Des apports en protéines encore mal maîtrisés
À la différence de nombreux produits végétaux, les produits animaux et en particulier les viandes sont perçus comme des aliments de haute valeur nutritionnelle par une large majorité de populations. Cela montre la place importante qu’ont occupée les produits animaux dans l’histoire de l’alimentation humaine. Pour son développement, l’homme a bénéficié d’un statut d’omnivore, et la consommation de viandes a joué un rôle capital dans la survie de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs et, par la suite, de bien des populations démunies de réserves de céréales ou d’autres produits végétaux.
Dans un premier temps, le développement de l’agriculture a permis à l’homme de devenir moins dépendant de ses activités de chasse et de pêche en disposant de ressources végétales mieux adaptées à la satisfaction de ses besoins nutritionnels. Dans beaucoup de pays, la population humaine s’est multipliée, l’agriculture s’est développée, et les ressources en viandes, en provenance de la chasse ou de la pêche et de l’élevage, sont devenues insuffisantes par rapport aux possibilités de consommation. Ainsi, au début du XXe siècle, les populations rurales et les liasses ouvrières en France consommaient de la viande une ou deux fois par semaine, voire moins fréquemment. Évidemment, les classes plus aisées avaient un meilleur accès aux produits animaux, du moins lorsqu’ils étaient disponibles. Avant la Révolution française, la noblesse au sommet de la société abusait de la plus grande panoplie possible de gibiers, de viandes d’élevage, jusqu’à en pâtir et souffrir de goutte ou d’atteintes cardio-vasculaires. Le niveau de consommation des produits animaux a donc longtemps constitué un signe de différenciation sociale, des bourgeois par rapport aux pauvres, des cadres par rapport aux ouvriers, des pays riches par rapport aux pays en voie de développement. Après la Seconde Guerre mondiale, les classes laborieuses ont voulu rejoindre les cadres et les classes aisées en adoptant leur mode alimentaire.
La productivité de l’agriculture et de l’élevage n’ayant jamais cessé d’augmenter pendant près de cinquante ans, cette augmentation de la consommation de produits animaux était particulièrement bienvenue pour les filières de production et de transformation. L’abondance de l’offre, la baisse des prix permirent ainsi aux Français, vers les années 1990, de figurer parmi les plus grands consommateurs de viandes avec une consommation avoisinant les 200 g par jour en moyenne.
Pour une grande majorité de peuples souffrant de pénurie alimentaire, même au début du XXe siècle, souvent épuisés par le travail manuel harassant de la révolution industrielle, le fait de disposer d’un soûl de viande pouvait paraître paradisiaque. Ainsi, la viande, si possible rouge, semblait un garant de force physique, de virilité. Cette croyance a longtemps été répandue chez nos premiers sportifs, chez les premiers forçats du Tour de France, chez les rugbymen du Sud-Ouest qui cherchaient à puiser une réserve de puissance énorme avant de se livrer à des efforts gigantesques. Les connaissances actuelles concernant l’exercice physique ont montré la naïveté de ces croyances.
La prédilection humaine pour les protéines
Avant que la science ne remette à sa juste place le rôle des protéines animales dans la physiologie de l’homme et du sportif, les connaissances scientifiques émergentes dans le domaine du métabolisme protéique ont fortement contribué à sacraliser la valeur nutritive des viandes et des autres produits animaux. On découvrit ainsi que les protéines corporelles étaient synthétisées à partir d’une vingtaine d’acides aminés dont certains étaient indispensables, que l’apport en acides aminés pouvait être limitant pour la croissance corporelle, que les protéines animales avaient dans l’ensemble une composition très équilibrée pour assurer la synthèse et le renouvellement des protéines corporelles, alors que les protéines végétales ne bénéficiaient pas du même équilibre en acides aminés essentiels. Ainsi, pour plusieurs générations de parents et de médecins, une disponibilité suffisante dans les meilleures sources possibles en protéines devint la préoccupation diététique majeure, ce qui était une approche bien réductrice de la complexité des besoins nutritionnels.
Un autre élément important dans la prédilection humaine pour les produits animaux est sans doute directement lié aux ressources alimentaires dont disposaient les populations. En effet, dans les régions arides ou froides où il était très difficile de développer une agriculture nourricière, seule la pratique de l’élevage, de la chasse ou de la pêche permit aux populations de subsister, et cette situation perdure dans quelques régions du monde. Néanmoins, certains groupes humains, après leur migration vers des modes de vie modernes, ont gardé dans leurs comportements cette empreinte nutritionnelle et culturelle qui contribue à valoriser très fortement les produits animaux, même si leur consommation élevée n’est plus adaptée à leurs besoins physiologiques.
