides gras, l’apport de lipides devrait être ainsi très modéré. L’offre en matières grasses devrait être organisée pour atteindre ces objectifs d’équilibre en acides gras. En plus du colza, il conviendrait de produire de nouvelles huiles naturellement riches en oméga-3 (lin, cameline, chanvre). De plus, beaucoup de légumes foliaires (épinard, céleri, chou, salade verte et pas seulement l’excellent pourpier) sont des sources intéressantes de ces acides gras essentiels.
Il est clair que la chaîne alimentaire n’a pas su mettre à profit les potentialités du monde végétal pour proposer à l’homme une offre lipidique équilibrante. Les huiles végétales sont également des sources remarquables d’antioxydants liposolubles tels que la vitamine E ; elles pourraient apporter aussi bien d’autres micronutriments intéressants qui sont perdus lorsqu’elles sont très fortement raffinées.
Il est difficile d’évaluer à quel point la disponibilité en matières grasses de qualité, celles de l’huile d’olive, celles des huiles riches en acide alpha-linolénique (colza, soja, noix), celles des huiles de mélange équilibrées en acides gras, celles des graisses de poisson très riches en acides gras à longue chaîne, exercerait des effets protecteurs sur l’homme et participerait à l’amélioration de son état de santé et de sa longévité. Inversement, on est loin d’avoir mesuré les conséquences négatives du mauvais statut nutritionnel en acides gras induit par la présence de graisses cachées de mauvaise qualité dans de nombreux aliments (viennoiseries, biscuits, glaces, plats préparés, charcuteries, produits laitiers, certaines margarines ou divers produits animaux). Il faut souligner aussi à quel point la surconsommation lipidique gène paradoxalement l’acquisition d’un bon statut en acides gras.
Pour conclure sur la problématique des lipides, il est vraiment regrettable que les bienfaits extraordinaires qui pouvaient résulter du développement des huiles végétales se soient transformés en une inondation lipidique dont les hommes et les femmes les plus exposés n’ont pas fini de pâtir.
Ne pas s’encombrer de calories lipidiques superflues !
Aujourd’hui, mais il est un peu tard, les conséquences d’une surconsommation de lipides pour le développement de l’obésité et du diabète, dans de nombreux pays du monde, apparaissent très clairement. Il existe encore un débat misérable du style « ce n’est pas moi, c’est l’autre » de la part des lobbies des matières grasses ou des glucides pour faire porter la responsabilité de cette épidémie aux voisins. En cas de surconsommation de lipides, les glucides jouent un rôle physiologique certain pour favoriser le stockage des graisses alimentaires, et leur disponibilité, même modérée, suffit à assurer cette fonction. De même, en cas d’ingestion trop élevée de glucides, il existe le plus souvent assez de lipides alimentaires pour entretenir une surcharge pondérale.
Dans une société fortement sédentaire, la consommation d’aliments de très forte densité calorique (lipides ou glucides purifiés) est une des causes principales de la surcharge pondérale, lorsque le contrôle de la satiété ne joue plus son rôle, que ce soit par insuffisance d’encombrement digestif ou pour d’autres causes psychophysiologiques. Le mauvais contrôle du poids corporel n’est pas seulement une affaire de déséquilibre énergétique, il est lié rapidement à des déviations métaboliques et à un mauvais contrôle de l’appétit.
