Des apports en protéines mal maitrisés
À la différence de nombreux produits végétaux, les produits animaux et en particulier les viandes sont perçus comme des aliments de haute valeur nutritionnelle par une large majorité de populations. Cela montre la place importante qu’ont occupée les produits animaux dans l’histoire de l’alimentation humaine. Pour son développement, l’homme a bénéficié d’un statut d’omnivore, et la consommation de viandes a joué un rôle capital dans la survie de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs et, par la suite, de bien des populations démunies de réserves de céréales ou d’autres produits végétaux.
Dans un premier temps, le développement de l’agriculture a permis à l’homme de devenir moins dépendant de ses activités de chasse et de pêche en disposant de ressources végétales mieux adaptées à la satisfaction de ses besoins nutritionnels. Dans beaucoup de pays, la population humaine s’est multipliée, l’agriculture s’est développée, et les ressources en viandes, en provenance de la chasse ou de la pêche et de l’élevage, sont devenues insuffisantes par rapport aux possibilités de consommation. Ainsi, au début du XXesiècle, les populations rurales et les classes ouvrières en France consommaient de la viande une ou deux fois par semaine, voire moins fréquemment. Évidemment, les classes plus aisées avaient un meilleur accès aux produits animaux, du moins lorsqu’ils étaient disponibles. Avant la Révolution française, la noblesse au sommet de la société abusait de la plus grande panoplie possible de gibiers, de viandes d’élevage, jusqu’à en pâtir et souffrir de goutte ou d’atteintes cardio-vasculaires. Le niveau de consommation des produits animaux a donc longtemps constitué un signe de différenciation sociale, des bourgeois par rapport aux pauvres, des cadres par rapport aux ouvriers, des pays riches par rapport aux pays en voie de développement. Après la Seconde Guerre mondiale, les classes laborieuses ont voulu rejoindre les cadres et les classes aisées en adoptant leur mode alimentaire.
La productivité de l’agriculture et de l’élevage n’ayant jamais cessé d’augmenter pendant près de cinquante ans, cette augmentation de la consommation de produits animaux était particulièrement bienvenue pour les filières de production et de transformation. L’abondance de l’offre, la baisse des prix permirent ainsi aux Français, vers les années 1990, de figurer parmi les plus grands consommateurs de viandes avec une consommation avoi- sinant les 200 g par jour en moyenne.
Pour une grande majorité de peuples souffrant de pénurie alimentaire, même au début du XXe siècle, souvent épuisés par le travail manuel harassant de la révolution industrielle, le fait de disposer d’un soûl de viande pouvait paraître paradisiaque. Ainsi, la viande, si possible rouge, semblait un garant de force physique, de virilité. Cette croyance a longtemps été répandue chez nos premiers sportifs, chez les premiers forçats du Tour de France, chez les rugbymen du Sud-Ouest qui cherchaient à puiser une réserve de puissance énorme avant de se livrer à des efforts gigantesques. Les connaissances actuelles concernant l’exercice physique ont montré la naïveté de ces croyances.
La prédilection humaine pour les protéines
Avant que la science ne remette à sa juste place le rôle des protéines animales dans la physiologie de l’homme et du sportif, les connaissances scientifiques émergentes dans le domaine du métabolisme protéique ont fortement contribué à sacraliser la valeur nutritive des viandes et des autres produits animaux. On découvrit ainsi que les protéines corporelles étaient synthétisées à partir d’une vingtaine d’acides aminés dont certains étaient indispensables, que l’apport en acides aminés pouvait être limitant pour la croissance corporelle, que les protéines animales avaient dans l’ensemble une composition très équilibrée pour assurer la synthèse et le renouvellement des protéines corporelles, alors que les protéines végétales ne bénéficiaient pas du même équilibre en acides aminés essentiels. Ainsi, pour plusieurs générations de parents et de médecins, une disponibilité suffisante dans les meilleures sources possibles en protéines devint la préoccupation diététique majeure, ce qui était une approche bien réductrice de la complexité des besoins nutritionnels.
Un autre élément important dans la prédilection humaine pour les produits animaux est sans doute directement lié aux ressources alimentaires dont disposaient les populations. En effet, dans les régions arides ou froides où il était très difficile de développer une agriculture nourricière, seule la pratique de l’élevage, de la chasse ou de la pêche permit aux populations de subsister, et cette situation perdure dans quelques régions du monde. Néanmoins, certains groupes humains, après leur migration vers des modes de vie modernes, ont gardé dans leurs comportements cette empreinte nutritionnelle et culturelle qui contribue à valoriser très fortement les produits animaux, même si leur consommation élevée n’est plus adaptée à leurs besoins physiologiques.
