Anticancer : Désamorcer la peur
On ne peut prononcer le mot « cancer » sans qu’il évoque la peur de la mort. Or, la peur paralyse. C’est sa nature. Lorsqu’une antilope détecte la présence d’un lion, son système nerveux déclenche un signal de sidération et elle se fige sur place. C’est le programme mis en place par l’évolution pour conserver une petite chance de survie dans des circonstances extrêmes : en restant parfaitement immobile, on diminue le risque d’être détecté. Peut-être le lion passera-t-il à côté de l’antilope sans l’apercevoir…
Lorsque nous apprenons que notre vie est gravement en danger, nous faisons souvent l’expérience de cette étrange paralysie. Mais la maladie ne passera pas à côté. La peur bloque notre force vitale au moment où nous en avons le plus besoin.
Apprendre à lutter contre le cancer, c’est apprendre à nourrir la vie en nous. Mais ce n’est pas obligatoirement une lutte contre la mort. Réussir cet apprentissage, c’est arriver à toucher l’essence de la vie, à trouver une complétude et une paix qui la rendent plus belle. Il arrive que la mort fasse partie de cette réussite. Il y a des gens qui vivent leur vie sans en apprécier la véritable valeur. D’autres vivent leur mort avec une telle plénitude, une telle dignité, qu’elle semble être l’accomplissement d’une œuvre extraordinaire et donne un sens à tout ce qu’ils ont vécu. En se préparant à la mort, on libère» parfois l’énergie nécessaire à la vie. Il faut commencei jmi désamorcer la peur.
Le train vers Omaha
Dans les semaines qui ont suivi l’annonce de mon cancer, j’étais ballotté d’un rendez-vous à l’autre. À la fin d’un après midi pluvieux, j’attendais mon tour dans une salle d’attente .ni quinzième étage d’un immeuble, devant une baie vitrée, le regardais les petits personnages en bas dans la rue s’agilet comme des fourmis. Je ne faisais plus partie de leur monde Ils étaient dans la vie, ils avaient des courses à faire, îles projets d’avenir. Moi, mon avenir, c’était la mort. J’étais sorti de la fourmilière et j’avais peur. Je me suis alors souvenu d’un poème cité par le psychiatre Scott Peck.
Le poète parle d’un train lancé à toute vitesse à travers les grandes prairies de l’Ouest américain qui semblent infinies. Il connaît la véritable destination finale de ces wagons d’acier : la ferraille ; et celle des hommes et des femmes qui rient dans les compartiments : la poussière. Il demande à son voisin où il va. L’homme répond : « A Omaha. »
Au fond, même si les autres fourmis ne le savaient pas, nous allions tous au même endroit. Pas à Omaha, mais vers la poussière. Le dernier arrêt allait être le même pour tous. La seule différence, c’était que les autres n’y pensaient pas, alors que pour moi c’était devenu une évidence.
Comme la naissance, la mort fait partie de la vie. De la mienne aussi. Finalement, je n’étais pas une exception. Alors, pourquoi avais-je peur ? Au cours des mois et des années qui ont suivi, mes patients m’ont appris à connaître et à apprivoiser cette peur. A travers leur histoire, j’ai compris que la peur de la mort n’était pas une, mais multiple. Et que, une fois prises séparément, ces peurs étaient beaucoup moins écrasantes.