L’origine du développement de la surcharge pondérale commence avec la capacité normale, physiologique des organismes à mettre en réserve une partie des lipides de la ration alimentaire pour disposer d’un stockage énergétique intéressant en cas de pénurie ou d’agression physiologique. Ce stockage des lipides fonctionne parfaitement même chez les individus maigres dont le tissu adipeux existant est suffisant pour résorber un éventuel excès de lipides ingérés. Néanmoins, chez le sujet qui a un poids stable, les graisses mises provisoirement en réserve seront restituées dans les heures, la journée ou la semaine qui suivent leur stockage. À la différence de cette régulation physiologique, heureusement effective pour une majorité d’individus, une dérive s’installe chez certains sujets du fait que les lipides stockés ne sont jamais entièrement mobilisés ultérieurement. Ainsi, progressivement les territoires adipeux se développent à la suite de la multiplication du nombre de cellules adipeuses (hyperplasie) et de leur hypertrophie pour assurer un stockage toujours plus grand. Un état de surcharge énergétique dès le plus jeune âge fait généralement le lit du développement de l’obésité chez l’adulte. On explique ce phénomène par un impact direct de certains acides gras (surtout des oméga-6) sur la formation des cellules adipeuses et aussi par une reconfiguration du système hormonal favorable au stockage des graisses. Combien de temps faudra-t-il attendre pour que nous prenions pleinement conscience des risques liés à la « malbouffe » de nos enfants gavés de produits sucrés de tout genre et du fait que le « péril gros » commence avec la télévision ? Or, une fois quelles ont proliféré dans l’organisme, les cellules adipeuses ne meurent jamais.
Le risque de surcharge pondérale ou d’obésité est couramment apprécié par un indice de masse corporelle (poids/taille au carré). Avec une prévalence proche de 30%, les résultats des enquêtes aux États-Unis sont éloquents en ce qui concerne les dégâts opérés par l’agro-industrie sur le phénotype humain. De plus, il est inquiétant d’observer une augmentation très forte de l’obésité dans tous les pays où la « transition nutritionnelle » sévit.
La lutte contre la surcharge pondérale peut conduire à des excès si on ne tient pas compte de divers critères morphologiques. L’activité métabolique des divers tissus adipeux a des significations physiologiques différentes. L’accumulation de graisses dans la partie inférieure du corps, caractéristique de la morphologie féminine, est beaucoup moins dangereuse dans le cadre de la prévention des maladies cardio-vasculaires que le stockage androide dans la région de l’abdomen. Des efforts excessifs de la part du coips féminin pour réduire au maximum le stockage de type gynoïde ont une relation plus que lointaine avec la gestion de la santé. Par contre, les conséquences pathologiques d’une surcharge pondérale avec une augmentation du tour de taille telle qu’on la rencontre chez tant d’hommes et de femmes ne sont plus à démontrer: élévation de la prévalence du diabète, de l’hypertension, de diverses dislipémies ou hypercholestérolémies et font l’objet d’un syndrome qualifié de plurimétabolique fort handicapant sur le plan de l’état de santé et de plus en plus répandu.
Le coût social de la surcharge pondérale est évidemment énorme et devrait être l’occasion d’une remise en question de notre système dominant de production alimentaire.
Une surcharge pondérale pour utiliser le gras !
L’origine de l’obésité est certainement multifactorielle. Son développement suppose en fait que les nombreux mécanismes de stabilisation du poids corporel aient perdu leur efficacité. Il existe sans doute des facteurs multigéniques de prédisposition qu’un environnement alimentaire et un degré de sédentarité entièrement nouveaux dans l’histoire de l’humanité ont permis de révéler. Les personnes en surcharge pondérale qui mangent sans retenue souffrent sans doute à la fois d’une prédisposition génétique à l’obésité et d’une mauvaise perception de leur prise alimentaire.
Diverses causes psychologiques (un besoin de combler un vide par la nourriture) ou parfois les stress de la vie peuvent aussi être responsables de l’hyperphagie. Quelle que soit l’origine des troubles du comportement alimentaire, des apports déséquilibrés en énergie (principalement glucides et lipides purifiés chez l’adulte, ainsi que des excès de protéines chez l’enfant) sont propices au développement de l’obésité. Souvent les personnes atteintes ont une prédilection pour des aliments riches en énergie et surtout en lipides, sans doute à cause des potentialités d’accumulation de leur tissu adipeux. Théoriquement, l’accumulation de graisses devrait progressivement induire des stimuli physiologiques conduisant à la réduction de l’appétit et à une certaine normalisation de l’état d’engraissement. À l’évidence, cette régulation s’effectue très mal chez l’individu en surpoids. Il semble que les obèses soient peu sensibles à la leptine, une hormone sécrétée par le tissu adipeux et qui agit directement sur les centres de la satiété de l’hypothalamus pour freiner l’appétit. Il est probable qu’il existe chez beaucoup d’obèses un polymorphisme génétique de prédisposition aux troubles du comportement alimentaire, impliquant la myriade d’hormones et de neurotransmetteurs qui contrôlent la prise alimentaire.
