De précieuses informations pour les révélations
Dans l’expérience de Follin, l’utilisation quasi collective du placebo a permis de dissocier ce qui était dû au médicament de ce qui était dû à la maladie et de ce qui était dû à l’asile. Il est bien dommage que cette expérience n’ait pas été reprise plus scientifiquement ni analysée plus en profondeur car elle aurait certainement permis de mieux préciser les indications de ces médicaments et surtout, d’en fixer la durée d’utilisation. Une des principales plaies en psychiatrie reste en effet l’incapacité générale de la majorité des psychiatres à interrompre les traitements, soit par peur de la rechute, soit par pure chronicité.
Il y a quelques années, j’avais proposé une étude du même genre dans un des services les plus chroniques de l’hôpital psychiatrique où je travaille. Il est en effet connu, depuis de nombreuses années, que l’utilisation systématique et prolongée de certains médicaments dits « correcteurs » des effets neurologiques des neuroleptiques est non seulement inutile car inefficace, mais illogique car elle s’oppose aux neuroleptiques eux-mêmes dont elle réduit les taux circulants.
Enfin, ces produits sont préjudiciables car ils favorisent l’apparition de mouvements anormaux (dyskinésies tardives), révélateurs de lésions neurologiques le plus souvent irréversibles. Pourtant, malgré des dizaines d’études, le poids des habitudes est tel que dans de nombreux services, on continue à prescrire systématiquement ces produits en association aux neuroleptiques. Cette pratique est d’autant plus ennuyeuse que ces médicaments associés à l’alcool ont des effets de type LSD, fort appréciés des toxicomanes. De ce fait, les malades psychotiques, lorsqu’ils ne les avalent pas, les revendent à la sauvette et alimentent un trafic assez peu recommandable. Dans le plus grand secret, j’avais donc contacté le patron d’un service où, je le savais, la quasi-totalité des malades recevait un correcteur associé aux neuroleptiques. Pour sa défense, le patron, un homme honnête et cultivé, expliquait qu’il se trouvait pratiquement dans l’impossibilité de supprimer les fameux correcteurs car chaque fois qu’il avait essayé, cela avait suscité une profonde inquiétude chez les infirmiers, laquelle avait, par contagion, entraîné une résurgence des manifestations d’angoisse chez les malades. L’idée que je lui proposai consistait à remplacer le correcteur par un placebo chez la moitié des patients sélectionnés par tirage au sort. Seul le patron en question, le pharmacien de l’hôpital et moi-même sei’ions au courant, ainsi que les deux jeunes internes en psychiatrie qui soutiendraient leur thèse à partir de cette expérience. Cela se passait, bien entendu, longtemps avant la loi Huriet car, de nos jours, la procédure de recueil du consentement éclairé et par écrit du patient aurait rendu cette étude pratiquement impossible.
La procédure était simple : pendant un mois, tous les patients du service recevant le correcteur continuaient à en absorber exactement la même dose, mais le comprimé était introduit dans une gélule. L’explication officiellement donnée au service était que le laboratoire projetait de changer la forme galénique. Ceci permettait de bien évaluer les mouvements anormaux, et l’état psychique des malades en période dite de contrôle et de préparer en douceur le vrai changement. Au bout de ce premier mois d’observation, après tirage au sort pour éviter d’être influencé d’une façon ou d’une autre, la moitié des sujets recevait, pendant un autre mois, la même gélule mais vide alors que l’autre moitié des patients continuait à recevoir le même traitement.
Les résultats furent à la hauteur de notre attente. Aucun des sujets sous placebo ne présenta la moindre aggravation neurologique, une apparition de mouvements anormaux ou un incident quelconque. De plus, du fait d’une amélioration clinique constatée par les internes du service qui n’étaient pas dans la confidence, les prescriptions de neuroleptiques furent revues à la baisse chez un certain nombre de malades appartenant au groupe placebo. Privé de correcteur, un malade pouvait donc aller mieux et réduire sa consommation de neuroleptique ! Nous n’avons malheureusement aucun moyen de savoir ce qu’en pensèrent les toxicomanes, au cas où quelques gélules de placebo auraient été revendues à notre insu ! À la fin de l’étude, nous avons réuni l’ensemble du service, médecins, internes, infirmiers et leur avons révélé le pot aux roses. Une fois la surprise passée et après quelques protestations de pure forme, tout le monde manifesta un vif intérêt, parfois même un réel enthousiasme. Apparemment, chacun était désormais convaincu de l’inutilité, voire de la nocivité des correcteurs. Pourtant, quelques années plus tard, je repassai dans le service pour un tout autre propos et m’enquis poliment des habitudes de traitements. Je découvris alors, avec beaucoup de tristesse, que la majorité des patients avaient été remis sous correcteur. La chronicité induite par l’asile setait finalement révélée beaucoup plus forte que la science !
De façon plus générale, il est certain qu’en France un certain nombre de traitements sont toujours en vigueur alors qu’ils n’ont jamais prouvé la moindre efficacité. Prenons un dernier exemple, celui des fameuses cures de sommeil. Dans de nombreuses cliniques privées, les patients déprimés sont bourrés de barbituriques, neuroleptiques, tranquillisants, qui les font dormir pendant quelques jours, voire quelques semaines. L’idée empirique est de les éloigner quelque temps de leur problème, de les mettre en quelque sorte entre parenthèses pharmacologiques. Cette technique n’a en vérité jamais été étudiée scientifiquement, et son seul effet positif certain concerne l’équilibre budgétaire desdites cliniques. Rien ne permet de penser qu’elle se différencie d’un simple placebo. Il est tout de même étrange que les autorités sanitaires de notre pays ne se soient jamais posé cette question toute simple : pourquoi les cures de sommeil sont- elles toujours pratiquées dans le privé et presque jamais dans le public où les contraintes budgétaires ne sont pas les mêmes? Une étude nationale ne devrait-elle pas être lancée, d’autant plus que les cures de sommeil ne sont pas totalement dénuées de risques et qu elles précipitent souvent les patients dans la toxicomanie médicamenteuse ?
Où l’on se heurte à d’étranges résistances
Dans tous les exemples que nous avons cités, le placebo a indéniablement une fonction de révélateur. Il est ce qui a permis de dénoncer en toute certitude l’inefficacité et les dangers de certains traitements déjà commercialisés ou sur le point de l’être. Il est ce qui a permis de mettre à jour les pratiques parfois douteuses de certaines institutions. En ce sens, utilisé à titre de non-médicament, le placebo est au fond au service des consommateurs, patients ou malades, dont il protège les intérêts et les droits mais aussi de façon indirecte la santé. Ce rôle de trouble-fête qu’il en vient parfois à jouer ne va évidemment pas sans provoquer le mécontentement de quelques-uns, voire la franche hostilité de quelques autres.
Vidéo : De précieuses informations pour les révélations
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