Le comportement humain face à la viande a toujours suscité des sentiments ambigus d’attirance ou de dégoût. La viande, et surtout la viande rouge, n’est jamais restée un produit neutre, elle n’a cessé de faire l’objet de restriction et d’interdiction. La plupart des religions ont également statué sur la question des viandes en listant les consommations permises ou interdites, les animaux impurs ou sacrés, en décrivant les modes permis de sacrifice, en organisant la consommation des viandes autour des fêtes religieuses.si L’importance des produits animaux est largement liée à la culture culinaire des populations, à leur intérêt gastronomique, si
bien que la majorité de la restauration est organisée autour de la préparation d’un plat de viande. Longtemps, il a paru difficile detre excellent dans le domaine gastronomique sans le recours aux produits animaux. Viandes et légumes peuvent former des ensembles très harmonieux, mais le monde végétal est d’une telle diversité qu’il peut se suffire à lui-même, que ce soit au niveau de la palette des goûts ou de la satisfaction des besoins nutritionnels.
Les sociologues ou les économistes, grands spécialistes de l’évolution des consommations humaines, ont observé que l’élévation du pouvoir d’achat dans beaucoup de pays se traduisait immanquablement par l’augmentation de la consommation de viandes ou d’autres produits animaux, de même que celle de l’énergie ou d’autres produits de consommation. Certes, on ne peut nier cette tendance, mais il faut espérer que les pays en voie de développement ne commettront pas les mêmes erreurs au niveau de l’évolution de leur chaîne alimentaire que celles commises dans les pays occidentaux. Un développement trop important de l’élevage conduirait à développer une agriculture encore plus productiviste pour fournir les céréales et les protéines végétales nécessaires à l’alimentation animale.
Pour mieux gérer l’agriculture et l’élevage, à l’échelon de tous les pays, et aussi pour mieux gérer la santé humaine par l’alimentation, il est important d’avoir une vision pertinente de la chaîne des protéines alimentaires et des besoins nutritionnels de l’homme. Les enjeux de cette problématique sont énormes et conditionnent le futur de notre agriculture.
Des apports en protéines plus équilibrés
Les six à huit kilos de protéines de l’organisme se renouvellent constamment, les protéines dégradées pouvant fournir des acides aminés qui seront réutilisables pour la synthèse de nouvelles protéines. Toutefois, ce recyclage n’est pas d’une efficacité absolue puisque nous éliminons en permanence des déchets azotés après l’utilisation à des fins énergétiques des acides aminés de toutes origines. La prise d’un repas équilibré permet de restaurer les protéines corporelles dans tous les tissus, mais plus particulièrement dans l’intestin et le foie. Chez l’individu adulte qui garde un poids stable, le besoin de protéines alimentaires pour le renou-
vellement permanent des constituants cellulaires reste modeste, compte tenu des possibilités de recyclage des acides aminés.
La problématique de la nutrition azotée est très complexe parce que les acides aminés possèdent de nombreuses fonctions biologiques spécifiques en plus de leur rôle dans la synthèse des protéines. Par ailleurs, les protéines alimentaires sont un des constituants majeurs des aliments et à ce titre elles participent à leurs effets physiologiques globaux et à la satisfaction d’un ensemble de besoins nutritionnels. Pour les protéines, comme pour d’autres facteurs nutritionnels, l’art de bien s’alimenter est de se situer dans un juste milieu entre les risques liés à des apports trop élevés ou trop faibles. Ainsi, ni une sous-évaluation des besoins en protéines par une comptabilité trop rigoureuse des pertes azotées, ni une surconsommation ne correspondent à l’esprit d’une nutrition équilibrée et, plus en amont, à une bonne gestion de la chaîne alimentaire.