L’individu, prédisposé à devenir obèse, a sans doute aussi une faible capacité d’oxydation des acides gras tant que sa masse adipeuse ne s’est pas développée. Avec des aliments très digestibles et très énergétiques et un tissu adipeux très développé, aucun obstacle métabolique n’existe chez l’obèse sur la voie grande ouverte du stockage lipidique. Pire, le tissu adipeux se met à libérer des substances inflammatoires qui participent indirectement au cercle vicieux de la résistance à l’insuline.
Néanmoins, lorsque la masse du tissu adipeux s’accroît suffisamment, on assiste à un ajustement entre le niveau d’apport de lipides alimentaires et l’intensité de leur oxydation en C02. À la
Comment éviter cet engrenage métabolique, cette drôle d’adaptation ? Certainement par l’exercice physique, mais aussi par la modification de l’alimentation dans le sens de l’utilisation de produits le plus naturels et le plus complexes possible ; il est à l’évidence risqué d’incorporer des matières grasses partout !, mais l’agroalimentaire ne doit pas seule être vigilante, les consommateurs ont aussi leur devenir entre leurs mains.
Il est particulièrement important de prévenir l’obésité puisqu’une fois installée la quantité de calories accumulées par les graisses corporelles est tellement élevée qu’il faut plusieurs mois, voire plus d’une année pour retrouver un poids normal, tout au moins avec des régimes hypocaloriques supportables.
S’il est important de comprendre les mécanismes physiologiques impliqués dans le développement de l’obésité, la prévention de cette pathologie ne sera jamais seulement de nature médicale : il faut avant tout créer des conditions nutritionnelles et des modes de vie qui facilitent le maintien du poids corporel et cela dès l’enfance. Tout se passe comme si un ensemble de conditions environnementales défavorables – sédentarité, très grande disponibilité de produits énergétiques, perte de repères de consommation et de contrôle individuel et social – parvenaient à dérégler les systèmes de contrôles physiologiques de la prise d’énergie. On pourrait penser que seuls les sujets qui ont une prédisposition génétique, qui sont fortement dotés de gènes d’épargne, sont susceptibles de devenir obèses dans un environnement favorable à cette pathologie. Mais, selon une hypothèse plus pessimiste, le phénotype humain évoluerait à long terme vers un état de surcharge pondérale généralisé, dans toutes les parties du monde où régnent une abondance énergétique alimentaire et une sédentarité élevée. Il s’agirait en quelque sorte de phénomènes adaptatifs banals faisant appel à des transformations épigénétiques durables. Autre phénomène inquiétant, l’obésité se développe maintenant aussi dans de nombreux pays pauvres comme conséquence de « la transition nutritionnelle » à laquelle ils sont confrontés à la suite de l’expansionnisme du système agroalimentaire imposé par les pays occidentaux.
Une réaction salutaire
S’il existe un consensus en matière de prise de conscience nutritionnelle, c’est bien la crainte que l’offre agroalimentaire actuelle ne génère de par le monde une épidémie mondiale toujours plus importante de l’obésité. Cette épidémie internationale touche plus de 300 millions de personnes dans le monde dont 5,3 millions en France où elle progresse de 6 % par an. Il est particulièrement triste d’observer que l’obésité touche plus maintenant les classes défavorisées que les classes aisées plus au fait de l’importance de la prévention. De plus, le développement précoce de l’obésité de l’enfant est assez généralisé et fort inquiétant. Dans ce domaine, la peur sera peut-être le début de la sagesse, et de nombreuses entreprises s’interrogent à l’heure actuelle sur leurs responsabilités dans cette évolution.