Le comportement humain face à la viande a toujours suscité des sentiments ambigus d’attirance ou de dégoût. La viande, et surtout la viande rouge, n’est jamais restée un produit neutre, elle n’a cessé de faire l’objet de restriction et d’interdiction. La plupart des religions ont également statué sur la question des viandes en listant les consommations permises ou interdites, les animaux impurs ou sacrés, en décrivant les modes permis de sacrifice, en organisant la consommation des viandes autour des fêtes religieuses.
L’importance des produits animaux est largement liée à la culture culinaire des populations, à leur intérêt gastronomique, si bien que la majorité de la restauration est organisée autour de la préparation d’un plat de viande. Longtemps, il a paru difficile d’être excellent dans le domaine gastronomique sans le recours x produits animaux. Viandes et légumes peuvent former des sembles très harmonieux, mais le monde végétal est d’une telle diversité qu’il peut se suffire à lui-même, que ce soit au niveau de palette des goûts ou de la satisfaction des besoins nutritionnels.
Les sociologues ou les économistes, grands spécialistes de l’évolution des consommations humaines, ont observé que l’élévation du pouvoir d’achat dans beaucoup de pays se traduisait immanquablement par l’augmentation de la consommation de viandes ou d’autres produits animaux, de même que celle de l’énergie ou d’autres produits de consommation. Certes, on ne ut nier cette tendance, mais il faut espérer que les pays en voie développement ne commettront pas les mêmes erreurs au i/eau de l’évolution de leur chaîne alimentaire que celles commises dans les pays occidentaux. Un développement trop important de l’élevage conduirait à développer une agriculture encore plus productiviste pour fournir les céréales et les protéines végétales nécessaires à l’alimentation animale.
Pour mieux gérer l’agriculture et l’élevage, à l’échelon de as les pays, et aussi pour mieux gérer la santé humaine par l’alimentation, il est important d’avoir une vision pertinente de la aine des protéines alimentaires et des besoins nutritionnels de l’homme. Les enjeux de cette problématique sont énormes et conditionnent le futur de notre agriculture.
Des apports en protéines plus équilibrés
Les six à huit kilos de protéines de l’organisme se renouvellent constamment, les protéines dégradées pouvant fournir des ides aminés qui seront réutilisables pour la synthèse de nouvelles protéines. Toutefois, ce recyclage n’est pas d’une efficacité absolue puisque nous éliminons en permanence des déchets azotés après l’utilisation à des fins énergétiques des acides aminés de îles origines. La prise d’un repas équilibré permet de restaurer protéines corporelles dans tous les tissus, mais plus particulièrement dans l’intestin et le foie. Chez l’individu adulte qui garde poids stable, le besoin de protéines alimentaires pour le renouvellement permanent des constituants cellulaires reste modeste, compte tenu des possibilités de recyclage des acides aminés.
La problématique de la nutrition azotée est très complexe parce que les acides aminés possèdent de nombreuses fonctions biologiques spécifiques en plus de leur rôle dans la synthèse des protéines. Par ailleurs, les protéines alimentaires sont un des constituants majeurs des aliments et à ce titre elles participent à leurs effets physiologiques globaux et à la satisfaction d’un ensemble de besoins nutritionnels. Pour les protéines, comme pour d’autres facteurs nutritionnels, l’art de bien s’alimenter est de se situer dans un juste milieu entre les risques liés à des apports trop élevés ou trop faibles. Ainsi, ni une sous-évaluation des besoins en protéines par une comptabilité trop rigoureuse des pertes azotées, ni une surconsommation ne correspondent à l’esprit d’une nutrition équilibrée et, plus en amont, à une bonne gestion de la chaîne alimentaire.
A part les calories vides, les matières grasses et les glucides purifiés, tous les aliments contiennent des protéines. Elles constituent 4 à 5 % de la matière sèche des fruits, 10 à 15 % de celle des céréales, 8 à 10 % de celle de la pomme de terre, 20 à 25 % de celle des légumes secs, 20 à 90 % des produits animaux. Bien que cela soit peu parlant, il suffit qu’une alimentation complexe, équilibrée en énergie, contienne au moins 12 % de protéines pour couvrir les besoins nutritionnels de l’homme. Évidemment, cela serait très facile à atteindre du fait de la richesse naturelle en protéines de tous les aliments (à l’exception des fruits), si l’offre alimentaire ne comportait pas tant d’ingrédients purifiés. Ainsi, dans les régimes de type occidental, le rôle des produits animaux pour satisfaire les besoins en protéines est d’autant plus élevé que l’alimentation est riche en calories vides et pauvre en produits végétaux complexes. Le défaut de ce système pourtant très compréhensible n’a pas été bien explicité auprès du public, entretenant les gâchis de la chaîne alimentaire actuelle.