À part les calories vides, les matières grasses et les glucides purifiés, tous les aliments contiennent des protéines. Elles constituent 4 à 5 % de la matière sèche des fruits, 10 à 15 % de celle des céréales, 8 à 10 % de celle de la pomme de terre, 20 à 25 % de celle des légumes secs, 20 à 90 % des produits animaux. Bien que cela soit peu parlant, il suffit qu’une alimentation complexe, équilibrée en énergie, contienne au moins 12 % de protéines pour couvrir les besoins nutritionnels de l’homme. Évidemment, cela serait très facile à atteindre du fait de la richesse naturelle en protéines de tous les aliments (à l’exception des fruits), si l’offre alimentaire ne comportait pas tant d’ingrédients purifiés. Ainsi, dans les régimes de type occidental, le rôle des produits animaux pour satisfaire les besoins en protéines est d’autant plus élevé que l’alimentation est riche en calories vides et pauvre en produits végétaux complexes. Le défaut de ce système pourtant très compréhensible n’a pas été bien explicité auprès du public, entretenant les gâchis de la chaîne alimentaire actuelle.
Un statut avantageux d’omnivore et de végétarien
Alors que les produits animaux ont une place remarquable dans notre culture nutritionnelle, il est intéressant de souligner que nous nous accommodons fort bien d’un statut de végétarien.
Les apports en protéines sont particulièrement importants durant la croissance pour lelaboration de nouveaux tissus. La valeur biologique des protéines a d’ailleurs été évaluée à partir de modèles animaux à croissance très rapide, ce qui revêtait un intérêt zootechnique évident. Pour obtenir une croissance maximale du poulet ou du porc, avec des performances extraordinaires qui n’ont aucun caractère physiologique, il faut effectivement que l’animal dispose à volonté d’énergie et que celle-ci soit accompagnée par un apport optimal d’acides aminés. Dans ces conditions, aucune source végétale n’est parfaite, et chacune d’entre elles doit être associée à d’autres sources protéiques d’origine animale ou végétale de composition complémentaire. Pour les animaux, si l’alimentation est à base de céréales, il suffit d’ajouter les quelques acides aminés limitants pour les synthèses protéiques (par exemple de la lysine) afin d’obtenir des bonnes performances de croissance. Le plus souvent, on associe aux céréales des légumineuses (soja, pois, lupin…) qui ont des protéines de composition complémentaire.
Les végétaux permettent donc de satisfaire entièrement les besoins des organismes animaux. De ce point de vue, l’homme peut très bien assurer ses besoins protéiques en étant végétarien, en associant aux produits céréaliers des légumes secs, des produits laitiers ou des œufs selon le mode alimentaire souhaité. Contrairement à de nombreux avis, l’adoption d’un comportement alimentaire adapté à la satisfaction des besoins protéiques, sans un recours élevé aux protéines animales, n’est pas bien difficile et ne constitue pas une performance nutrition- nelle notable.
De plus, à la différence des animaux capables de doubler leur poids corporel en moins d’un mois, voire quinze jours, la croissance du petit de l’homme est particulièrement lente à l’exception de la période d’allaitement pendant laquelle le bébé dispose de protéines laitières de bonne valeur biologique. À l’échelon mondial, la maîtrise des apports en protéines pour la nutrition humaine est liée à une bonne gestion des ressources alimentaires, à une utilisation rationnelle des ressources végétales, plus qu’à un développement important des productions animales. La lenteur du développement humain n’exige pas un apport nutritionnel en protéines aussi bien ajusté que pour assurer la croissance ultrarapide de nos animaux d’élevage.
La malnutrition protéique, pourtant si répandue dans le monde, provient soit de la précarité sociale, soit de la monotonie des régimes alimentaires, en particulier dans les pays du Sud lorsque le manioc ou le mil sont les ressources majeures, ce qui est une situation critique pour le sevrage des enfants. Néanmoins, dans les pays pauvres, si la ration globale en protéines est souvent acceptable, dépassant les 50 g par jour, elle est parfois très carencée en acides aminés essentiels et en micronutriments lorsque les ressources végétales sont peu diversifiées et les produits animaux peu disponibles. À cela, il faut ajouter la misère des populations entassées dans les mégapoles qui ont accès à une offre agroalimentaire de faible qualité et qui sont privées d’un environnement naturel végétal et du savoir-faire ancestral des agriculteurs-cueilleurs.
Pour de multiples raisons, l’intérêt des protéines et particulièrement des produits animaux a largement été survalorisé dans l’esprit de beaucoup de consommateurs. Cependant, la perception de la valeur santé de ces aliments est en train de changer, et il existe une évolution sensible vers moins de viandes et plus de légumes, ce qui serait une saine évolution si cette tendance se confirmait. En effet, la survalorisation de l’intérêt des protéines qui a longtemps prévalu ne peut maintenant s’appuyer sur aucune donnée physiologique avérée.