Ce sont bien sûr les conditions environnementales et les modes alimentaires qu’il faut changer, mais il ne suffira pas de traquer les lipides ou de développer les produits allégés pour sortir de ce piège. La prise en charge médicale du traitement de l’obésité est, de l’aveu même des médecins, majoritairement vouée à l’échec. Malgré la prescription de régimes hypocaloriques, l’utilisation de diètes hyperprotéinées, les patients qui sont finalement maintenus dans leur environnement et leurs habitudes alimentaires n’ont pas de solutions alternatives efficaces. Ils sont en particulier dans l’incapacité de supporter des régimes suffisamment restrictifs. En fait, le corps médical n’est pas en mesure de remettre en cause l’offre alimentaire ambiante des supermarchés que subissent les patients obèses et il prend peu d’initiatives pour faire évoluer cette situation. La médecine curative actuelle montre ses limites dans ce domaine de même que les politiques nationales de santé publique trop éloignées de la problématique alimentaire.
La prévention de la surcharge pondérale n’est pas seulement une affaire de bilan calorique mais est facilitée par certains modes alimentaires. Le recours à une alimentation riche en produits végétaux peu transformés (pains bis ou complets, fruits et légumes, légumes secs) complétée par des produits animaux peu gras est de beaucoup la plus adaptée à la maîtrise des apports caloriques par l’effet de satiété de ces régimes et par leur richesse en micronutriments. À la suite d’un conditionnement aux produits transformés, de la perte des repères culturels, l’adoption de régimes fort naturels est ressentie comme une contrainte, une source de privations par le patient obèse. Les médecins qui n’adoptent pas spécialement des régimes alimentaires protecteurs pour eux-mêmes ont du mal à les prescrire et à être convaincus de leur utilité. Alors que le conseil principal devrait être une incitation très forte à consommer des fruits et légumes et à délaisser une très grande diversité de produits transformés (boissons sucrées, jus de fruits, biscuits), les recommandations habituelles piétinent autour de la densité calorique des produits transformés, ce qui ne permet pas d’opérer une rupture dans les comportements nutritionnels. L’argument de la recherche du plaisir dans l’alimentation, en soi fort légitime, est souvent invoqué pour s’enfermer dans les mêmes habitudes qui se révèlent négatives sur le plan corporel. On ne répétera jamais assez qu’aucun mode alimentaire n’a le monopole du plaisir, que l’adoption de régimes sûrs est porteuse de bien-être et correspond en plus à une gestion durable du plaisir.
Pour éviter que l’épidémie d’obésité ne progresse, il faudrait que les acteurs de la chaîne alimentaire s’organisent pour délivrer au consommateur une alimentation plus favorable à son épanouissement, par la distribution d’aliments de qualité, la mise en place de services utiles et une offre de prix adaptée à l’ensemble de la population. Les géants de l’agroalimentaire, conscients du malaise ressenti par la population et de la mauvaise image véhiculée par l’état corporel d’une frange importante de leurs consommateurs, s’impliquent maintenant dans le débat sociétal de la prévention, à travers l’organisation de congrès scientifiques, ou par le biais d’actions sur le terrain, sans réellement changer la nature de leurs productions. Alors qu’ils ont une responsabilité directe dans le développement des maladies dégénératives, ils mettent en avant la nécessité de les combattre pour lancer de nouveaux produits de densité nutritionnelle pratiquement inchangée. Leur responsabilité à venir n’apparaîtra que plus grande.
Se dépenser pour bien se nourrir
Même en pratiquant un peu d’exercice physique, la majorité de la population a un mode de vie trop sédentaire qui impose une réduction des apports caloriques. Cependant, pour bien fonctionner, notre organisme a toujours besoin d’un apport optimal de minéraux, de vitamines, de micronutriments divers. Ces éléments ainsi que d’autres nutriments essentiels sont indispensables pour assurer une bonne longévité et pour réduire l’incidence de nombreuses pathologies. Finalement, il existe des relations étroites entre un bon niveau d’exercice physique et un bon état nutri- tionnel puisque l’exercice physique conditionne le niveau des dépenses énergétiques qui elles-mêmes vont permettre une meilleure prise alimentaire. La problématique de la nutrition du sédentaire est de parvenir à couvrir suffisamment les besoins nutritionnels avec une consommation alimentaire relativement réduite. On comprend, dans ces conditions, que l’alimentation doit être de meilleure qualité, avoir une plus forte densité nutri- tionnelle, c’est-à-dire apporter plus d’éléments indispensables pour un apport calorique réduit. Paradoxalement, c’est bien l’inverse qui se produit, et, pour conserver leur ligne, nombreux sont les consommateurs qui délaissent les aliments réputés lourds tels que les produits céréaliers, le pain complet, les légumes secs, les pommes de terre, pour s’adonner à la consommation de produits emballés souvent relativement gras et sucrés, et donc de faible densité nutritionnelle.
