Comment comprendre le refus de l'anorexique?
Une première approche :
Avec une patiente anorexique, le médecin est d’emblée confronté à la dimension du refus. La maladie ne ressort pas seulement de ce corps maigre ou décharné qui lui est présenté, mais de la relation que la patiente entretient avec ce corps et avec les autres, et qui va se jouer dans le rapport avec le médecin dès la première consultation.
Car voilà quelqu’un qui se rend malade et qui refuse les soins. Soins qui sur le plan médical, dans la plupart des cas, ne sont pas des soins hautement techniques, mais plutôt des soins de base, le minimum vital : se nourrir.
Les anorexiques refusent souvent les soins, comme elles refusent de reconnaître qu’elles sont malades, comme elles refusent de manger. Ce refus, elles y tiennent et elles s’y tiennent : leur refus doit en effet être compris comme l’expression d’une impasse psychique et en même temps comme rien de moins qu’une affirmation de leur être.
D’où l’importance de la compréhension par le médecin de la dimension du refus que contient le symptôme. Nous y reviendrons.
Le brouillage de l’anorexie mentale :
Premier dilemme thérapeutique : comment desserrer sans provoquer de nœuds ?
Pour illustrer le brouillage que propose le tableau d’une anorexie mentale, prenons une image : celle d’une pelote de laine tout emmêlée. Deux fils sortent de la pelote. Pour la démêler, la tentation est grande de tirer un fil. On tire, un peu de laine se laisse venir, et puis ça résiste. On est tombé sur un nœud que l’on a du même coup renforcé en tirant. Dépité, on tire alors sur l’autre fil et l’opération se reproduit. Le choix du tirage peut résulter du hasard, mais aussi dépendre d’un présupposé théorique, d’une position ou d’une fonction qui orienteront le tirage du fil.
L’anorexie mentale dans son entremêlement psychosomatique suscite et induit pour les soignants cette même question : « par quel bout la prendre ? ». Le corps, la tête ?
Comme nul soignant ne l’ignore, il s’agit d’une anorexie mentale, d’une affection psychopathologique, mais dont l’expression la plus franche se donne d’abord à voir, corporellement, de façon si appuyée parfois que l’urgence de sauver la vie oriente préférentiellement le tirage d’un fil.
A considérer cette priorité de la vie, de la croissance menacée, le médecin est sollicité dans l’essence même de sa fonction. Ne pas s’y dérober n’implique pas l’oubli de la pelote, qu’à tirer sur un seul fil on peut étrangler, nouer davantage un lien moins voyant, mais non moins existant : la vie psychique.
Du côté des thérapeutes de l’âme, tirer sur l’autre fil se heurtera souvent à une butée immédiate, une incompréhension, voire une présence mais sans y être vraiment, un enfermement muet, rarement une demande, mais plutôt un faire plaisir à quelqu’un.
Si l’on use l’image de la pelote jusqu’au bout, on aura compris qu’il ne s’agit pas tant de tirer sur quelque fil que ce soit qui peut dénouer, mais qu’il convient d’abord de s’accorder le temps et la patience pour que la pelote se détende, se desserre, pour qu’il y ait suffisamment de jeu pour défaire les nœuds.
Le desserrement du symptôme dans son accompagnement par le thérapeute :
Cet accompagnement où le symptôme est reconnu par le médecin, pris en compte sous surveillance médicale, peut soit évoluer rapidement vers une aggravation symptomatique, et le recours à l’hospitalisation pourra s’imposer, soit évoluer en ambulatoire, au fil de l’accompagnement et d’un desserrement à travers l’émergence d’éléments dépressifs. Il est alors possible qu’un minimum de souffrance soit reconnu par la patiente et que le recours à un tiers, un psychothérapeute, prenne davantage sens pour elle.