Les mécanismes d’épargne et de caspillage
La définition des besoins en protéines est souvent très relative puisque l’homme adapte l’intensité de la dégradation des acides aminés à son niveau d’apport nutritionnel. L’ingestion d’un excès de protéines n’améliore pas le gain protéique. Dans ces conditions, les individus adaptés à une consommation élevée de protéines dégradent fortement les acides aminés, ce qui entretient leur besoin en protéines alimentaires pour les repas suivants. À l’opposé, un métabolisme tourné vers l’épargne se met en place lorsque le niveau d’apport en protéines alimentaires devient très faible. Dans ce cas, la synthèse protéique après le repas est limitée par la faible disponibilité en acides aminés, mais l’organisme
utilisera peu ces composés à des fins énergétiques, si bien qu’ils seront disponibles par la suite pour le renouvellement protéique. En revanche, un apport protéique très élevé augmente certes la protéosynthèse postprandiale par la forte teneur en acides aminés absorbés, mais entretient un catabolisme permanent sans doute peu favorable sur le plan physiologique et source de vieillissement accéléré. Les régimes riches en protéines, dans la mesure où ils ne sont pas accompagnés de graisses, sont effectivement des régimes amaigrissants compte tenu du gaspillage énergétique qu’impose la conversion des acides aminés en glucose mais aussi en urée qui sera ensuite éliminée par les reins.
À l’inverse, il existe une complémentarité essentielle entre glucides et protéines. Les glucides ont un moindre effet hypergly- cémiant lorsqu’ils sont accompagnés d’un taux normal de protéines ; en retour, ils favorisent la synthèse des protéines à partir des acides aminés, en diminuant leur conversion en glucose et en induisant un état endocrinien favorable à l’anabolisme corporel.
À partir de nombreuses expérimentations, les besoins de l’homme en protéines ont pu être évalués assez précisément. En dehors des périodes de croissance, ces besoins sont peu élevés, de l’ordre de 1 g de protéines par kilo de poids corporel, ce qu’une alimentation naturelle, à condition de n’être point trop riche en calories vides, peut fournir aisément. Néanmoins notre capacité à stimuler la machinerie de synthèse protéique s’atténue en vieillissant, si bien que les personnes âgées, sous le double effet d’une réduction de l’activité physique et d’un métabolisme déficient, voient leurs muscles fondre progressivement. Pour ralentir cette fonte musculaire (sarcopénie), des recherches récentes ont montré qu’il était important de concentrer l’apport de protéines lors du déjeuner afin de stimuler la synthèse protéique après le repas et de mettre à profit une chronobiologie favorable à la restauration de l’organisme.
Les connaissances actuelles ne nous autorisent surtout pas à dévaloriser l’intérêt des protéines, mais plutôt à recadrer leurs effets dans l’optique d’un fonctionnement harmonieux de l’organisme. Il convient en particulier de ne plus classer les protéines, de valeur biologique faible ou élevée, seulement en fonction de leur composition en acides aminés essentiels. Les protéines sont de nature très diverse, présentes dans de nombreuses matrices, plus ou moins vite digérées, de composition très variable, et l’organisme bénéficie finalement de cette polyvalence et de cette diversité alimentaire. Dans ce sens, la dévalorisation habituelle des protéines végétales par rapport aux protéines animales est injustifiée. Il faut reconnaître à ces dernières la capacité de fournir en abondance et rapidement les acides aminés nécessaires à la stimulation de la protéosynthèse postprandiale. Cependant, l’organisme, lorsqu’il y est adapté, peut parfaitement se suffire des protéines végétales qui présentent également des fonctionnalités physiologiques intéressantes.
Des acides animés aux multiples vertus
De nombreux acides aminés alimentaires ont des effets biologiques intéressants et servent de médiateurs pour réguler diverses fonctions cellulaires dont la synthèse protéique elle- même. Le contrôle de cette synthèse est fortement dépendant, par exemple, de la leucine, un acide aminé très abondant dans les protéines végétales, celles du maïs en particulier. Certains acides aminés participent donc directement à la régulation du métabolisme protéique et complètent l’action des hormones. De plus, ils exercent de nombreuses fonctions physiologiques en dehors de la sphère de la régulation protéique. Ainsi, la glutamine, un acide aminé abondant dans les produits végétaux, sert à fournir de l’énergie aux cellules dans les tissus à multiplication rapide. Cet acide aminé joue aussi un rôle important pour moduler l’activité du système immunitaire. De même, l’arginine, abondante dans certains légumes secs, est un acide aminé important pour la synthèse d’un des médiateurs contrôlant la circulation sanguine. Les protéines du pain ou de l’œuf sont riches en acides aminés soufrés qui participent à la synthèse d’un composé (le glutathion), indispensable à la protection cellulaire contre les espèces oxygénées réactives. Le cerveau, pour la synthèse de ses neuromédiateurs, a d’ailleurs besoin d’un apport équilibré en acides aminés, et des régimes excessifs en glucides peuvent déséquilibrer la disponibilité en acides aminés précurseurs de ces neuromédiateurs. Ce type de dysfonctionnement est sans doute impliqué dans certains troubles des conduites alimentaires (compulsion vers le sucré).