L’exercice physique permet d’améliorer le statut nutritionnel en stimulant l’ingestion alimentaire, en favorisant l’utilisation des acides gras et du glucose, en assurant indirectement un apport accru de micronutriments. Il a, de plus, des effets extrêmement bénéfiques pour stimuler de nombreuses fonctions de l’organisme (musculaire, circulatoire, rénale, pulmonaire). On peut considérer de ce point de vue que la santé repose sur le tripode constitué par le patrimoine génétique, la nutrition préventive et l’exercice physique.
Les interactions positives entre nutrition et exercice physique sont particulièrement fortes au niveau du métabolisme des muscles et des tissus adipeux. D’une part, le développement musculaire est dépendant de l’exercice physique, d’autre part, il est tributaire d’un bon équilibre nutritionnel pour la fourniture de l’ensemble des substrats : glucose, acides gras, acides aminés. Une large partie des nutriments est donc consacrée au fonctionnement musculaire. En période de croissance, comme à l’état adulte, nous avons un besoin spécifique en acides aminés pour l’élaboration et le renouvellement des protéines musculaires. La fonte musculaire peut résulter d’une insuffisance d’exercice physique, de carences en protéines et en énergie, et ces deux causes sont souvent réunies chez la personne très âgée.
Parce qu’ils ont des caractéristiques et des localisations bien distinctes, on pourrait penser que le tissu musculaire et le tissu adipeux ont un fonctionnement indépendant. En fait, ces deux tissus interagissent fortement. En consommant avidement le glucose et les acides gras (si l’exercice physique est durable et intense), les muscles privent le tissu adipeux de substrats indispensables à la lipogenèse. De plus, de manière remarquable, l’entraînement physique va augmenter très fortement la capacité de certains tissus adipeux à délivrer des acides gras pour l’effort musculaire. L’exercice physique augmente favorablement la sensibilité des tissus à l’insuline qui est amoindrie lorsque les acides gras trouvent difficilement une utilisation énergétique. Par ailleurs, il est clair que l’entretien d’une masse musculaire suffisante permet de disposer d’une réserve d’acides aminés extrêmement précieuse en cas de jeûne, de stress ou de pathologie infectieuse. Cependant, dans les jeûnes de longue durée, la survie n’est possible que par la mobilisation des graisses. En effet, les réserves protéiques seraient vite épuisées si les acides aminés devaient assurer la totalité des dépenses énergétiques.
Qu’il soit volontaire ou induit par la vie quotidienne, un niveau d’exercice physique suffisant est indispensable au maintien de la santé et au bon statut nutritionnel. La gestion d’exercices trop intenses ou de travaux manuels trop rudes pose de nombreux problèmes nutritionnels et physiologiques, en particulier pour lutter contre le vieillissement accéléré et pour fournir les micronutriments protecteurs. Même si les besoins énergétiques diffèrent entre les individus sédentaires et les individus très actifs, la même qualité alimentaire s’impose à tous. Il est inutile de concevoir des ajustements très importants, on peut considérer que nous devons tous être nourriscomme des sportifs pour être en forme et donc disposer d’une nourriture bien équilibrée en énergie et riche en micronutriments. Néanmoins, la proportion de féculents relativement énergétiques et de fruits et légumes très peu caloriques de même que les apports lipidiques doivent être adaptés à l’importance des dépenses physiques. Paradoxalement, l’homme du xxie siècle relativement peu sollicité sur le plan des dépenses physiques devra bâtir une large partie de son équilibre alimentaire sur des aliments traditionnels tels que les fruits et légumes, ce que nos futuristes, amateurs de pilules, n’avaient guère prévu.
Vidéo : Des matière grasse a profusion
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