Compte tenu de la diversité des familles botaniques et des protéines cellulaires, l’homme peut donc trouver dans l’environnement végétal tous les acides aminés qui lui sont nécessaires, à la fois pour le renouvellement des protéines et pour le fonctionnement général de son organisme. La consommation de protéines animales lui offre une garantie supplémentaire de ne jamais pâtir d’un manque d’acides aminés essentiels. Cependant, il n’a jamais été démontré que l’organisme humain fonctionnerait mieux s’il ne disposait que de protéines de valeur biologique « idéale » telles que celles de l’œuf, du lait ou de la viande.
La consommation de produits animaux est aussi un moyen intéressant de satisfaire certains besoins nutritionnels autres que les acides aminés. Être assuré de disposer de suffisamment de calcium grâce aux produits laitiers, d’un apport satisfaisant en vitamines B et en fer en consommant de la viande, de pouvoir bénéficier de l’apport vitaminique complet présent dans le lait, les œufs, le foie n’est pas un mince avantage. Le bénéfice de la consommation de produits animaux dépasse donc la problématique de leur équilibre en acides aminés. Les tissus des animaux que nous consommons concentrent des éléments peu disponibles ou absents dans le monde végétal tels que le sélénium, la vitamine B12 ou des acides gras à très longue chaîne (et parfois même des substances toxiques).
Il faut noter que les repas riches en protéines sont rassasiants et contribuent à diminuer le grignotage. À cela, il faut ajouter le plaisir de la table et de la convivialité autour des produits animaux.
Valoriser les protéines végétales
Notre chaîne alimentaire continue à privilégier la production de protéines animales aux dépens des protéines végétales. Pourtant une consommation excessive de produits animaux fait courir un risque inutile à l’organisme. En effet, même si la teneur en graisses des produits animaux peut être très variable et parfois modeste, les viandes issues des animaux d’élevage et surtout les produits laitiers sont riches en acides gras saturés, ce qui consti-
tue un facteur de risque important pour le développement des maladies cardio-vasculaires. Les produits végétaux et surtout les fruits et légumes sont des antidotes parfaits pour pallier les conséquence quences de ces apports d’acides gras et de cholestérol athérogènes.
Limiter la problématique des effets nutritionnels des protéines végétales à l’apport de certains acides aminés dits essentiels ne permet pas de rendre compte de leur complexité d’action, de leur impact sur l’homéostasie du cholestérol, de leur effet sur la circulation sanguine, de leur rôle protecteur via les micronutriments ou les fibres alimentaires auxquels elles sont associées. De plus, beaucoup de protéines végétales sont lentement digérées et sont ainsi complémentaires des protéines plus vite assimilables d’origine animale.
Il faut maintenant mettre à profit les connaissances acquises pour bâtir une stratégie concernant la gestion des protéines alimentaires à des fins de santé publique et en accord avec le développement d’une agriculture durable. Nous défendons l’hypothèse qu’il vaudrait mieux organiser la chaîne alimentaire en fonction des besoins nutritionnels de l’homme plutôt que l’inverse. Ces besoins nutritionnels en protéines pouvant être satisfaits très facilement, il serait raisonnable, à la fois sur le plan de la santé et sur celui de l’efficacité agronomique, qu’une large partie de l’humanité adopte un comportement davantage végétarien. Cela suppose que les potentialités de production végétale soient suffisantes, or, dans certaines régions défavorisées du monde, la survie des populations est encore tributaire des seules ressources de l’élevage ou de la pêche. Les habitants de ces régions, tels les Esquimaux, ont développé des capacités d’adaptation remarquables à des régimes très pauvres en produits végétaux, ce qui ne prouve pas que de nombreuses populations seraient susceptibles de développer les mêmes performances. Pour le commun des citadins d’aujourd’hui, un apport élevé de protéines au-delà de 100 g par jour semble pour le moins superflu et sans doute peu compatible avec une nutrition préventive optimale, au moins chez certains sujets.
Une gestion sûre et prudente des ressources alimentaires de la planète mais aussi de la nutrition préventive contraste avec la forte tendance actuelle à l’adoption, par les pays en voie de développement, des modes alimentaires de type occidental. Pour aller
dans ce sens, ces pays implanteraient toujours plus delevages industriels concentrationnaires, s’adonneraient à des types d’alimentation occidentale stéréotypés au détriment de modes alimentaires traditionnels plus équilibrés et plus économes en protéines animales.
Au titre de la gestion des ressources alimentaires et de la santé publique, modérer la consommation de viandes serait un avantage considérable. Une consommation élevée de viandes, qui n’aurait pas d’utilité physiologique (au-delà de 100 g par jour en moyenne), ne pourrait de toute façon jamais être atteinte par l’humanité entière. Une moindre utilisation des céréales en alimentation animale permettrait de dégager des réserves confortables de produits céréaliers. En complément, la production de fruits et légumes devrait être développée pour parfaire les apports nutritionnels.
Dans les pays occidentaux comme la France, il serait sans doute souhaitable que la consommation de viandes diminue sensiblement. Cela devrait inciter les filières à faire évoluer leurs productions vers la meilleure qualité possible. La baisse des quantités produites et l’élévation des coûts permettraient de laisser inchangée l’équation économique. Pour maintenir le tissu rural et entretenir les espaces naturels, l’élevage des ruminants devrait garder une place privilégiée à condition que ces animaux ne consomment pas trop de nos céréales.
Vers une maitrise de la consommation des protéines
Sur le plan individuel, le consommateur peut être plus ou moins attiré par une alimentation camée ou, à l’inverse, par une alimentation de type végétarien. Bien que nous ayons des différences génétiques importantes dans notre capacité et notre propension à utiliser intensément les acides aminés, il est clair que l’organisme humain est capable de s’adapter à une large étendue d’apports de protéines. Il est probable aussi que les adaptations chez l’homme soient une affaire de long terme. Il n’est certainement pas facile de réduire la consommation de viandes chez des sujets qui ont un comportement carnivore depuis leur jeune âge.
Il existe une tendance actuelle, dans les populations défavorisées ou chez des adeptes du végétarisme, au remplacement des viandes par des produits transformés souvent riches en ingrédients purifiés. Diminuer la consommation des viandes au profit des glucides purifiés ou des matières grasses n’a aucun intérêt nutritionnel et nuit aux régulations métaboliques et aux mécanismes de contrôle du poids corporel. Des comportements pseudo-végétariens, dans lesquels la part des fruits et légumes ou des autres produits végétaux complexes est réduite, ne sont pas du tout adaptés à la physiologie humaine. Avec un environnement riche en calories vides, la non-consommation de produits animaux ne peut que renforcer certains déficits nutritionnels.
L’enjeu principal est bien de favoriser l’adoption, le plus tôt possible, de régimes protecteurs riches en produits végétaux complexes et équilibrés en produits animaux complémentaires, sachant que ces derniers ont normalement une place bien minoritaire par rapport à la base végétale de l’alimentation humaine.
L’évolution des comportements nutritionnels de l’homme a été bouleversée en moins de cinquante ans, et il est difficile de prédire le temps nécessaire pour enfin aboutir à des modes alimentaires relativement équilibrés qui tiennent compte de nos particularités génétiques, des ressources environnantes et de l’évolution des modes de vie. Néanmoins, il est important d’avoir une vision claire pour l’avenir du paysage alimentaire à façonner, de ne pas favoriser un gâchis de consommation protéique et d’éviter tout aussi énergiquement de réduire très fortement les apports en protéines au profit des calories vides, avec pour résultat le développement de troubles métaboliques et de carences diverses.
À la suite de son passé ancestral, de ses difficultés d’approvisionnement alimentaire encore récentes et avec l’encouragement un peu naïf de ses premiers nutritionnistes, l’humanité a fortement investi dans le développement des productions animales et souvent au détriment d’un meilleur équilibre nutritionnel et d’une bonne protection de l’organisme par une alimentation végétale de qualité.
Vidéo : Des apports en protéines mal maitrisés
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